Poutine et la télévision en Russie ont le même problème pour parler de Navalny

Principale figure d’opposition au pouvoir en Russie, Alexeï Navalny a été très rapidement évincé de l’actualité par les médias d’États russes.

Le point commun entre ces deux images ? Il s’agit de deux présentateurs russes qui ont évoqué la mort d’Alexeï Navalny en quelques secondes, et sans la moindre photo du prisonnier politique russe décédé vendredi 16 février.

RUSSIE - Un maître-mot : invisibilisation. Vécue en Occident comme une preuve de plus que s’opposer au régime de Moscou est synonyme de disparition à long (voire très long) terme, la mort de l’opposant politique russe Alexeï Navalny n’a pas vraiment connu le même écho médiatique en Russie.

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Pour s’en convaincre, il suffit d’observer comment les chaînes d’État russes ont choisi d’évoquer la disparition de l’ennemi numéro 1 de Vladimir Poutine dans son pays. Comme le rapporte la BBC ce samedi 17 février, soit 24 heures après la mort d’Alexeï Navalny, deux des principales chaînes russes -Pervy Kanal (Channel One) et Rossiya 1- ont plus de trois quarts d’heure pour évoquer sa mort, après l’annonce officielle.

Les chaînes se sont contentées de mentionner sa mort, sans information complémentaire sur qui il était ou sur la raison de son emprisonnement. La BBC précise d’ailleurs que certains présentateurs se sont permis de le présenter comme « Navalny », oubliant jusqu’à son prénom.

Quelques miettes d’informations

Mais le mieux placer pour parler de ce sujet, c’est sans doute Francis Scarr, journaliste de la BBC en Russie, dont la principale mission est parfaitement résumée sur son compte X (anciennement Twitter) : « Regarder la télévision d’État russe pour que vous n’ayez pas à le faire ».

Une tâche qu’il a donc effectuée avec une attention toute particulière ces dernières heures pour analyser la manière dont l’appareil médiatique d’État russe traitait la mort de celui qui se sera opposé à Vladimir Poutine durant treize années.

« La chaîne la plus regardée de Russie (Rossiya 1) commence son journal du soir » en évoquant les combats sur le front ukrainien décrit-il d’abord. Le journaliste ajoute qu’il aura fallu attendre « 41 minutes après le début de l’émission » pour entendre une première évocation du cas Navalny. Une évocation plus que succincte selon ses observations : « un reportage de 35 secondes dans lequel le présentateur se contente de paraphraser les déclarations du service pénitentiaire et de la commission d’enquête ».

Un constat identique à celui observé « au journal télévisé du soir de NTV, la deuxième chaîne la plus regardée de Russie », où la mort d’Alexeï Navalny est enfin évoquée en quelques mots après 32 minutes d’émission. Même son de cloche lors du journal télé du soir sur Channel One : « 33 minutes après le début du programme. Même traitement que sur les autres chaînes ».

Olga Skabeyeva a encore fait mieux : la présentatrice et propagandiste vedette de la télévision russe n’a consacré que 30 secondes d’antenne à la mort du prisonnier politique sur plus de cinq d’heure de temps d’antenne total sur la journée de vendredi.

Un silence presque parfait qui s’est transformé en silence total dès ce samedi, comme le confirme Francis Scarr après avoir vérifié les journaux télévisés matinaux de la télévision d’État. « Il n’y a eu aucune mention d’Alexeï Navalny. Le Kremlin fait de son mieux pour que sa mort soit une non-histoire pour les dizaines de millions de Russes qui reçoivent leurs informations de son réseau », a-t-il tweeté.

De quoi lui faire dire qu’« après la couverture minimale d’hier, il semble qu’ils aient décidé de balayer l’histoire sous le tapis ». Le journaliste britannique signale au passage plusieurs points important concernant cette non-couverture médiatique. D’après lui, le visage d’Alexeï Navalny n’a jamais été montré à l’antenne depuis vendredi matin, les journalistes russes se contentant de parler de lui comme d’un simple « condamné », sans pronocer forcément snon non.

Motus et bouche cousue

En moins de 48 heures, Alexei Navanly aura presque totalement disparu de la société russe telle qu’idéalisée par le Kremlin. Et ce n’est pas la centaine de Russes arrêtés pour avoir voulu lui rendre hommage qui dira le contraire.

Une technique d’omission volontaire qui fait écho à la stratégie bien huilée du Kremlin pour minimiser la portée et l’impact de l’opposant politique dans la vie des Russes depuis de nombreuses années. Comme le rappelait en décembre 2020 Libération, Vladimir Poutine et sa garde rapprochée ne prononcent jamais son nom. Qu’il s’agisse du chef du Kremlin ou de son porte-parole Dmitri Peskov, le nom d’Alexeï Navalny est systématiquement éludé.

Une vérité encore prouvée vendredi, puisque Vladimir Poutine n’a pas prononcé une seule fois le nom de Navaly au cours de cette journée. Pourtant, les occasions n’ont pas manqué, comme en atteste Francis Scarr. « Il a une journée bien remplie d’engagements télévisés mais n’a pas encore commenté la mort de Navalny », observe-t-il sur X.

Car en utilisant des mots comme « cette personne », « ce citoyen », « le blogueur » pour évoquer son cas, le Kremlin a pris l’habitue d’éviter de confronter Vladimir Poutine à celui qui aura été la seule figure d’opposition capable de dénoncer la corruption qui gangrène la Russie. Un mépris stratégique orchestré par Moscou « depuis une dizaine d’années » selon Libération.

Une mise en scène encore à l’œuvre à l’heure de sa mort, comme a pu l’expérimenter Nikolaï Rybakov, « l’un des puncheurs ’libéraux’ régulièrement invités à la télévision d’État russe », selon sa présentation par Francis Scarr.

Présent sur l’antenne de NTV, l’homme a été « gentiment » recadré et interrompu par un « Qu’est-ce que ça a à voir avec ça ? » lorsqu’il a essayé de présenter ses condoléances pour Alexeï Navalny et d’envoyer un message pour appeler à la libération des prisonniers politiques en Russie. Courage, zappons.

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