We Love Green, Hellfest, Lollapalooza: pourquoi les festivals coûtent de plus en plus cher ?

C'est l'un des événements musicaux le plus attendu de cet été. Avec un billet 1 jour à 89 euros et un pass 3 jours à 220 euros, le festival Lollapalooza, du 21 au 23 juillet 2023 à l'hippodrome de Longchamp à Paris, est l'un des festivals les plus chers en France cette année.

Et pour cause, l'événement, qui accueille depuis 2017 plus de 100.000 spectateurs, réunit sur scène plus d'une soixantaine de stars internationales telles que le groupe de K-pop Stray Kids, les rappeurs américains Lil Nas X et Kendrick Lamar, la chanteuse espagnole Rosalía ou encore les têtes d'affiches francophones Damso, Niska et Aya Nakamura.

Mais Lollapalooza est loin d'être le seul festival à avoir majoré les tarifs de son édition 2023. Comme le rapporte le Centre national de la musique, dans son étude, publiée en mai 2023 et réalisée sur près de 68 structures en France, le prix moyen des billets de festivals de musique a augmenté de 10% entre 2019 et 2022.

Alors que s'ouvre ce week-end la saison des festivals estivaux, avec We Love Green au bois de Vincennes, BFMTV.com a analysé l'évolution du prix d'un billet 1 jour entre 2012 et 2023 sur les dix principaux rassemblements musicaux en France.

Inflation à tous les niveaux

À l'instar des Vieilles Charrues et de Musilac, We Love Green, qui se tient ce vendredi 2, samedi 3 et dimanche 4 juin, est l'un des rares festivals à ne pas avoir fait évoluer ses prix entre 2022 et 2023. L'événement propose un billet 1 jour à 64 euros (tarif regular) et un pass 3 jours à 159 euros.

Un pari "raisonnable" d'après la directrice de We Love Green, Marie Sabot, mais qui rend la rentabilisation du festival "très compliquée" dans un contexte d'inflation où les dépenses et les charges augmentent à tous les niveaux (énergie, prestataires, sécurité, masse salariale, cachet des artistes...) pour les structures culturelles.

"En 2023, les effets de la guerre en Ukraine sur l'inflation, sur le manque de matériels et de salariés est encore pire. Il n'y a pas un niveau de dépense qui n'ait pas augmenté cette année", assure Malika Séguineau, directrice générale du Prodiss, le syndicat national du spectacle musical et de variété.

"Et en plus, les organisateurs doivent continuer à se démarquer pour attirer un public de plus en plus exigeant sur l'accueil, la qualité des prestations...", ajoute la directrice générale qui travaille avec plus d'une soixantaine de producteurs et diffuseurs de festivals.

Mais pour We Love Green, dont le budget total est estimé à 12 millions d'euros pour son édition 2023, contre 7 millions en 2020 et 5,9 millions en 2018, cette hausse des coûts s'illustre particulièrement chez les prestataires techniques son et lumière, "de moins en moins nombreux" et de plus en plus chers, selon Marie Sabot.

"Ceux qui étaient autrefois des petites entreprises artisanales sont désormais gérés par trois ou quatre grands groupes, qui pratiquent des tarifs plus élevés", analyse la directrice de We Love Green.

"Là où notre grande scène pouvait nous coûter 90.000 euros en 2022, cette année elle nous coûte 130.000 euros. Et on a aussi des augmentations de ce type sur la sécurité, les infrastructures, les tarifs de la restauration...", ajoute-t-elle.

Flambée des cachets des artistes

Mais l'autre dépense qui fait grincer des dents et grimper le budget artistique des festivals, en hausse de 21% depuis 2019 selon le CNM, c'est le prix des cachets des artistes. Désireux de générer des revenus grâce au live - qui représente désormais entre 70 et 80% des recettes d'un musicien - certaines têtes d'affiche n'hésitent plus à gonfler les tarifs de leurs prestations.

Dernier exemple en date, le festival Rock en Seine, qui a dû mettre la main au porte-monnaie pour s'offrir cette année la présence de la star Billie Eilish, dont le concert est facturé environ 1,5 millions d'euros, selon le journal Le Monde. Résultat, le billet 1 jour de l'événement est passé de 69 euros en 2022 à 75 euros en 2023.

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Si ces tarifs prohibitifs ne semblent pas refroidir les programmateurs de certains événements à gros budget, qui compensent les coûts en augmentant les tarifs de leurs billets, pour les plus petites structures indépendantes, boucler la programmation de son festival sans trop exploser le budget devient rapidement un casse-tête.

"Vu les attentes des artistes, je vois bien qu’il me manque au moins 25 à 30 % sur mes budgets artistiques. En gros, un artiste qui demandait 30.000 euros il y a un an en veut 80.000 aujourd’hui", détaille dans le magazine Tsugi, Christian Allex, programmateur pour La Magnifique Society, le VYV Festival et le Cabaret Vert.

"On se demande même si à terme, les festivals ne vont pas devenir des vitrines de certains grands producteurs de spectacles, qui travaillent avec des stars internationales et qui pourront s'acheter leurs propres groupes et artistes et se payer un cachet à eux-même", ajoute Marie Sabot pointant du doigt des mastodontes de la production tels que Live Nation, chargé notamment de l'organisation du festival Lollapalooza à Paris.

Un équilibre financier difficile à trouver

Pour compenser la hausse de leurs dépenses, les festivals bénéficient de subventions, de la part de certaines collectivités ou entreprises privées, mais "leur niveau est très faible, de l'ordre de 10 à 20%", précise Malika Séguineau.

"Seules les recettes de billetterie permettent au final à une structure de pouvoir se projeter sur l'année suivante et le prix du billet d'un festival devient ainsi la seule variable d'ajustement pour ces organisateurs", ajoute la directrice générale du Prodiss.

Pour espérer atteindre un équilibre entre leurs recettes et leurs dépenses, les organisateurs de festivals doivent également revoir à la hausse le taux de remplissage de leurs événements.

"On disait avant la crise qu'il fallait un taux de remplissage à 90% pour être à l'équilibre, aujourd'hui pour certains festivals il faut 100%. Donc ça montre bien, qu'on est dans une situation de plus en plus vertigineuse", poursuit Malika Séguineau.

Un constat partagé par Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des musiques actuelles, qui évoque même le cas du festival Décibulles, organisé début juillet en Alsace, déficitaire même en étant complet.

"Avec un taux de remplissage fixé à 103%, ils savaient déjà même avant de commencer qu’ils allaient perdre de l’argent. Et aujourd'hui même les gros événements, qui vont bien fonctionner ne sont pas même pas sûrs d'être bénéficiaire", estime Aurélie Hannedouche.

Selon une étude réalisée par le Prodiss en 2022 sur plus de 130 festivals, 59% des événements interrogés ont présenté un résultat déficitaire alors qu’ils n’étaient que 43% lors de leur précédente édition.

Vers la disparition des festivals ?

Obligés d'augmenter le prix de leurs billets pour assurer leur équilibre financier, certains organisateurs de festivals craignent toutefois de perdre une partie de leur public, en proposant des tarifs trop élevés.

"Cette année, notamment à Paris, il y a eu un nombre très important de concerts. Entre les concerts et la vie courante avec l'inflation qui est partout, les festivaliers ont dû faire des choix", indique Marie Sabot.

La directrice du festival We Love Green a d'ailleurs ressenti cette frilosité de la part des spectateurs lors de la mise en vente des premiers billets de son édition 2023. "Ça a mis du temps à se mettre en place", confie-t-elle.

"On a eu un bon démarrage et puis au milieu du printemps on a senti un ralentissement des ventes. Mais aujourd'hui on est de retour à la normale avec entre 1000 et 1500 billets vendus par jour", poursuit la directrice.

Pour tenter de limiter au maximum leurs dépenses et la hausse du prix de leurs billets tout en restant attractifs face à la concurrence, les festivals doivent donc trouver des solutions. Cette année, We Love Green a par exemple réduit ses coûts de restauration en misant sur une nourriture 100% végétarienne.

Aurélie Hannedouche, directrice du SMA, évoque une piste de financement pérenne proposée dans le rapport porté par le sénateur Renaissance Julien Bargeton. Ce texte invite à la création d'une taxe sur le streaming afin de contribuer au financement du Centre national de la musique, qui apporte des contributions budgétaires au secteur de la musique.

"Cette année, on navigue à vue et au vu de tous ces changements, c'est sûr qu'on se questionne sur la possibilité de ce métier à long terme. Il faudra tirer un bilan à la fin de la saison sur ces problématiques, pour savoir s'il y a finalement la place pour tous ces festivals dans le budget des Français", conclut Marie Sabot. Cap donc sur 2024 avec une autre difficulté en perspective: la cohabitation avec les Jeux Olympiques à Paris.

Article original publié sur BFMTV.com