100 jours de grève des scénaristes: pas d'avancée, mais un mouvement qui s'étend

La grève des scénaristes hollywoodiens franchit le cap symbolique des 100 jours ce mercredi. Cela fait désormais un peu plus de trois mois que l'industrie du divertissement américain est paralysée par ce mouvement des auteurs de films et séries, qui réclament une rémunération plus équitable ainsi qu'une protection face au développement de l'intelligence artificelle. Sans effet pour le moment, si ce n'est d'avoir initié un sursaut qui ne fait que s'étendre au sein des différents métiers de l'écran.

La possibilité d'un happy end a pris forme la semaine dernière lorsque la Writers Guild of America (WGA), la guilde des scénaristes, et l'Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), qui représente les grands studios tels que Walt Disney, Netflix, Warner Bros. ou Amazon, se sont réunies pour la première fois depuis le lancement de la grève. Mais les espoirs ont été douchés à l'issue de l'entrevue, durant laquelle aucun accord sur les bases de la négociation n'a été trouvé.

Floués par le streaming

Cette mobilisation de grande ampleur (la WGA représente environ 11.500 membres) lancée le 2 mai trouve sa source dans la précarisation du métier de scénariste, due notamment à l'avènement des plateformes. Les "droits résiduels" qu'ils percevaient à chaque réutilisation de leurs oeuvres, à la télévision ou en DVD, sont remplacés chez les géants du streaming par un montant fixe versé tous les ans, même en cas de succès mondial de leur travail.

Pour pallier cette perte, les scénaristes demandent une hausse de leur rémunération, des garanties minimales pour bénéficier d'un emploi stable et une plus grande part des bénéfices générés par l'essor du streaming. En outre, ils réclament la mise en place de garde-fous contre le progrès de l'intelligence artificielle qui, à terme, pourrait mettre la profession en danger.

Si les revendications du piquet de grève sont pour l'instant restées lettre morte, elles peuvent se targuer d'avoir déclenché une intrigue dont le fil ne fait que se déployer depuis. D'abord du côté des acteurs, qui ont lancé leur propre mouvement de grève le mois dernier.

Une mobilisation qui s'étend

La mobilisation conjointe des scénaristes et des comédiens marque une première depuis 63 ans. Les revendications de ces derniers sont sensiblement les mêmes que celles de leurs confrères auteurs: la fixation de revenus minimums, la perception de droits résiduels à chaque utilisation de leurs œuvres en streaming, et des garanties concernant l'usage de l'intelligence artificielle (IA), pour empêcher cette dernière de cloner leur voix et image.

Cette mise en retrait des acteurs a terminé de mettre à l'arrêt l'industrie du divertissement: outre la désertion des plateaux de tournage, les mesures mises en place par la guilde des acteurs (la Sag-Aftra, présidée par Fran Drescher) prévoient la suspension de toute activité promotionnelle. Soit aucun tapis rouge, aucune interview, aucun talk-show - déjà suspendus par la grève des scénaristes - jusqu'à ce que le mouvement arrive à son terme.

De nombreuses célébrités ont été aperçues sur le piquet de grève; Colin Farell, Jessica Chastain, Sarah Paulson, Laura Linney, Susan Sarandon, Jack Black ou encore Lupita Nyong'o sont venus soutenir leurs confères plus précaires.

Et la vague de mécontentement ne s'arrête pas là. Cette semaine, ce sont les artistes responsables des effets spéciaux chez Marvel Studios qui ont manifesté leur mécontentement quant à leurs conditions de travail: plus d’une cinquantaine de créateurs et techniciens employés par les studios ont voté pour se syndiquer. Ils dénoncent l'environnement professionnel "toxique" des studios Marvel, gérés par Kevin Feige, et pointent du doigt des surcharges de travail constantes couplées avec une mauvaise rémunération.

La grogne dépasse même les frontières américaines: d'après le Los Angeles Times, des revendications similaires commencent à naître dans le milieu des acteurs sud-coréens embauchés par Netflix.

Situation tendue

Si l'union est censée faire la force, les négociations n'en sont pas moins au point mort, d'autant que la tension entre les deux camps n'a fait que grandir au fil des semaines. Certaines prises de paroles ont déclenché la fureur des grévistes, notamment lorsqu'un responsable de studio a confié à Deadline, sous couvert d'anonymat, que "l'objectif est de laisser les choses traîner jusqu'à ce que les membres des syndicats commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons".

Des propos sans équivoque auxquels Ron Perlman, l'acteur de Hellboy, a répondu en des termes tout aussi clairs dans une vidéo Instagram supprimée depuis:

"Écoute-moi bien, fils de p***, il y a plein de manières de perdre sa maison. Certaines sont financières, certaines ont trait au karma, et certaines ne tiennent qu'à ce qu'on découvre qui a dit ça - et nous savons qui a dit ça - et où il vit (...) Fais gaffe, fils de p***."

Bob Iger, l'homme à la tête de Disney, a lui aussi attisé la colère des manifestants. Mi-juillet, celui dont le salaire annuel de 2023 pourrait s'élever à 31 millions de dollars a déclaré que les demandes des grévistes étaient "tout simplement irréalistes".

"Alors qu'il empoche 78.000 dollars toutes le heures?" s'est emporté l'acteur Billy Porter dans les colonnes du Evening Standard. "Je n'ai rien à répondre à ça, si ce n'est: 'allez vous faire f*****'."

Ainsi, à 100 jours de grève, aucune avancée significative n'a été opérée. Un nombre incalculable de films et séries devraient accumuler des retards importants, et les Emmys Awards - les Oscars de la télévision - prévus pour septembre ont été reportés.

Le mouvement a déjà dépassé la grève des scénaristes de 2007-2008, qui avait pris fin après 93 jours de mobilisation.

Article original publié sur BFMTV.com