Voiture électrique ou électrifiée : une petite différence, de grandes conséquences ?

Alors qu'Emmanuel Macron avait annoncé un objectif de 2 millions de véhicules électriques made in France en 2030, l'accord final inclut les moteurs hybrides.

Les moteurs hybrides font désormais partie de l'objectif gouvernemental (Photo : Getty Images)

Une petite modification qui change tout. Ce lundi 6 mai, trois ministres de la République (Bruno Le Maire, Catherine Vautrin et Roland Lescure) ont rencontré les représentants de l'industrie automobile française pour valider la signature du nouveau contrat stratégique de la filière automobile (CSF), après plusieurs mois de tractations.

Cet "engagement réciproque entre l’État et l’ensemble de la profession", comme le définit Le Figaro, est d'une importance cruciale dans l'évolution du secteur à court et moyen terme. Ratifié en l'occurrence pour la période 2023-2027, le CSF va servir de feuille de route aux différentes branches du secteur, en particulier aux constructeurs.

Ces derniers, réunis notamment au sein de la Plateforme automobile (PFA), sont ainsi directement concernés par l'un des principaux éléments de l'accord, annoncé depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, par l'exécutif : arriver à l'objectif de 2 millions de véhicules électrifiés produits annuellement en France en 2030.

Toutefois, comme n'a pas manqué de le remarquer Capital, le gouvernement semble avoir effectué des modifications en cours de route. Alors qu'au moment de lancer ce chantier, en 2022, la communication gouvernementale s'était fixée un objectif de 2 millions de véhicules électriques à horizon 2030. Finalement, le CSF signé ce lundi évoque donc plutôt des véhicules "électrifiés".

Discret, presque subreptice, ce changement de terme implique une différence majeure par rapport à l'objectif initial, puisque les véhicules à moteur hybride (associant thermique et électrique) entrent désormais, de fait, dans le calcul. Comme l'indique Capital, cette décision d'élargir la comptabilisation semble avoir pour but principal de faciliter la tâche aux grands constructeurs installés sur notre territoire.

Selon le média d'actualités économiques, cette révision sémantique laisse notamment de la "place" à des géants tels que Toyota et Stellantis (ex-PSA), qui ont beaucoup misé sur cette technologie dans leurs stratégies de développement. Le cas du constructeur japonais est particulièrement révélateur : reconnu par le grand public comme un pionnier des moteurs hybrides et toujours en pointe dans ce domaine, Toyota possède aussi, à Onnaing (Nord), la plus grande usine de France en nombre de voitures produites (274 000 en 2023, dont 91% de véhicules à moteur hybride selon France Bleu).

La modification des objectifs gouvernementaux semble aussi répondre à une tendance lourde du marché intérieur. Selon L'Automobile, en 2023, pas moins de 595 242 voitures hybrides ont été vendues en France, en additionnant les différentes formes de motorisation (Full Hybrid, hybride rechargeable et Mild Hybrid, où la partie électrique se réduit à une aide au démarrage). Cela représente 33,5% du total des ventes, presque deux fois plus que la part de l'électrique (16,8%, 298 522 voitures).

Si les consommateurs français semblent davantage séduits par la proposition de la motorisation hybride, notoirement moins contraignante que l'électrique pour les trajets longue distance, force est aussi de constater que la production automobile elle-même reste très timide sur le front du "zéro émission". D'après Capital, sur les 1,5 millions de voitures produites en France en 2023, environ 10% (un peu moins de 150 000 véhicules) étaient équipées d'un moteur électrique.

Ainsi, la décision du gouvernement de passer du terme "électrique" au mot "électrifié" peut aussi être interprétée comme un aveu d'échec par rapport à la stratégie du tout électrique initialement prêchée. Réalistement, il semble en effet inimaginable de passer d'un peu moins de 150 000 voitures électriques produites en France en 2023 à 2 millions en 2030. Les estimations les plus optimistes des experts du secteur culminent d'ailleurs à 827 000 unités pour cette date symbolique.

Du point de vue écologique, argument principal du gouvernement pour demander la réorientation du secteur, la pertinence de l'inclusion de l'hybride ne saute pas aux yeux. Dans une perspective de baisses des émissions de CO2, cela revient ainsi à accepter des moteurs en partie thermiques et donc responsables d'émissions directes à l'utilisation. D'après une étude de l'Institut français du pétrole (IFPEN) pour le gouvernement, les émissions de CO2 provenant des moteurs hybrides "sont inférieures en moyenne de 12% par rapport à un véhicule essence similaire", mais n'en sont pas moins réelles.

Le constat est cependant plus nuancé lorsqu'on prend en compte l'intégralité du cycle de vie d'une automobile, sa véritable empreinte carbone. Les études disponibles en la matière donnent ainsi des résultats surprenants : comme le note L'Auto-Journal, le classement annuel des voitures les plus écologiques établi par l’American Council for an Energy-Efficient Economy a couronné cette année un véhicule hybride (Toyota Prius Plug-in). On compte par ailleurs quatre autres motorisations de ce type dans le top 12, au côté de sept voitures à propulsion 100% électrique.

En définitive, la focalisation sur le type de motorisation a même pour effet délétère d'écarter du débat d'autres facteurs tout aussi déterminants dans le fait qu'un véhicule soit plus ou moins écologique. Le média indépendant Vert rappelle par exemple que le poids et la taille des véhicules ont également un énorme impact et qu'un SUV électrique n'est pas nécessairement moins nocif pour l'environnement qu'une petite voiture à essence.

Ainsi, le fait qu'aucun critère lié aux dimensions des 2 millions de véhicules qui doivent être produits à l'horizon 2030 n'ait été inclus dans le nouveau CSF invite à nuancer l'impact écologique réel que pourrait avoir ce plan en cas de succès. À plus forte raison parce que ce dernier suppose une augmentation significative du volume global de voitures produites en France (1,5 millions en 2023), donc davantage d'émissions à la fabrication.

Tous ces éléments amènent à une conclusion qu'auront sans doute déjà éprouvée les acheteurs de véhicules neufs soucieux des problématiques environnementales : en matière d'automobile, il n'existe pas de solution écologique satisfaisante, seulement des pis-aller. En nous promettant depuis des années une automobile plus verte, qu'elle soit électrique ou "électrifiée", Macron et son gouvernement ne seraient-il pas tout simplement en plein greenwashing ?