Yannick Jadot dans Président.e 2022 : "Macron ? Il déroulait le tapis rouge à Vladimir Poutine "

Yannick Jadot est l’invité de l’émission Président.e 2022, le rendez-vous politique de Yahoo Actualités. Tout au long de la campagne présidentielle, Géraldine Muhlmann recevra les candidates et les candidats ainsi que les personnalités de la vie politique française (Retrouvez l'intégralité de l'interview en fin d'article).

"C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses". C’est peut-être parce qu’il a passé la matinée de jeudi au Salon de l’agriculture, à déambuler entre les vaches et les caméras, que Yannick Jadot, 54 ans, use d'une métaphore paysanne à propos de l'élection présidentielle. À six semaines du scrutin, le candidat écologiste stagne autour de 5 à 7% dans les intentions de vote, mais il poursuit sans relâche sa campagne dans un contexte de guerre en Ukraine qui bouleverse l'actualité.

Écoutez notre entretien avec Yannick Jadot en intégralité :

"Macron déroulait le tapis rouge à Poutine"

L'invasion russe de l'Ukraine chamboule la campagne et pousse les candidats à se positionner. Si Yannick Jadot est favorable à l’envoi d’armes et de matériel militaire à l’Ukraine décidé par l'Elysée, il épingle Emmanuel Macron, qui a officialisé jeudi sa candidature à un second mandat. "J’ai trouvé assez contre-productive sa stratégie jusque-là de parler seul à Vladimir Poutine, alors qu’on a besoin du rapport de force de l’Union européenne, tout comme cette relation de tutoiement qu’il a mis en scène".

L’eurodéputé estime aussi que "le président [français] a été l’un des premiers à remettre en cause la politique de défense européenne. Quand il déroulait le tapis rouge à Vladimir Poutine à Versailles, ou à Brégançon, il avait indiqué que le président russe aurait une forme de droit de regard sur ce projet. Vous imaginez bien que pour la Pologne et les États baltes, c’était mettre fin à cette perspective de défense européenne".

"Je suis pour la dénucléarisation mondiale"

L’actualité invite également le thème des armes, notamment nucléaires, dans la campagne présidentielle. Yannick Jadot ne juge pas nécessaire "pour l’instant" d’augmenter le budget de la défense française, et souhaite s’en tenir à la loi de programmation militaire (qui prévoit 295 milliards d’euros entre 2019 et 2025).

Pour l’écologiste, "il faut soutenir la résistance ukrainienne, mais il ne faut pas entrer en guerre contre la Russie", car elle est, comme la France, dotée de l’arme nucléaire. S'il reconnaît qu'il s'agit d'"une force de dissuasion considérable", il maintient son objectif de dénucléarisation, qui fait partie de l’ADN des Verts. Mais pas question pour lui que la France se dénucléarise seule. "Je veux que nous portions une initiative multilatérale, par exemple avec le Royaume-Uni, pour relancer un processus de dénucléarisation militaire". Quant à l’Otan, la France ne doit pas en sortir "tant qu’on a pas de politique de défense européenne", juge prudemment l’eurodéputé.

"Avec les écolos, la France serait moins dépendante du gaz russe"

La guerre et les sanctions économiques contre la Russie mettent aussi en lumière l’importance du gaz russe dans l'approvisionnement énergétique des pays d’Europe. "Si on appliquait ce que proposent les écologistes, on serait beaucoup moins dépendants du gaz et de la Russie", vante Yannick Jadot.

Pas question de se tourner vers le nucléaire, même en cas de risque de pénurie à cause des sanctions russes. "Nos centrales sont à leur capacité maximale, et construire un réacteur prend 15 à 20 ans, donc ce n’est pas la réponse". Au contraire, "les énergies renouvelables sont les seules énergies de paix", assure Yannick Jadot. Il prévoit que les énergies vertes, comme l'éolien et le solaire, assureront en quelques années 100% de la consommation électrique française, même avec une réindustrialisation du pays et donc des ouvertures d'usines. "RTE [qui gère le réseau de transport d'électricité], l’Ademe, tous les experts en énergie au niveau européen confirment que c’est possible", appuie l'ancien de Greenpeace.

"C’est toujours les mêmes reproches qu’on fait aux écologistes"

Pour autant, Yannick Jadot ne compte pas abandonner l’atome d’un seul coup s’il est élu. Il envisage de fermer les centrales nucléaires progressivement, en commençant par "les plus dangereuses", au fur et à mesure que la montée en puissance des énergies vertes permettraient à la France de s’en passer.

Un pragmatisme qu’il défend : "c’est toujours les mêmes reproches qu’on fait aux écologistes. Quand on annonce la catastrophe, on nous dit qu’on est catastrophistes. Quand on propose des solutions crédibles, on nous dit qu’on est irrationnels, et quand la catastrophe arrive, on nous reproche de ne pas l’avoir empêchée. Mais gouverner, c’est prévoir."

"Je veux sortir de l’élevage que l’on voit dans les vidéos de L214"

En matière d’alimentation, Yannick Jadot prône aussi la souveraineté. "On importe du poulet labellisé, de qualité, et on exporte du poulet congelé, low-cost", déplore l’écolo. Il dresse un diagnostic sévère de l’agriculture en France : "on a 14 milliards d’euros par an pour l’agriculture, et 27 fermes qui disparaissent par jour, près d’un suicide d’agriculteur par jour, 40% d’entre eux qui vivent avec moins de 350 euros par moi, l’effondrement de la biodiversité, la pollution, les maladies chroniques… Ce système-là est aberrant."

Yannick Jadot souhaite donc interdire l’élevage en cage d’ici 2025, et abandonner l’élevage productiviste. "Je veux sortir de l’élevage que l’on voit à travers les vidéos de [l'association] L214, qui est abominable pour les animaux, mauvais pour les éleveurs et notre alimentation". Demain, il doit y avoir davantage "d’élevage paysan, plus durable, plus équilibré".

Cela impliquera aussi un changement de nos habitudes alimentaires. "Il faudra qu’on ait un régime un peu moins carné, manger un peu moins de viande, c’est bon pour la santé."

Le communiste Roussel est dans "une forme de populisme"

La barbaque a justement été une pomme de discorde à gauche, le candidat communiste Fabien Roussel ayant déclaré à Libération en avoir "marre de cette gauche qui culpabilise les Français parce qu’ils mangent de la viande". "Non, je ne veux pas être culpabilisant", réplique Yannick Jadot.

"J’ai trop de respect pour les classes populaires pour jouer comme ça avec la crise écologique. Elles sont les premières victimes de la pollution de l'air et de la malbouffe, qui cause diabète, surpoids et maladies chroniques. Balayer la crise écologique d’un revers de la main, je trouve cela irresponsable, c’est une forme de populisme", riposte-t-il en ciblant Fabien Roussel. "Je ne vais pas culpabiliser les classes populaires, je veux les accompagner, leur rendre accessible une alimentation de qualité. Elles seront les premiers bénéficiaires de ma politique".

"J'assume d'emprunter auprès de la BCE pour reconstruire le pays"

Cet accompagnement des classes populaires se traduira par des dépenses publiques, comme un forfait mobilité durable de 1000 euros annuels ou un revenu citoyen à 918 euros. D’autres dépenses figurent dans le programme écolo, comme des embauches d’infirmières et des créations de places en université.

Yannick Jadot s'engage à équilibrer budgétairement toutes les dépenses publiques, notamment en créant un impôt sur la fortune climatique (15 milliards d’euros), en taxant la succession (8 à 9 milliards d’euros), en supprimant des niches fiscales (sur le kérosène notamment), en rétablissant la flat tax et en luttant contre l’évasion fiscale (10 milliards d’euros). En revanche, pour financer les investissements, notamment dans la santé et l’université, le candidat assume d'emprunter 25 milliards d’euros auprès de la Banque centrale européenne.

"Mélenchon est très satisfait d’une forme de capitulation vis-à-vis de l’agression russe"

Alors que l’union à gauche est bel et bien enterrée, Christiane Taubira a abandonné sa campagne mercredi, faute de parrainages. "Je pense qu’elle pourrait parfaitement se retrouver dans les valeurs du projet que je porte", avance l’eurodéputé, alors que l'ex-Garde des sceaux, gagnante de la primaire populaire, a dit qu'elle exprimerait "dans les prochaines semaines son vote du premier tour".

En revanche, Yannick Jadot n’est pas tendre avec d’autres personnalités de gauche, en particulier Jean-Luc Mélenchon, crédité de 10 à 12% des voix au premier tour de la présidentielle. "Aujourd’hui, c’est la Russie qui agresse, je n’ai pas d’ambiguïté là-dessus", souligne l’écolo, taclant le candidat insoumis qui disait il y a peu que "l’Otan, qui veut intégrer l'Ukraine, se comporte en agresseur". "Jean-Luc Mélenchon fait de la grande géopolitique, c’est très grandiloquent, mais à la fin, il dit ‘abandonnons l’Ukraine aux Russes’. Il a même dit que ce n’était pas un vrai pays, un vrai peuple. Donc il est très satisfait d’une forme de capitulation vis-à-vis de l’agression russe", enfonce-t-il.

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"Pas sûr que Ségolène Royal ait bien compris le monde dans lequel nous vivons"

Et de balayer le ralliement de la socialiste Ségolène Royal à l'Insoumis : "je l’ai entendue dire que le problème de l’Ukraine, ce sont les armes américaines basées en Europe. Je ne suis pas sûr qu'elle ait bien compris le monde dans lequel nous vivons".

L’écolo s’en prend aussi à l’ancien président socialiste François Hollande. "Avoir voulu faire de l’hôpital une entreprise rentable, ça a été lancé par Chirac, mais le gouvernement Hollande n’a pas remis en cause cet impératif, qui a mis l’hôpital au bord du gouffre". Par ailleurs, "on ne peut pas dire que le quinquennat Hollande ait été un mandat de transition écologique et de justice sociale", assène-t-il. Yannick Jadot doit aussi faire face à des troubles dans ses propres rangs. L'ex finaliste de la primaire écologiste Sandrine Rousseau a été exclue de la campagne jeudi après des propos au vitriol sur la stratégie du candidat.

Retrouvez l'intégralité de l'interview de Yannick Jadot