Quatre députées turques voilées, une première depuis 1999

Quatre députées turques du Parti de la justice et du développement (AKP), formation islamo-conservatrice du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, se sont présentées voilées jeudi au Parlement, une première depuis 1999. /Photo prise le 31 octobre 2013/REUTERS/Umit Bektas

par Gulsen Solaker ANKARA (Reuters) - Quatre députées turques du Parti de la justice et du développement (AKP), formation islamo-conservatrice du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, se sont présentées voilées jeudi au Parlement, défiant la tradition laïque du pays. Jamais depuis 1999 une parlementaire n'avait osé se couvrir la tête d'un foulard dans l'enceinte du Parlement. A l'époque, la députée en question, Merve Kavakci, élue du Parti de la vertu islamique, un des prédécesseurs de l'AKP, avait été expulsée. "Nous allons assister au début d'une ère importante, et nous jouerons un rôle moteur, nous serons des porte-drapeaux, c'est très important", a confié à Reuters Nurcan Dalbudak, une des quatre élues, avant d'entrer dans l'enceinte. Aucun texte n'interdit le port du voile au Parlement, mais la question du voile est hautement symbolique en Turquie. Elle cristallise l'opposition entre les élites laïques, pour lesquelles le voile est une insulte aux piliers laïques de la république turque telle que créée par Mustafa Kemal Atatürk, et les tenants de l'islam politique, qui invoque le respect des libertés publiques. Nurcan Dalbudak, Sevde Beyazit Kacar, Gulay Samanci et Gonul Bekin Sahkulubey ont été chaleureusement accueillies par les autres députés de l'AKP, qui les ont embrassées ou leur ont donné l'accolade. Le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l'opposition laïque, qui avait annoncé qu'il contesterait leur initiative, s'en est tenu à de discrets signes de protestation. Un député avait revêtu un tee-shirt avec le portrait d'Atatürk et le drapeau national ; d'autres ont sifflé. LE PRÉCÉDENT DE 1999 En 1999, l'irruption voilée de Merce Kavakci au Parlement avait provoqué un tout autre tumulte. "Ce n'est pas l'endroit pour défier l'Etat. Informez cette femme qu'il y a des limites", avait tonné le Premier ministre de l'époque, Bülent Ecevit, tandis qu'une moitié de l'hémicycle criait à l'élue de quitter les lieux. La séance avait été ajournée et la députée interdite de prêter serment. Elle avait été par la suite déchue de la nationalité turque, au motif qu'elle avait caché aux autorités qu'elle avait aussi la nationalité américaine, et le Parti de la vertu interdit en 2001 pour atteinte aux articles de la Constitution turque protégeant la laïcité. L'initiative des quatre députées survient alors que l'AKP vient de lever il y a quelques semaines à peine l'interdiction du port du voile dans les institutions publiques dans le cadre d'une réforme des libertés publiques. Avec l'autorisation du voile dans les universités ou les restrictions sur les ventes d'alcool, les adversaires d'Erdogan y voient autant de preuves de la volonté prêtée au Premier ministre et à son parti de chercher à saper les bases laïques de la Turquie. Ils accusent aussi l'AKP de se servir de la carte religieuse pour séduire l'électorat conservateur. "Vous n'avez qu'une seule carte en main et nous ne vous laisserons pas l'utiliser pour jouer les victimes", a dit le député CHP Muharrem Ince. Recep Erdogan a pour sa part demandé aux parlementaires de respecter la décision de leurs quatre collègues. "Il n'y a aucun règlement au Parlement qui l'interdise et chacun doit respecter la décision de nos soeurs sur ce sujet", a-t-il dit. "Elles ont été élues par la nation et elles représentent la nation devant le Parlement." Avec Jonathon Burch, Henri-Pierre André pour le service français, édité par Gilles Trequesser