« Je voudrais des enfants mais je n’en ai pas les moyens, et ça me met en colère » - Témoignage

Maya* et son partenaire rêvent d’avoir des enfants depuis plusieurs années, mais malgré des boulots stables, ils n’en ont toujours pas les moyens. Elle raconte sa frustration face aux grands discours sur le « réarmement démographique ».

J’ai 31 ans et toute ma vie, j’ai fait « ce qu’il faut ». J’ai été une élève studieuse, j’ai eu une licence, puis un master et j’ai même eu la chance d’enchaîner les boulots dans mon domaine depuis la fin de mes études. Si l’on en croit les prédictions des adultes du début des années 2000, je devrais pouvoir me nourrir et me loger sans difficultés et vivre une vie tranquille, à défaut d’être luxueuse.

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D’autant plus que je ne vis pas seule. J’ai rencontré mon compagnon il y a dix ans et depuis quelques années, le désir d’être parents nous travaille. Mais contrairement à ce qu’on nous avait promis, nous n’en avons tout simplement pas les moyens.

La question n’est pas récente. La première fois que nous en avons parlé, j’avais 27 ans et je me disais, sans prétention, que nous ferions d’excellents parents. Nous vivions alors à deux dans un studio de 20 m2 avec vue sur un parking en banlieue parisienne. Mon mec était en service civique, seul moyen d’être rémunéré dans son domaine associatif, je venais de décrocher mon premier CDD dans la communication et en bossant à temps plein, nous frôlions les 2000 € de budget mensuel à deux. Autant que nous finissions le mois avec plus grand chose dans les poches. Mais la situation était vouée à s’améliorer, n’est-ce pas ? Il suffisait d’attendre un peu, et nous serions prêts à accueillir un nouveau membre dans notre famille. Du moins, c’est ce que je pensais.

4 ans plus tard, notre envie de parentalité est encore plus grande. Nous sommes tous les deux embauchés en CDI et comme bien des trentenaires avant nous, nous pourrions nous dire « jackpot, arrêtons la contraception ! ». D’autant plus que nous gagnons tous les deux un peu plus que le SMIC, respectivement 1700 et 1500 € mensuels. Mais entre-temps, parce que la vie a un sens de l’humour bien cruel, l’inflation et le prix des loyers ont rattrapé la petite augmentation de notre niveau de vie. Les courses coûtent plus cher, l’essence coûte plus cher, se loger coûte plus cher. Nous avons déménagé de notre studio pour un deux-pièces de 40 mètres carrés qui nous coûte un bras - presque l’exact tiers de nos deux salaires réunis -toujours en proche banlieue parisienne, et avec de la moisissure sous le papier peint . Pourtant, il n’y a pas de quoi pleurer dans les chaumières : une fois passées toutes nos dépenses de survie, il nous reste encore de quoi nous offrir une ou deux sorties mensuelles et mettre un tout petit peu de côté, une trentaine d’euros par mois en cas de coup dur.

Mais un enfant, ça coûte plus cher que ce petit surplus qui nous reste. Je ne parle même pas du dérèglement climatique, de l’état des hôpitaux dans lesquels il faudrait accoucher ou de la charge mentale dans le couple - tous ces facteurs, j’arrive à les mettre de côté sans problème quand je pense à mon envie d’agrandir la famille. Mais j’ai épluché les études sur le coût d’un enfant, les modes de garde, les aides qui - heureusement - existent en France, et après bien des migraines, il faut l’admettre : les calculs ne sont pas bons.

Rien que trouver un appartement avec un peu plus de surface ou une chambre de plus nous coûterait plusieurs centaines d’euros supplémentaires et ferait exploser notre budget. Et même si on pouvait rogner sur d’autres postes de dépenses, personne ne nous louerait un appartement plus cher avec nos salaires actuels.

Alors quand j’entends Macron appeler au « réarmement démographique », je ris jaune, très jaune. Combien sommes-nous à travailler à temps plein, à être en âge de procréer, à en avoir envie, et à ne pas pouvoir le faire pour des raisons d’argent ? Et je ne parle même pas de toutes celles et tous ceux qui sont au chômage et qui galèrent à trouver du travail, celles et ceux qui doivent déjà aider leurs parents… J’ai beau m’être toujours imaginée mère de fratrie, il faut se rendre à l’évidence. Mon schéma idéal n’impliquait pas de ne pas pouvoir se payer une sortie en famille, ou de manger des pâtes au sel un repas sur deux.

Quand j’en parle avec les gens plus âgés qui me demandent « C’est pour quand ? » avec un air entendu vers mon ventre, leurs réponses sont toujours plus culpabilisantes. C’est la faute de ma génération si nous faisons des enfants si tard, on se prend trop la tête, « Il faut faire des enfants pour s’ouvrir des portes », (alors que les statistiques leur donnent tort, surtout quand on est une femme). D’après eux, c’est nous qui sommes trop difficiles.

On me donne des solutions toutes faites et jamais réfléchies. « Tu n’as qu’à déménager dans une autre région, la vie en Île-de-France est trop chère » - mais la vie n’est pas automatiquement plus facile ailleurs, et cela impliquerait de s’éloigner de nos familles qui sont ici et qui pourrait prendre le relais. « Tu n’as qu’à aller vivre plus loin en banlieue, pour que ton loyer soit moins cher » - et passer deux heures ou plus par jour dans les transports en commun, super pratique pour ne jamais voir ses enfants. Tous ces conseils à la volée ne font que renforcer ma frustration et ne tiennent pas compte de la réalité suivante : vivre à découvert le 15 du mois avec la boule au ventre, c’est horrible.

Même si je rêve d’avoir des enfants, je rêve de les avoir dans un contexte serein, d’avoir un peu de temps avec eux après le travail, de pouvoir les loger dans un endroit salubre où ils pourront avoir une chambre. De pouvoir acheter de quoi les éveiller intellectuellement, et de les nourrir avec des aliments de qualité. Alors désolée aux boomers en mal de petits-enfants, mais ma génération ne bénéficiera probablement pas des mêmes avantages que la vôtre.

Alors pour l’instant, je serre les dents. Mon mec et moi gardons un œil sur les offres d’emploi en permanence pour pouvoir grimper les échelons un peu plus vite, nous faisons de notre mieux pour performer au travail et avoir des petites augmentations.

Dans le même temps, on nous rabâche que la fertilité baisse après 30 ans. Que plus on attend, moins nous serons des bons parents parce qu’on sera plus fatiguées ou dépassés, et qu’on sera les plus vieux à la sortie de l’école. Sur les réseaux sociaux, je lis que pour s’en sortir, on devrait vivre sans jamais se faire plaisir et que chaque euro gagné devrait remplir un compte épargne pour « investir » ou « acheter », comme si sans héritage ou apport parental en vue, on pourrait un jour devenir propriétaire d’autre chose qu’une place de parking - et encore.

Le résultat, c’est qu’à plus de 30 ans, nous ne pouvons toujours pas nous projeter. On voit nos amis qui abandonnent l’idée d’avoir des enfants et qui essaient de profiter de ce qu’ils peuvent en prenant la vie comme elle vient, d’autres qui deviennent parents avec une aide financière familiale conséquente, au moins pour se loger. Nous ne pouvons pas nous résoudre au premier, nous n’avons pas la possibilité du second. Alors on se dit qu’on n’est quand même pas trop mal lôtis, qu’à deux, on ne vit pas trop mal, et qu’on a encore un peu de temps devant nous. Jusqu’ici, ça suffit mais je ne décolère pas devant cette arnaque qui d’un côté nous met la pression sur la parentalité et de l’autre, nous met le couteau financier sous la gorge.

*Le prénom a été modifié

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