Élisabeth Borne, un an à Matignon au bord du précipice

Elisabeth Borne photographiée le 12 mai lors de son déplacement à La Réunion (illustration)

Ce mardi 16 mai, la Première ministre fête son premier anniversaire à Matignon. Une première année infernale dont elle sort fragilisée.

POLITIQUE - On a connu plus généreux comme cadeau d’anniversaire. Pour sa première bougie soufflée à Matignon, Élisabeth Borne reçoit ce mardi 16 mai les syndicats, toujours aussi remontés contre cette réforme des retraites impopulaire et adoptée au forceps. Une reprise de dialogue dans la douleur à l’image de sa première année rue de Varenne, où rien ne s’est passé comme prévu pour celle qui entend incarner l’aile gauche de la Macronie.

Retour en arrière. Lundi 16 mai 2022, Emmanuel Macron, qui s’est laissé plusieurs semaines après sa réélection, met fin au suspense. Après avoir sérieusement envisagé l’option Catherine Vautrin, le chef de l’État promeut Élisabeth Borne, alors ministre du Travail, à Matignon. Le début d’un chemin de croix marqué par de multiples entraves. Quatre jours plus tard, vendredi 20 mai, la Première ministre dévoile son premier gouvernement. Un dispositif qui offre un ministère de plein exercice à Damien Abad, ex-président du groupe LR à l’Assemblée nationale.

Du boulet Abad aux législatives

Une prise de guerre qui se transforme rapidement en boulet. Dès le lendemain, Mediapart révèle les accusations de viol visant le député de l’Ain. L’élan féministe insufflé par sa nomination à la tête du gouvernement prend un sacré coup. Damien Abad sera remercié à la faveur du remaniement début juillet, après plusieurs semaines de polémiques. À cela s’ajoutent des déconvenues purement politiques, liées à des élections législatives désastreuses dont elle sort fragilisée.

Non seulement Élisabeth Borne ne pourra pas compter sur une majorité absolue au Palais Bourbon (un handicap dont elle mesure les implications chaque jour), mais elle perd des éléments clés de son dispositif gouvernemental. Nommée ministre chargée de la transition écologique et de la cohésion territoriale, Amélie de Montchalin, censée piloter la planification écologique avec sa collègue de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher, est balayée dans l’Essonne.

Une défaite qui semble reléguer les ambitions de l’exécutif sur « la planification écologique », qui était pour l’une de ses missions principales. Une promesse dont il ne reste plus grand-chose un an plus tard, si ce n’est une réapparition du terme dans la bouche du chef de l’État lors de son allocution du 17 avril. Affaiblie par la séquence, Élisabeth Borne entre directement dans le dur de la majorité relative.

Le 6 juillet 2022, elle renonce à solliciter la confiance du Parlement lors de son discours de politique générale. Une première depuis 1993 et l’entrée de Pierre Bérégovoy à Matignon qui renvoie la terrible image d’une Première ministre partiellement impuissante face aux oppositions. Les motions de censure, de la Nupes et du RN, s’enchaînent. Mais pas assez pour faire vaciller Élisabeth Borne, qui ne tient désormais que par le refus des députés LR à faire tomber le gouvernement (et repasser le cas échéant par de nouvelles législatives).

Ses marges de manœuvre ne cessent de rétrécir. Pour contourner les oppositions, Élisabeth Borne peut compter sur l’article 49-3, utilisé 10 fois en six mois. Ce qui n’est pas de nature à apaiser un Palais Bourbon explosif ni à améliorer l’image du couple exécutif, dont la popularité ne cesse de s’effriter chaque mois. Le dossier des retraites, ouvert début janvier, achève d’illustrer ses difficultés.

« Presque sacrificiel »

Élisabeth Borne fait un choix. Puisque les syndicats ne veulent pas entendre parler d’une mesure d’âge, les négociations se feront exclusivement avec Les Républicains. C’est un échec. L’intersyndicale affiche un front uni jusqu’au bout, tandis que les députés de droite se divisent, démontrant l’impasse que constitue une stratégie entièrement basée sur un accord avec un parti politique qui ne parle pas d’une seule voix et qui se situe toujours dans l’opposition. L’édifice s’effondre et Élisabeth Borne doit se rendre à l’évidence, le compte n’y est pas. Résultat : un 11e article 49.3, qui enflamme la rue et nourrit les procès en autoritarisme.

Sauvée de neuf petites voix, le 20 mars, elle échappe cette fois de très peu à la motion de censure. L’étau se resserre et la presse multiplie les articles imaginant les candidats à sa succession. Surtout des hommes, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu ou l’ancien ministre Julien Denormandie en tête. Si certains la décrivent en coulisses comme lessivée, elle donne le change dans l’hémicycle, et se montre impassible face aux attaques des Insoumis ou lorsqu’elle renvoie le centriste Charles de Courson à ses déclarations passées.

Alors que l’air devient irrespirable, elle ne s’avoue pas vaincue. Au mois d’avril, elle n’hésite pas à prendre le contre-pied du chef de l’État. Lorsqu’il fustigeait les syndicats et appelait à accélérer depuis la Chine, elle réclame « une période de convalescence » et ne veut pas « brusquer les choses ». Il faut dire que depuis des semaines, c’est elle qui est en première ligne, seule à composer avec la communication laborieuse de son propre camp, la cacophonie de la droite et les tirs croisés de la Nupes.

Une résilience qui, pour certains, explique sa longévité. « Je persiste à penser qu’il n’y a pas d’autres choix qu’elle à Matignon. Elle a une solidité, un vrai courage et elle joue collectif. Il y a quelque chose de presque sacrificiel chez elle », décrypte au HuffPost un pilier du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, qui voit mal un candidat au poste capable de faire mieux qu’elle. Que ce soit le ministre de l’Intérieur ou son collègue de Bercy, dont les ambitions respectives ne sont un mystère pour personne.

« Macron se donne du temps »

« Elle est combative. Pas une seule personnalité issue de la droite peut nous garantir l’intégralité des votes de la majorité plus ceux de 35 députés LR », ajoute notre interlocuteur. Selon Le Monde, Élisabeth Borne a récemment invité le chef de l’État à l’« essorer » jusqu’au bout, témoignant d’une conception quasi sacerdotale de son passage à Matignon.

De son côté, Emmanuel Macron ne ménage pas sa Première ministre, sommée de trouver l’apaisement en 100 jours et d’élargir une majorité comme si cela se décrétait. Même si, publiquement, le soutien est intact. « Ses gouvernements ont beaucoup fait en un an. Nous avançons pour permettre au pays d’être indépendant et plus juste. À mes côtés, Élisabeth Borne agit avec force, détermination et courage », a-t-il salué ce lundi 15 mai lors de son interview à TF1.

En parallèle, le chef de l’État enchaîne les déplacements et multiplie les interviews, quitte à donner l’impression de ne laisser qu’un espace résiduel à sa cheffe de gouvernement. Mais pour combien de temps encore ? « Emmanuel Macron se donne du temps à lui-même jusqu’au 14 juillet. Il a conscience que le gouvernement est faible, mais ça lui permet d’exister. Elle souhaite un remaniement au plus vite, il le lui refuse », analyse un stratège de Renaissance. La fin du calvaire n’est donc pas pour demain.

VIDÉO - "Continuer à relever les défis": Élisabeth Borne maintient son envie de rester à Matignon

Réforme des retraites : Emmanuel Macron a trouvé un bon côté à la proposition de loi de Liot

Dans l’interview de Macron à L’Opinion, ces phrases ne vont pas apaiser les syndicats