Vingt-sixième round : que vaut le programme de François Hollande ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely de Causeur.fr et Pierre Haski, de Rue89, s'interrogent la "feuille de route" de François Hollande.

Les trois atouts de la méthode Hollande pour la première année

Par Pierre Haski

Lors d'une rencontre avec de nouvelles connaissances, récemment, l'une d'elles fit la liste d'un certain nombre de mesures, négatives à ses yeux, promises par François Hollande, et ajouta, pour se faire peur : « Et en plus, il est capable de le faire »... Je tentais une plaisanterie:

« Un candidat qui tiendrait ses promesses, ça nous changerait ! »

Mais celle-ci tomba à plat. Et donc, non seulement François Hollande serait capable de faire ce qu'il dit, mais il vient de surcroît de frapper un grand coup en annonçant son programme détaillé de la première année. Il l'a longuement présenté lors de son meeting de Rennes, mercredi soir, et il est disponible en ligne sur son site de campagne.

Une initiative surprise

La méthode est originale, et a le mérite de permettre aux électeurs de juger sur pièce, non seulement sur les propositions du programme, mais aussi du moment où la décision entrera en vigueur. Nicolas Sarkozy a eu beau jeu d'ironiser le lendemain en demandant pourquoi s'être arrêté à la première année et ne pas avoir décrit les quatre années suivantes, le Président-candidat semblait à la peine de trouver les arguments pour dénigrer cette initiative surprise de son concurrent.

Ainsi, les citoyens savent d'ores et déjà à quel moment sera votée la réduction de 30% du salaire du président de la République et des membres du gouvernement, quand interviendra le gel pendant trois mois du prix des carburants à la pompe, permettant aux vacanciers de ne pas voir leur budget grévé en chemin par une éventuelle flambée du baril, et ils peuvent dès maintenant calculer le montant de la prime de rentrée 2012 revalorisée de 25%.

Au-delà de l'anecdotique, il en va de même pour le rétablissement de la retraite à 60 ans, limité aux salariés aux longues carrières et ayant leurs annuités, la réforme fiscale idéalement placée un… 4 août, le retrait des forces françaises d'Afghanistan, ou encore la réforme constitutionnelle devant dépoussiérer les institutions.

Il ne s'agit pas ici de discuter de la validité des mesures proposées, elles sont pour la plupart connues depuis longtemps, François Hollande ayant annoncé ses « 60 propositions » dès son discours du Bourget en janvier. Il s'agit de la méthode et de ce qu'elle dit de la politique. Elle a, à mon sens, un triple avantage pour le candidat socialiste :

1) En creux, les promesses non tenues de Sarkozy

Le premier signal donné par cet engagement aussi minutieusement programmé est de faire ressortir le caractère brouillon du quinquennat sortant, et la longue liste des promesses non tenues de Nicolas Sarkozy ; voire celle, aussi longue, des annonces de cette campagne qui ne sont que des recyclages de réformes déjà annoncées en 2007 et jamais mises en œuvre.

2) Le candidat du réel contre celui du rêve

Avec ce programme de gouvernement précis, François Hollande enfonce le clou comme il l'a fait plusieurs fois ces derniers jours, sur la différence, selon lui entre le « candidat du faire » et le « candidat du verbe », Jean-Luc Mélenchon.

Le candidat socialiste a longuement plaidé, à Rennes, pour qu'on considère sa responsabilité d'avoir à conduire le changement, face, en creux, à celui qui fait rêver le peuple de gauche dans ses meetings enflammés et grâce à un programme choc, mais n'aura vraisemblablement pas à en assumer ensuite le « service après-vente » au pouvoir.

3) Une équipe prête à gouverner

Cette « première année » déjà programmée donne enfin le sentiment à l'opinion qu'il y a bien une équipe de rechange prête à gouverner à gauche, en réponse à la critique habituelle faite à Hollande du « manque d'expérience ».

Nicolas Sarkozy a eu beau ironiser — avec quelque raison —, jeudi, sur la qualité du travail fourni par Laurent Fabius (auteur de cette « timeline » des débuts de quinquennat) pour se faire pardonner des vacheries passées sur le dos de François Hollande, il n'en demeure pas moins que l'idée-même d'alternance a progressé avec ce programme.

Enfin, au-delà de ces avantages tactiques, il y a une certaine idée de la politique. Lionel Jospin proclamait en son temps « faire ce qu'il dit et dire ce qu'il fait », c'est-à-dire une manière plus transparente d'exercer la responsabilité de la gestion des affaires publiques (Ça ne lui a pas réussi à l'arrivée, mais c'est une autre histoire...).

Cette « timeline » que seuls François Hollande et François Bayrou ont présentée parmi les dix candidats en présence, renoue avec cette doctrine plus respectueuse de la parole politique et des engagements pris auprès des électeurs. Ça nous changerait, non ?
Pierre Haski

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Par Elisabeth Lévy

Visiblement, je n'avais pas tout compris. À quinze jours du premier tour de l'élection présidentielle, je croyais être bien informée sur les intentions des principaux candidats, qui avaient déjà décliné leurs programmes en projets à moins que ce fût l'inverse. Mais on me dit que la publication des mesures proposées par les deux favoris a été l'événement de la semaine. Il faut dire que les communicants se sont creusés la tête pour inventer un nouveau genre de paquet-cadeau. Mercredi, François Hollande dévoilait sa "feuille de route", terme militaire signifiant que les mesures, déjà connues pour la plupart, sont assorties d'un calendrier — il ne manque plus que le dress-code. Quant à Nicolas Sarkozy, c'est pas pour me vanter, mais il m'a écrit une lettre. Je ne l'ai pas encore reçue, mais comme il a tout raconté en conférence de presse jeudi, j'ai l'impression que je n'aurai pas de surprise ébouriffante.

Alors, je ne voudrais pas faire ma fine bouche, mais j'ai un peu l'impression qu'on me ressert à Pâques les cadeaux qu'on m'avait offerts à Noël. Puisque François Hollande a dégainé le premier (et que c'est à son sujet que nous avons décidé de croiser le fer), penchons-nous sur la "feuille de route". Pas grand-chose de nouveau, donc: toutefois, j'ignorais que la première mesure du candidat socialiste, s'il est élu (et qu'il a une majorité parlementaire) serait de réduire les salaires des ministres et du Président de 30 %. Mesure symbolique, se sont extasiés les confrères. Certes, puisque c'est la première, mais symbolique de quoi ? C'est comme ça qu'il va nous sortir de la crise le successeur de Jaurès et de Mitterrand — ou peut-être de Guy Mollet ? Si au moins vous-et-moi récupérions la différence, mais non, c'est juste pour montrer que lui, il n'est pas comme ces gens de droite qui aiment l'argent. Plus démago tu meurs. D'ailleurs, il a aussi remis dans le paquet son joli gadget: la tranche d'imposition à 75 % pour les vraiment-trop-riches, ça ne rapporte rien (c'est lui qui le disait il y a un an) mais il paraît que ça fait plaisir aux gens qui galèrent. Moi j'appelle ça la politique du ressentiment et ça ne me dit rien qui vaille. En revanche, il n'est pas forcément absurde de vouloir limiter l'éventail des rémunérations dans les entreprises publiques — de 1 à 20 — parce qu'après tout, servir son pays est un honneur qui vaut bien quelques sacrifices: j'attends avec impatience les réactions des dirigeants actuels ou futurs desdites entreprises.

Il serait fastidieux de commenter chaque mesure. Je compte néanmoins sur mes valeureux adversaires pour décrypter les intentions hollandaises sur la réforme des retraites, vous savez la mère de toutes les injustices. "Retraite à 60 ans avec 41,5 annuités", nous dit l'homme qui veut sauver la France du sarkozysme. Certes, il y a le mot magique — "60 ans"—, mais je flaire l'entourloupe: dans la vraie vie, ces "60 ans avec 41,5 années de cotisation" risquent d'amener beaucoup de gens à la retraite à 62 ans, non ?

On ne s'attardera pas sur le mariage gay, le droit de vote aux étrangers et le "droit de mourir dans la dignité", ce qui veut dire "euthanasie", qui font partie de la panoplie des droits nouveaux que la gauche offrira à la France — s'accrocher à la vie, c'est indigne ? Pour le reste, le candidat socialiste promet de créer des emplois publics en pagaille et de verser plus d'allocations aux plus pauvres, je n'ai rien contre. Mais il y a comme qui dirait une vague contradiction. Comment fera-t-on tout cela après le 3 juillet, date à laquelle, si j'en crois la "feuille de route", le Parlement, réuni en session extraordinaire, aura voté une "loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Un texte qui, quelles que soient les réformes engagées durant le quinquennat, bordera l'action gouvernementale, avec l'engagement de tenir l'objectif de zéro déficit en 2017" ?

Et là, chers amis, il y a foutage de gueule. Je veux bien qu'on embauche des fonctionnaires et qu'on augmente les allocations de ceci ou de cela, mais sauf à piquer leurs biens à tous ceux qui gagnent plus de 4000,00 € par mois (ce qui, pour Hollande, définissait les riches il y a trois ans) après les avoir guillotinés ou enfermés, je ne vois pas comment cela va nous amener à "zéro déficit" en 2017.

Vous me direz que le président sortant ne propose pas autre chose: «Toutes mes propositions, a-t-il dit, s'articulent autour d'un objectif: l'équilibre des finances publiques en 2016» — ça fait rêver, non ? Il me semble cependant qu'il se fiche un peu moins de nous puisqu'il ne propose pas en prime de recruter des fonctionnaires à tour de bras. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tout-à-fait blanc bonnet et bonnet blanc, mais dans la vraie vie, je ne suis pas sûre qu'on fera la différence. Je ne veux pas faire de la peine aux gens qui dorment bien parce qu'ils sont de gauche et détestent Nicolas Sarkozy, mais sur des broutilles comme l'Europe, l'euro et le libre-échange, on dirait bien que nos duettistes sont assez d'accord. Alors, profitons des quelques semaines qui nous séparent de l'élection, parce que j'ai comme l'impression qu'après, on ne va pas rigoler. Même quand on est "de gauche".
Elisabeth Lévy

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