"Ils vont faire l'impasse": dans le privé, la vaccination contre les HPV à la discrétion des établissements

"Je pense qu'ils vont faire l'impasse, ce n'est pas le projet." Ce professeur d'un collège privé sous contrat, et qui souhaite rester anonyme, craint que son établissement ne propose pas la vaccination contre les HPV. Ce lundi 2 octobre, une campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains (HPV) débute dans les collèges.

Les élèves de 5e, filles comme garçons âgés de 11 à 14 ans, sont concernés. Si cette vaccination est généralisée et gratuite, elle n'est pas obligatoire et nécessite l'accord des parents. Et si elle est proposée dans tous les collèges publics, dans les établissements privés sous contrat, ces derniers doivent être volontaires.

"À la rentrée, j'ai distribué à mes élèves tout un tas de documents", témoigne pour BFMTV.com cet enseignant, professeur principal d'une classe de 5e. "Leur régime de sortie, s'ils sont demi-pensionnaires et s'ils s'inscrivent plutôt à la catéchèse ou à la culture chrétienne" - deux enseignements proposés dans les collèges privés.

"Il n'y avait rien au sujet du HPV."

D'après ce professeur, parler de papillomavirus, et donc de sexualité, ne serait pas dans la tonalité de son établissement. Il se souvient d'ailleurs qu'il y a quelques années, un mouvement intégriste conservateur pro-vie avait failli intervenir auprès des élèves. Mais cette visite avait été annulée au dernier moment après la mobilisation des enseignants.

"Une majorité de mes élèves préparent des sacrements, comme la communion ou la confirmation. Même si nous ne sommes que fin septembre, je n'ai encore entendu parler de rien."

"Et ça m'étonnerait qu'ils proposent cette vaccination chez nous."

Une crainte que partage Serge Vallet, le représentant de la CGT-enseignement privé à Caen. "Pour le moment, à notre connaissance, il n'y a pas encore d'établissement privé sous contrat qui propose cette vaccination", observe-t-il pour BFMTV.com.

"Nous avons une mission de service public"

Ce que dément Philippe Delorme, le secrétaire général de l'enseignement catholique. "L'information a été transmise aux familles, il y a des établissements où cette vaccination sera proposée", assure-t-il à BFMTV.com.

"C'est important de pouvoir répondre à la demande des parents s'ils souhaitent que leur enfant soit vacciné."

Dans le collège de Luc Orseno, chef d'établissement du Cours du Sacré Cœur à Ablon (Val-de-Marne), la vaccination contre le HPV sera bel et bien proposée à ses élèves de 5e. "Nous avons transmis l'information aux familles", indique-t-il à BFMTV.com. "Ce sera certainement après les vacances de la Toussaint."

Pour lui, la question ne s'est pas posée. "Nous avons une mission de service public, c'est notre ADN." Mais du point de vue logistique, "ce n'est pas si évident".

"Il faut des locaux, une salle dédiée avec au moins un lit si un élève se trouve mal. On n'est pas équipé pour ce genre de choses."

Philippe Delorme, le secrétaire général de l'enseignement catholique, reconnaît que les établissements n'ont pas tous "la capacité" de répondre à cette demande. "Dans certains petits collèges, les chefs d'établissement n'ont même pas d'adjoint." Et même si ce sont les ARS (agence régionale de santé) qui pilotent l'opération, "cela reste un travail immense".

"Ce n'est pas l'ARS qui assure toute la logistique, contacte les familles, réorganise les cours. On demande beaucoup aux chefs d'établissement."

Le calendrier est en effet organisé par les ARS et les rectorats, et la planification des séances de vaccination se fait entre les structures désignées par l'ARS pour vacciner, notamment les centres de vaccination, et l'établissement concerné, détaille le ministère de la Santé.

Un sujet tabou?

Pour rappel, les HPV, qui font partie des trois infections sexuellement transmissibles les plus fréquentes, sont responsables de plus de 6000 nouveaux cas de cancers par an chez les femmes et les hommes. Le préservatif ne permet pas de s'en prémunir, seule la vaccination protège. Pour Serge Vallet, de la CGT, "les virus qui se transmettent sexuellement, c'est un sujet qu'on ne veut pas aborder dans les établissements privés catholiques".

"Pourtant, les enfants du privé sont les mêmes que les enfants du public, ils se posent les mêmes questions."

Un argument que balaie Philippe Delorme, le secrétaire général de l'enseignement catholique. "Ce n'est pas parce qu'on vaccine un enfant contre une IST que c'est une incitation à une sexualité débridée. Il faut être réaliste, un enfant n'est pas à l'abri d'être contaminé plus tard."

Pas d'autocensure selon lui et pas non plus "d'opposition de principe" même s'il admet que, "peut-être", "à la marge", certains établissements ne proposeront pas cette vaccination. Mais aucune consigne ne leur a été communiquée.

"Cela relève des chefs d'établissement", continue Philippe Delorme, qui rappelle leur "liberté" mais aussi leur "responsabilité".

La "conviction personnelle" des chefs d'établissement

Gilles Demarquet, le président de l'Association de parents d'élèves de l'enseignement libre (Apel), ne se montre pas opposé à cette vaccination. "Tout ce qui permet de simplifier la vie des familles est intéressant", remarque-t-il à BFMTV.com.

Néanmoins, il s'interroge sur le bien-fondé d'une telle campagne. "Est-ce que ça entre dans les missions de l'école que de devenir des centres de vaccination? Je n'en suis pas convaincu." Et rappelle que sa tâche principale, "c'est l'instruction". D'autant que pour le président de l'Apel, cette vaccination n'aurait rien à voir avec les précédentes, notamment contre le Covid.

"Il s'agissait d'éviter de contaminer les personnes fragiles, les grands-parents. Là, on touche à l'intime."

Serge Vallet, le représentant de la CGT-enseignement privé, estime pour sa part qu'en tant qu'enseignant "et personnel de l'État" (les enseignants du privé sous contrat sont rémunérés par l'État, explique le ministère de l'Éducation nationale), "c'est la mission de l'école". Tous les collèges devraient, selon lui, par principe proposer de vacciner les enfants.

S'il souligne que les chefs d'établissement "ont une réelle autonomie" et "ne se feront pas taper sur les doigts par les directions diocésaines", il redoute toutefois que le choix de proposer ou non cette vaccination "ne relève de leurs convictions personnelles".

"Ce sont plus de 17% des élèves à qui on ne va peut-être pas parler du HPV, à qui on ne va pas expliquer les risques pour la santé. Ce serait dramatique. Il faut a minima informer les familles."

D'après la cour des comptes, quelque 2 millions d'élèves étaient scolarisés dans des établissements privés sous contrat à la rentrée 2022 dans un peu plus de 7500 établissements.

Article original publié sur BFMTV.com