À Wall Street, derrière les records, des investisseurs de plus en plus prudents

par Saqib Iqbal Ahmed

NEW YORK (Reuters) - Wall Street peut bien enchaîner records sur records et afficher une volatilité proche de ses plus bas depuis des décennies, le marché des options montre que les investisseurs ne sont peut être pas aussi confiants qu'il y paraît.

Au vu des positions sur les options sur l'indice S&P 500 et sur l'indice de volatilité du CBOE Vix, les intervenants de marché ont progressivement renforcé leurs positions contre un risque de retournement des indices, au cours des derniers mois.

"Nous ne le constatons pas dans les opérations au jour le jour et personne ne semble se préoccuper plus que cela des opérations de couverture mais d'une façon ou d'une autre elles se mettent en place", remarque Jim Strugger, stratégiste sur les dérivés chez MKM Partners.

"Cela se produit en catimini, sans crier gare."

Le S&P 500 a pris 16% depuis le début de l'année et inscrit un nouveau record à l'issue de la séance écourtée de vendredi, au-dessus de 2.600 points. Il semble bien parti pour enregistrer un huitième mois d'affilée dans le vert en novembre, sa plus longue phase de hausse continue depuis la crise financière de 2008.

L'indice Vix, parfois aussi appelé indice de la peur, s'est aussi rapproché de son plus bas historique atteint le 26 juillet à 8,84 tombant à 8,99 en début de mois. Il a terminé vendredi à 9,67.

DES COUVERTURES DISCRÈTES

Certains investisseurs mettent en garde contre l'extrême vulnérabilité à un choc d'un marché dopé par les stratégies tirant parti d'une période de calme inédit sur les actions et où les stratégies de couverture n'ont servi à rien depuis des mois.

L'excès de confiance caractéristique des phases de boom devrait figurer en tête des préoccupations des investisseurs, estimaient les participants au récent Sommet Reuters sur les Perspectives d'investissement pour 2018.

Le marché des options montre qu'ils ne sont pas aussi vulnérables à une soudaine correction des marchés que la très faible volatilité pourrait le laisser penser.

Sur le marchés des options sur l'indice S&P 500 le ratio put/call ressort actuellement à 2,1, proche du plus haut enregistré au cours des cinq dernières années, selon les données du bureau d'analyses spécialisé Trade Alert.

Une option d'achat (call) sur un indice donne à son détenteur le droit d'acheter cet indice à un niveau fixé à l'avance - le prix d'exercice de l'option - moyennant le paiement d'une prime. Les options de vente donnent un droit symétrique et sont généralement utilisées pour se protéger contre un risque de baisse de l'indice sous-jacent.

Une partie des volumes sur les options de vente peut s'expliquer par le souhait d'investisseurs d'engranger les primes correspondantes, mais une brusque accélération de l'activité sur ce type d'instruments peut aussi signaler un regain d'appétence pour des positions conservatoires, permettant de protéger les gains réalisés avec la hausse de l'indice, selon des analystes.

"Le plus souvent, même dans un environnement comme celui que nous connaissons actuellement où il est si intéressant de vendre la volatilité, vous pouvez raisonnablement faire l'hypothèse qu'il y a des gens qui achètent des options", a dit Jim Strugger.

Les marchés des options sur le Vix se caractérise aussi par un positionnement également élevé sur les calls en dehors de la monnaie, soit des contrats qui ne sont actuellement pas profitables mais qui le deviendraient si la volatilité s'envolait.

"Si la position ouverte sur les options d'achat sur le Vix en dehors de la monnaie est vraiment élevée, j'aurais tendance à penser que le marché est nettement plus enclin à se couvrir" (contre un risque de baisse, NDLR), a dit Aashish Vyas, responsable de la stratégie d'investissement de Swan Global Investment.

"Pour moi, cela est plus important que le niveau absolu du Vix", a-t-il ajouté.

UN SOLIDE BIAIS DÉFENSIF

Le positionnement sur les options sur les fonds indiciels cotés comme le SPDR S&P 500, l'iShares Russell 2000 IWM, le PowerShares QQQ montre aussi un solide biais défensif.

Bien que cela n'annonce pas nécessairement que le marché soit menacé d'un krach imminent comme une brusque envolée du Vix pourrait le faire redouter, cela signifie aussi que les investisseurs ne seraient pas pris de court par un regain de la volatilité dans les prochains mois.

"Je ne pense pas que les marchés cèdent à un excès de confiance", a dit Joe Tigay, responsable du trading chez Equity Armor Investments. "Les investisseurs se sont protégés contre le risque d'une baisse" (des marchés).

Dans un article récent publié sur le site internet de la Réserve Fédérale de New York, des chercheurs de cette antenne de la banque centrale américaine ont souligné qu'en dépit d'une baisse du niveau de volatilité reflétée par les options de différentes échéances, les investisseurs associent un niveau de volatilité bien plus élevé aux options d'échéances lointaines qu'aux options d'échéances plus courtes.

Cela tranche avec la période d'avant la crise financière pendant laquelle les investisseurs exigeaient des primes assez comparables pour s'assurer contre le risque d'une hausse de la volatilité à un an comme à un mois, tenant pour acquis que le calme prévalant sur les marchés se maintiendrait dans la durée, relèvent les auteurs de l'article.

Ils concluent que ce changement dans l'évaluation du risque, nonobstant le faible niveau du Vix, montre que les investisseurs ne sont pas si confiants que cela.

(Marc Joanny pour le service français, édité par Catherine Mallebay-Vacqueur)