XV de France: Antoine Frisch, le plus irlandais des Bleus

Dans la ville étudiante de Limerick située au cœur de l'Irlande, le public du Thomond Park se délecte depuis de nombreux mois des courses chaloupées d'un centre qui n'est pas irlandais, une rareté sur l'île verte. Depuis l'été 2022, le Franco-irlandais Antoine Frisch (27 ans) s'éclate sous les couleurs du Munster, taulier européen et vainqueur du dernier United Rugby Championship.

Malgré la distance, ses performances ont tapé dans l'œil du sélectionneur Fabien Galthié. Cette semaine à Marcoussis pour son retour en France, pays où on lui disait il y a quelques années qu'il n'était pas assez bon, le Munsterman est probablement revanchard.

De Tarbes au Royaume-Uni

En 2018, Antoine Frisch évolue avec les Espoirs du Stade français, champion de France 2015 mais en difficulté sur les saisons suivantes. Né à Fontainebleau, d'une mère irlandaise et d'un père français, il n'est pas conservé, à cause de la forte concurrence à l'ouverture. Morne Steyn et Jules Plisson lui barrent la route. Une constante dans sa carrière, où rien ne lui a été donné.

"C’est toujours pareil avec Antoine", sourit Mathieu Bonnot, ancien coéquipier à Rouen et ami, joint par RMC Sport. "Les débuts sont toujours timides, il n’a pas la confiance des coachs. Ce n’est pas le choix numéro 1. Mais une fois qu’on lui donne une chance, il saisit l’opportunité." Encore plus depuis qu'il pointe le bout de son nez en équipe de France.

En cette fin de Tournoi, le staff de Fabien Galthié fait la part belle à son vivier issu du Top 14, mais pas que. Antoine Frisch fait partie de ces petits nouveaux prêts à bousculer la hiérarchie. Touché après l'épisode parisien, il ne parvient pas à s'épanouir pleinement en Fédérale 1 (troisième division) à Tarbes puis Massy. Mais à Rouen, en ProD2, il découvre le niveau professionnel et gagne du temps de jeu.

Après une saison convaincante en Normandie (18 titularisations, 4 essais), il s'exporte d'abord à Bristol (2021-2022) grâce aux réseaux de son agent James Percival, puis dans la célèbre province irlandaise du Munster. Il devient rapidement un des chouchous de la "Red Army" grâce à son profil idéal: puissant, créatif... et bilingue.

"Il n'y a eu aucune barrière de la langue, aucun problème d’intégration et son agent est un anglo-saxon", observe Mathieu Bonnot. "Bristol et le coach (Pat Lam) étaient les premiers à se positionner sans aucune réserve sur lui. L’idée pour lui, c’était de toucher la première division le plus vite possible, en France ou ailleurs."

"Il va vraiment surprendre tout le monde"

Là bas, il cultive sa polyvalence et se développe physiquement. Formé à l'ouverture, il s'épanouit sur le tard au poste de centre, où il brille désormais.

Cette saison avec le Munster, il a débuté tous les matchs comme titulaire en United Rugby Championship. Avec le puissant néo-zélandais Nankivell, il forme une paire de centres complémentaires. Ses bonnes performances alertent la fédération irlandaise, qui décide de l'accaparer dans un premier temps.

"C’est pour ça qu’il est polyvalent, il peut tout faire. Il a un bon jeu au pied, des bonnes passes, de bonnes lectures, en défense il est trop fort", explique Christa Powell, coéquipier en Espoirs, à RMC Sport.

Frisch dispute une poignée de rencontres avec l'équipe réserve. Mais la forte concurrence dans le XV du trèfle (Aki, Henshaw, Ringrose, McCloskey) freine, encore, son ascension. Le grand gabarit de l'ancien Tarbais (1,88m, 100kg) s'inscrit dans la continuité des centres irlandais modernes. "C’est un joueur très difficile à catégoriser", renchérit Bonnot. "Il amène une dose de créativité unique, il va surprendre tout le monde, par sa capacité à faire jouer derrière lui. Tout le monde va découvrir qu’il a le niveau international."

Joueur à la maturité tardive, "Tony Fresh" comme il est surnommé outre-Manche n'était pas un surdoué. Powell, aujourd'hui centre à Aurillac (ProD2), se souvient surtout de l'hygiène de vie de son ancien colocataire. "Même quand on était en Espoirs, je savais qu’il avait le niveau d’un grand joueur. Il est presque un peu trop professionnel. On habitait ensemble pendant une saison. Lui putain, il se réveillait à 6h30-7h, il commençait à s’étirer. Quand on avait des temps libres, il me poussait pour faire de la récupération. Il y a beaucoup de choses que j’ai apprises de lui."

Fabien Galthié et Andy Farrell lui font la cour

Bien loin du parcours du jeune prodige de plus en plus fréquent à très haut niveau, Frisch est passé sous les radars fédéraux en France, mais pas en Irlande. Andy Farrell, sélectionneur de l'Irlande quart de finaliste de la Coupe du monde, le drague gentiment pour qu'il choisisse de porter le maillot vert.

Mais le cœur du Français de naissance balance entre les deux nations. Si le centre longiligne venait à choisir de jouer pour la France, cela poserait un problème de taille pour sa province. Le Munster ne peut avoir que trois joueurs étrangers dans son effectif, un quota déjà atteint (Snyman, Nankivell, Kleyn).

"On ne sait pas si la fédération irlandaise va donner le droit de le garder, s’il honore sa première cape pour la France", explique à RMC Sport Bernard Jackman, ancien international avec le XV du trèfle (2005-2008) et spécialiste du rugby irlandais. "Ça compromettrait son avenir avec le Munster."

En l'appelant en renfort pour préparer le Crunch (samedi 21h), Fabien Galthié n'ignore pas, non plus, la situation du joueur formé au Paris Université Club. Une première sélection, peut-être dès samedi soir, entérinerait pour de bon son choix de porter le maillot tricolore. Sinon, Andy Farrell ne devrait pas se priver pour l'emmener en Afrique du Sud, où les Irlandais disputeront trois matchs cet été.

"Même s’il est très fort, la concurrence est très rude, mais il est plus jeune que les autres", conclut Bernard Jackman, pas rancunier. "C’est vraiment une bonne chose pour lui. S’il a l’opportunité de jouer pour la France, c’est énorme! Je comprends ce choix."

Un choix royal à la disposition d'Antoine Frisch qui arrive à un tournant de sa carrière : l'Irlande, 2e nation au classement mondial, ou la France, revigorée sous l'ère Gatlhié.

Article original publié sur RMC Sport