Vladimir Poutine en Chine : pourquoi Pékin joue à l’équilibriste sur fond de guerre en Ukraine

Pourquoi la visite de Poutine en Chine met Pékin dans une situation très inconfortable (Photo de Xi Jinping à gauche et Vladimir Poutine le 13 novembre 2019)
SERGIO LIMA / AFP Pourquoi la visite de Poutine en Chine met Pékin dans une situation très inconfortable (Photo de Xi Jinping à gauche et Vladimir Poutine le 13 novembre 2019)

INTERNATIONAL - Ménager la chèvre et le chou pour tirer au mieux son épingle du jeu. Dix jours après sa visite à Emmanuel Macron en France, le président chinois Xi Jinping va recevoir un autre dirigeant en la personne de Vladimir Poutine, ces 16 et 17 mai. Il s’agit du premier déplacement pour le président russe depuis sa réélection, sans suspense, le 17 mars dernier.

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Un choix très symbolique pour l’homme fort du Kremlin : c’est à la fois un moyen de prouver l’importance de Pékin pour Moscou, toujours plus isolée depuis le début de la guerre en Ukraine. Mais aussi une façon de souligner leurs relations étroites après la rencontre de Xi Jinping avec Emmanuel Macron.

Dans les grandes lignes, cette visite diplomatique, qui a été annoncée par les deux pays a la dernière minute quelques jours plus tôt, va être l’occasion pour le leader russe de demander à son « cher ami » un soutien un peu plus fort dans sa guerre contre Kiev. Mais malgré leurs excellentes relations, les attentes du Kremlin restent difficiles à satisfaire pour la Chine, qui se retrouve à faire l’équilibriste et ne veut pas franchir de ligne rouge fixée par l’Occident sur le sujet ukrainien.

Une aide indirecte à Moscou

Comme le rappelle au HuffPost le directeur du centre Asie de l’Ifri, Marc Julienne : « la Chine ne transfère pas d’armes létales à la Russie, ça même les Américains le disent. En revanche, Pékin aide l’économie russe ». Et c’est là toute la subtilité de la situation.

Aujourd’hui la Chine est le premier importateur de pétrole russe. Certes, elle l’achète à très bon prix, mais ce faisant, elle injecte également un nombre de devises considérable dans l’économie russe. Dans le même temps, elle exporte également un grand nombre de matières premières, de produits, de biens et de composants électroniques vers la Russie.

Certes elle ne fournit pas d’armes, mais les machines-outils qu’elle exporte à Moscou servent dans les usines pour en produire, tout comme ses semi-conducteurs servent à la confection des processeurs informatiques notamment utilisés dans les systèmes de navigation de missiles ou dans les drones, produits massivement par la Russie. Elle vend d’ailleurs aussi des drones civils à la Russie.

« De facto, la Chine aide l’industrie de défense russe à se maintenir à flot, voire même à se développer », explique Marc Julienne. « Il y a une sorte d’ambiguïté et la Chine joue dans cette zone grise où elle ne s’expose pas aux sanctions internationales, mais en réalité elle tient l’industrie de défense sous perfusion », résume le directeur du centre Asie de l’Ifri.

« Nous ne resterons pas les bras croisés »

Mais même si Pékin respecte les lignes rouges fixées par la communauté internationale, « ça commence tout de même à devenir problématique pour certains, notamment aux États-Unis », souligne l’expert au HuffPost. A fortiori alors que la Russie se retrouve actuellement dans une situation plutôt avantageuse sur le terrain en Ukraine. « D’une certaine manière, c’est aussi grâce à la Chine », et l’Occident veut montrer qu’il n’est pas dupe de la situation.

En effet, à l’occasion d’une visite du chef de la diplomatie russe à la mi-avril, les États-Unis ont prévenu qu’ils tiendraient la Chine pour responsable si la Russie réalisait davantage de gains territoriaux en Ukraine. Ceci juste après que Pékin a renouvelé ses promesses de coopération avec Moscou.

« Nous avons directement dit à la Chine que si elle continue, cela aura un impact sur la relation entre les États-Unis et la Chine. Nous ne resterons pas les bras croisés », a déclaré Kurt Campbell, secrétaire d’État adjoint américain. Washington a déjà formulé des menaces de sanctions envers les institutions financières soutenant l’effort de guerre russe. Un sujet qui a également été abordé lors d’une rencontre tripartite entre Xi Jinping, Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen le 6 mai.

« La Chine et la Russie ont le droit d’avoir une coopération normale », avait rétorqué à Kurt Campbell, Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. « Il ne devrait y avoir ni ingérence ni limites à ce type de coopération et la Chine n’accepte ni critique ni pression à cet égard. »

Partenaire commercial

Une position que Pékin s’obstine à tenir depuis plusieurs mois : balayer les critiques occidentales sur ses liens avec Moscou, mais sans vouloir pour autant lui renforcer son soutien. « Ça n’a l’air de rien, mais reste que l’UE est aujourd’hui le premier partenaire commercial de la Chine, et si son comportement avec la Russie affecte trop la relation, l’Union européenne va finir par prendre des mesures pour faire face à ça », nous explique Marc Julienne.

D’ailleurs, les aides de Pékin à son voisin sont plutôt en baisse ces derniers temps. Après avoir vu les échanges commerciaux sino-russes exploser depuis la guerre en Ukraine, atteignant 240 milliards de dollars (222 milliards d’euros) en 2023, les exportations chinoises vers Moscou ont chuté en mars et avril cette année.

Effrayées par ces menaces de sanctions, qui viendraient porter un nouveau coup à une économie chinoise déjà fragile, les banques du géant asiatique sont devenues récemment plus prudentes dans leurs transactions avec la Russie, les suspendant ou les réduisant.

« Les banques chinoises s’inquiètent de l’impact pour leur réputation et cherchent à éviter de grosses sanctions », souligne Elizabeth Wishnick, spécialiste des relations sino-russes au centre de réflexion américain CNA.

Défendre avant tout ses intérêts

Et tandis que la Chine cherche à apaiser les tensions avec les États-Unis, elle pourrait être réticente à renforcer sa coopération avec la Russie. C’est pourtant l’objet de la visite de Vladimir Poutine ce 16 mai, car, selon de nombreux experts, la Russie est de plus en plus dépendante de son partenaire, face à l’avalanche de sanctions occidentales décrétées en réaction à son offensive militaire.

« Quelles que soient les réelles intentions de la Chine, vouloir en secret aider Vladimir Poutine à gagner la guerre ou non, elle s’aide surtout elle-même, souligne Marc Julienne de l’Ifri. Pékin n’est pas victime de cette situation, elle défend avant tout ses intérêts qui sont : s’opposer à son grand adversaire idéologique, les États-Unis, en soutenant le Kremlin et aider sa propre économie qui en a grandement besoin. Dans tout ça, l’Ukraine ne l’intéresse pas. »

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