Avec Wildlife, Paul Dano voulait "porter un regard honnête sur la complexité de notre propre humanité"

De passage à Cannes, où il faisait l'ouverture de la Semaine de la Critique, Paul Dano a évoqué sa première réalisation, le très beau drame "Wildlife", en compagnie de son actrice principale Carey Mulligan.

Paul Dano réalisateur : première ! Et c'est à Sundance puis Cannes, en ouverture de la Semaine de la Critique, que l'acteur a fait son baptême du feu avec Wildlife, drame adapté du roman "Une saison ardente" de Richard Ford qu'il a co-scénarisé avec sa compagne Zoe Kazan et dans lequel il dirige Carey Mulligan. La comédienne qui était présente, avec son metteur en scène, sur la Croisette, pour évoquer ce film aussi beau que prometteur.

AlloCiné : En quoi ce livre était-il parfait pour vous lancer en tant que réalisateur ?
Paul Dano : C'est parfois indescriptible, mais celui-ci m'a vraiment parlé. J'en ai beaucoup rêvassé, il est resté avec moi pendant longtemps, qu'il s'agisse de ses personnages, de ses émotions ou des images qui me venaient. J'ai particulièrement été sensible à la façon dont l'auteur décrivait la situation douloureuse que vit cette famille avec autant d'amour, de compassion et d'honnêteté. C'est quelque chose que je veux faire dans mon travail, porter un regard honnête sur la complexité de notre propre humanité et notre famille.

Joe est un personnage proche de ceux que vous auriez pu jouer il y a quelques années. En étiez-vous conscient lorsque vous dirigiez le film ?
Paul Dano : Pas au début, non. Mais votre instinct pèse toujours dans la balance et ma soeur, qui a travaillé sur Wildlife en tant que costumière, m'a fait remarquer que l'une des vestes que nous avions choisies pour Joe était une veste que j'avais. Et là je me suis dit : "Oh mince !" Je pense que notre travail est aussi de mettre de nous-même dans quelque chose, mais c'est effectivement un personnage dont je me sens proche.

'Je ne pouvais pas jouer dans ma première réalisation' - Paul Dano

"Wildlife" se déroule pendant les années 60, période dans laquelle les réalisateurs aiment vous plonger Carey, entre "Une éducation" et "Inside Llewyn Davis". Savez-vous ce qui les inspire tant ?
Carey Mulligan : Je ne sais pas mais j'aime cette période et son esthétique magnifique. Le monde paraissait vraiment différent, les gens s'habillaient autrement, c'est une époque très cinématographique qui semble très intéressante à filmer. Mais je pense que c'est une coïncidence si j'ai participé à ces histoires situées à ce moment-là, en jouant des personnages très différents. C'est quand même une période très intéressante pour les femmes, qui ont eu droit à une liberté relative, ou plutôt un début de liberté qui a fait suite à l'après-Guerre, beaucoup plus limité pour elles. Mais même la Guerre avait changé le monde pour les femmes et c'est pour cette raison qu'il est intéressant de jouer des femmes de cette époque.

Comment s'est passée l'écriture du scénario avec Zoe Paul ? Comment s'est-elle impliquée ?
Paul Dano : J'ai d'abord écrit un premier jet qu'elle a déchiré. Puis elle a écrit une version de son côté, et nous avons fait des allers-retours entre nous deux : nous pouvions parler d'un élément pendant deux heures, nous poser des questions, puis l'un de nous s'emparait du scénario pendant quelques semaines... Je crois que cela s'est fait de façon assez harmonieuse. Nous avons eu des difficultés, mais nous n'étions pas non plus l'un contre l'autre.

Avez-vous songé à jouer dans le film, ou à diriger Zoe dedans ?
Paul Dano : Non, il n'en a jamais été question pour Wildlife. Je ne pouvais pas jouer dans ma première réalisation, il me fallait d'abord maîtriser tous les éléments de ce processus, ce qui était dans le cadre, l'équipe technique. J'adorerais diriger Zoe un de ces jours, si elle le veut, et peut-être que j'arriverai à jouer dans quelque chose que je réalise, je ne sais pas. Mais il m'a paru juste de procéder ainsi ici.

Le fait de jouer sous la direction d'un acteur vous a-t-il donné envie de passer vous-même derrière la caméra Carey ?
Carey Mulligan : Oh non ! C'est si dur (rires) Je ne réaliserai jamais quoi que ce soit. Je ne sais même pas comment Paul a fait car cela demande des compétences totalement différentes : il y a toujours la partie créative, mais également cette énorme machine que vous devez gérer. Il y a bien sûr des producteurs, mais vous avez tellement de responsabilités, de choses à penser. Cela requiert un talent différent, que je ne possède pas. Mais lui oui, Dieu merci.

Le rôle que vous jouez ici est très nouveau pour vous, car vous incarnez la mère d'un adolescent. Était-ce le principal défi que vous avez rencontré sur ce film ?
Carey Mulligan : Je pense que oui et ça m'a même semblé étrange au début, car j'ai des enfants mais ce sont des bébés. Le plus gros défi d'un rôle est souvent de parvenir à vous convaincre que vous pouvez être crédible dans la peau du personnage que vous jouez. J'ai par exemple joué une inspectrice de police l'an dernier [dans la mini-série Collateral, ndlr], et pendant le premier mois, le plus dur a été de réussir à me convaincre moi-même de ma crédibilité, car les inspecteurs de police ont beaucoup d'autorité et que je craignais que personne n'y croit. Ici j'ai d'abord cru que je serais trop jeune pour avoir un fils de 14 ans, mais ça aurait été possible à cette époque et il a surtout fallu construire la famille avec Jake, et rendre notre trio crédible.