Égalité fiscale : on a demandé à une avocate son avis sur cette proposition de loi

Cette loi se compose de sept mesures qui devraient corriger certains biais hérités du patriarcat mais présente de nombreux points faibles, selon l’avocate Michelle Dayan.
Cette loi se compose de sept mesures qui devraient corriger certains biais hérités du patriarcat mais présente de nombreux points faibles, selon l’avocate Michelle Dayan.

FEMMES - « Faire de la fiscalité un levier d’égalité économique entre les femmes et les hommes. » Ce mercredi 8 mars, à l’occasion de la journée internationale du droit des Femmes, la députée de l’Essonne Marie-Pierre Rixain (Renaissance) dépose à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à renforcer l’égalité fiscale et successorale. La loi se compose de sept mesures qui sont censées corriger certains biais hérités du patriarcat.

Pour Michelle Dayan, avocate spécialisée dans le droit de la famille que nous avons contacté par téléphone, cette loi permet de « prendre en considération des situations différentes pour donner un petit coup de pouce » aux personnes désavantagées, qui sont, dans la plupart des cas, les femmes. « C’est plutôt un problème d’équité que d’égalité », estime-t-elle.

Mais bien qu’elle juge certains points comme « essentiels », elle déplore l’absence de « vraies mesures de fond qui sont travaillées avec les personnes sur le terrain ». « C’est encore de la poudre aux yeux », fustige-t-elle. Avec, comme principal point de crispation, la deuxième mesure qui propose de revoir le traitement fiscal des prestations compensatoires afin qu’elles ne constituent plus un revenu imposable pour celui qui la perçoit.

« Les juges ne sont pas assez généreux »

Cette prestation compensatoire est actuellement versée par l’ex-conjoint le plus riche - l’homme, dans les trois quarts des couples hétérosexuels, selon une étude de l’INSEE - dans le but d’effacer les déséquilibres financiers après une séparation. Dans certains cas, le bénéficiaire est taxé et perd donc une partie de la compensation financière qui lui revient. Selon la députée Marie-Pierre Rixain, cela désavantage donc l’ex-conjoint le moins aisé, qui est, dans la plupart des cas, la femme.

Mais Michelle Dayan n’est pas favorable à ce qu’on défiscalise cette compensation pour le bénéficiaire. Pour deux raisons. « Certaines personnes vont toucher 10 000 euros par mois et ne seront pas imposées. Je trouve ça inéquitable avec celles qui travaillent et qui sont imposées sur 3 000 et 4 000 euros par mois. Je trouve que ça augmente les inégalités sociales. »

En revanche, elle propose tout simplement d’augmenter le montant de ces prestations, sans les défiscaliser. « Les juges ne sont en réalité pas assez généreux. Ils ne prennent pas assez en considération les sacrifices de carrière des femmes », dénonce-t-elle.

L’avocate estime aussi qu’il faut augmenter la pension alimentaire. Tout en la défiscalisant. « Les pensions alimentaires pour une personne de classe moyenne sont ridicules. Quand un père verse 300 euros par mois, et qu’il voit son enfant un week-end sur deux, ça fait 10 euros par jour. Et les pères qui ne payent pas ne sont que très rarement poursuivis. »

Un taux individualisé par défaut

Parmi les mesures phares de la proposition, la députée de l’Essonne Marie-Pierre Rixain propose aussi d’instaurer un taux d’imposition individualisé par défaut pour les couples mariés ou pacsés. Dans la loi actuelle, l’administration fiscale calcule le taux de prélèvement par foyer fiscal en tenant compte de l’ensemble des revenus et charges. Elle applique ce taux pareillement à chaque conjoint indistinctement de leurs revenus. Ce qui pénalise la personne qui gagne le moins d’argent, la femme, dans la plupart des cas.

Si ce taux commun prime par défaut, « on peut actuellement choisir un taux individualisé », rappelle Michelle Dayan : « Il faut cocher une case sur le site des impôts, mais les gens ne le font pas. » La loi de Marie-Pierre Rixain propose donc d’inverser le principe actuel, en proposant par défaut un taux individualisé, tout en laissant la possibilité de choisir un taux unique. Une proposition qui fait écho à l’annonce d’Élisabeth Borne. Sur France 5, la première ministre a indiqué que les taux d’imposition allaient être individualisés par défaut dès 2025.

Malgré cela, l’avocate pointe une faille : « La mesure ne résout pas le problème pour les personnes qui ne sont pas salariées et qui n’ont pas de prélèvement à la source. Dans ces cas-là, c’est toujours un taux global qui s’applique. »

Inégalités successorales

Mais tout n’est pas à jeter dans cette proposition de loi, comme la troisième mesure, que l’avocate juge satisfaisante. Il s’agit de ne plus faire peser une dette contractée par un ex-conjoint sur les finances des femmes divorcées.

« Quand un homme s’est rendu coupable de fraude fiscale, par exemple, son ex-femme se retrouve solidaire alors qu’elle ne s’est occupée de rien. Lorsque l’on n’est pas à l’origine de la fraude, on devrait être automatiquement déchargé fiscalement », estime-t-elle.

La loi énonce également d’autres mesures, concernant, par exemple, les associations qui œuvrent pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle propose d’« ajouter l’égalité femmes hommes dans la liste des champs ouvrant droit à une réduction d’impôt sur le revenu afin de sécuriser le financement des associations féministes et les soutenir dans leurs combats ».

Quid de l’égalité successorale ? La loi propose de « réécrire des dispositions du Code civil faisant référence aux seuls fils et père, témoins de l’historique patriarcal de notre droit ». Elle souhaite aussi « instaurer, de nouveau, une égalité en valeur et en nature entre les héritiers » pour gommer les inégalités de succession entre les filles et les fils. Mais les modalités n’ont pas encore été précisées.

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