Yvan Colonna : l'homme suspecté de son agression mortelle parle désormais d'un "assassinat commandité"
Franck Elong Abé, le détenu suspecté d'avoir agressé mortellement Yvan Colonna en mars 2022, a adressé un courrier à la juge d'instruction fin février. Il met en cause l'État et ses services.
Toutes les parties s'accordent au moins sur un point, la prudence. Franck Elong Abé, l'homme mis en examen pour l'agression qui a causé la mort d'Yvan Colonna en mars 2022, a adressé un courrier à la juge d'instruction pour revenir sur sa version initiale des faits. Désormais, le détenu parle d'un "acte commandité", a appris BFMTV.com de sources concordantes.
Dans ce courrier de quatre pages, daté du 14 février dernier et réceptionné par la magistrate une semaine plus tard, Franck Elong Abé revient sur les faits survenus le 2 mars 2022 à la prison d'Arles (Bouches-du-Rhône) où il était incarcéré tout comme Yvan Colonna. Il évoque un recrutement par des individus se présentant sous une fausse identité, des agents de la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure.
"Des stratèges de la DGSI"
Sa mission aurait alors été d'assassiner Yvan Colonna, en échange de la promesse "d'une grosse somme d’argent". Selon les propos rapportés par Corse Matin et France 3 Corse, qui révèlent l'existence de cette lettre, Franck Elong Abé précise que "100 000 euros par année de prison" lui auraient été proposés. Une somme d'argent qu'il dit ne pas avoir perçue. Il évoque aussi des "manipulateurs", "des stratèges de la DGSI".
"Ils se sont servis de moi comme d’un abruti", écrit-il et promet de nouvelles révélations.
Ce courrier a été coté au dossier d'instruction, une procédure habituelle quand il s'agit de lettre de mis en examen. Sa rédaction intervient peu de temps après son dernier interrogatoire par la juge d'instruction au cours duquel il avait avancé une autre version que celle de l'assassinat commandité. Aux enquêteurs, le détenu radicalisé et condamné dans un dossier de terrorisme avait dans un premier temps expliqué son geste par un "blasphème" qu'aurait commis Yvan Colonna.
Le 2 mars 2022, Franck Elong Abé, qui bénéficiait du statut d'auxiliaire de nettoyage au sein de la prison d'Arles, s'était retrouvé seul en compagnie d'Yvan Colonna qui purgeait une peine de réclusion à perpétuité pour l'assassinat du préfet Claude Érignac en 1998, dans une salle de sport. Les deux hommes avaient l'habitude de se fréquenter et aucune animosité particulière n'avait été décelée auparavant.
Franck Elong Abé avait alors violemment agressé Yvan Colonna. L'agression a duré 10 minutes sans que personne n'intervienne alors que le militant corse était sous le statut de détenu particulièrement surveillé (DPS). Ce jour-là, une opération de maintenance était par ailleurs en cours sur le poste de surveillance permettant d’avoir accès aux images de la salle de sport, habituellement filmée par deux caméras.
Une commission d'enquête parlementaire sur les conditions de cette agression mortelle a pointé, dans un rapport publié en mai 2023, de "graves défaillances" dans l'appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé. Le rapport mettait en lumière des "dysfonctionnements" d'ordre général dans l'établissement pénitentiaire.
Des allégations "sans fondement"
Le ministère de l'Intérieur a lui fermement démenti auprès de l'AFP les nouvelles déclarations de Franck Elong Abé dénonçant des allégations "fausses" et "sans fondement". "L’état psychiatrique de Franck Elong Abé dont les experts ont conclu qu’il avait eu une altération du discernement et l’incohérence d’une partie de son écrit conduisent à considérer ses nouvelles déclarations avec la plus grande prudence", réagit auprès de BFMTV.com une source proche du dossier.
Pour les proches d'Yvan Colonna, les propos de Franck Elong Abé confirment ce qu'ils qualifient d'"assassinat politique". "Du côté de la famille, ils ne sont pas très surpris, car il s'agit de leur intime conviction depuis la mort d'Yvan Colonna. En tant qu'avocats, nous sommes très choqués par le propos et très surpris. Nous essayons de prendre du recul par rapport à ces déclarations, et nous faisons preuve de prudence et de précaution", déclare Me Anna-Maria Sollacaro.
Avec son confrère Me Dominique Paolini, l'avocate défend le frère, la soeur et les parents d'Yvan Colonna. Ils ont fait une demande d'acte auprès de la juge d'instruction pour demander à ce que Franck Elong Abé soit entendu en leur présence. "Ce propos va devoir être vérifié par des investigations sérieuses et poussées."
"Ce n'est pas parce qu'un courrier alimente les soupçons qu'on doit y croire", abonde Me Sylvain Cormier, l'avocat du fils du militant corse, qui lui aussi demande à ce que des actes d'enquête soient réalisés. "La famille veut la vérité, elle est très exigeante, mais elle veut des éléments concrets."