"Vive la France", la comédie de Michael Youn qui a tenté de rire du terrorisme

José Garcia et Michael Youn dans
José Garcia et Michael Youn dans

Trublion de M6 devenu une vedette avec La Beuze (2003) et Les 11 Commandements (2004), Michaël Youn est, depuis, passé à la réalisation avec Fatal (2010) et plus récemment Divorce Club (2020). Entre les deux, il a signé Vive la France (2013), sans aucun doute son film le plus singulier, le plus sombre mais aussi le plus politique.

Il y aborde frontalement des sujets d’actualité inhabituels dans son cinéma, comme le terrorisme, le sort des migrants, les dysfonctionnements de l’administration, ou encore les violences policières: "Avec Vive la France, je voulais surprendre, sortir des sentiers battus, proposer un petit dérapage contrôlé." Porté par Michaël Youn et José Garcia, Vive la France raconte les mésaventures de Muzafar (Garcia) et Feruz (Youn), deux terroristes partis en France pour faire exploser la Tour Eiffel:

"C’est un pays, le Taboulistan, qui décide de développer le terrorisme, comme certains développent le tourisme, pour faire parler de lui, parce qu’il n’a inventé que la recette originale du taboulé, qui lui a été piquée par les Libanais", explique Michaël Youn. "On est quand même dans de la très grosse fiction, mais on a été rattrapé par la réalité, parce que Al Qaida et Daesh font aussi des attentats pour faire parler d’eux."

Arrivé à Marseille affublé d’un maillot du PSG, Feruz est attaqué et transporté aux urgences, où on lui retire par erreur un rein. Aidé par une journaliste pour rejoindre Paris, il va découvrir avec Mufazar la France, étrange pays dont il va apprendre à aimer les coutumes et le régionalisme parfois forcené. "C’était une déclaration d’amour à ce pays, qui est en mutation", raconte Michaël Youn.

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Ecrit en 2011 puis tourné au cours de l’été 2012, soit quatre ans avant les attentats de 2015, Vive la France est aussi un film "malheureusement avant-gardiste" - et désormais interdit d’antenne. "Je me souviens de Valérie Boyer, qui s’occupe du cinéma à France 2, et qui a financé une partie du film, qui me regardait avec des yeux tout humides. Elle me disait, 'Je crois Michaël que ton film ne passera jamais à la télé'." La déception de la productrice est à la hauteur de son investissemment: Vive la France a failli ne jamais voir le jour.

Rien à voir avec Borat

Michaël Youn voulait à l’origine prolonger le succès de Fatal avec une comédie sur Christelle Bazooka, la sœur de son rappeur fictif découverte dans le clip Parle à ma main. Il avait abandonné l’idée en découvrant grâce à un ami italien une histoire plus croustillante: "Un attentat devait être commis à Rome. L’avion avait été détourné sur Naples, mais les deux terroristes n’ont pas résisté très longtemps. On en a retrouvé un dans un terrain vague et l’autre a été poignardé par des gamins. Mon pote m’avait envoyé l’info en me disant, 'Si vous voulez faire des attentats en Italie, voilà ce qui arrive'."

Avec ses co-scénaristes Dominique Gauriaud et Jurij Prette, le réalisateur y voit le potentiel pour en faire une bonne comédie qui, précise-t-il, n’a aucun rapport avec Borat, qui suit les mésaventures américaines d’un reporter kazakh sexiste et bigot: "À cause de la moustache et de l'accent, on les a souvent rapprochés, mais ce n’était pas vraiment notre intention. Les sujets sont tellement différents. Qu’est-ce que vous voulez, dans ces pays-là, beaucoup de gens ont des moustaches. Je n’y peux rien!"

La comédie de Sacha Baron Cohen, sortie en 2006, est en effet un cri d’alerte sur la résurgence d’un antisémitisme décomplexé, doublée d’une critique de l’impérialisme américain. Vive la France brocarde de son côté le régionalisme à la française.

"On voulait montrer qu’être français, c'est lié à l’endroit où on est. On dit souvent que l’Italie et l’Allemagne ont un régionalisme très fort. Mais on est un peu hypocrite là-dessus! La France aussi est très, très régionaliste. Dans les provinces, 'être français' veut dire être parisien. Comme personne ne veut se dire Parisien, chaque personne que Feruz et Muzafar croisent en Corse, à Marseille ou au Pays Basque leur dit qu'ils ne sont pas en France! C’est une manière pour eux de lutter contre le centralisme parisien hérité de la révolution française." https://www.youtube.com/embed/n-Y-FYVRSMo?rel=0

Leur tour de Gaule prévoyait également un détour par la Bretagne. La séquence, moins réussie selon Youn, sera retirée au montage. L’écriture de Vive la France se déroule "joyeusement". Michaël Youn peaufine chaque détail: "Il fallait que les mots et les phrases chantent. On essaie toujours de trouver la bonne punchline qui passera à la postérité et qu'on répétera. On essaie à chaque fois d’écrire quelque chose d’aussi fort que 'Touche pas au grisbi, salope!' [dans Les Tontons Flingueurs, NDLR]."

Le paroxysme du dysfonctionnement

Pour composer leur personnage, Michaël Youn et José Garcia travaillent de concert leur accent. "On a fait venir dans les bureaux un acteur turc, un acteur afghan et un acteur algérien. On leur a demandé de lire les textes avec leur accent. On a tout enregistré et avec José on l’a écouté en boucle. Comme c’était un pays imaginaire, il fallait que nos accents soient identiques. On s’était fixé des mots que l’on devait prononcer de la même manière. Il a fallu aussi fabriquer de toute pièce le tabouli, un mélange de turc et d’espagnol. On devait apprendre des lignes de texte dans une langue qui ne voulait absolument rien dire."

Trouver les financements s’avère étrangement plus difficile. "Je n’y serais jamais arrivé sans Gaumont et France 2", indique Michaël Youn. "C’était long. Ce n’était pas un film spécialement coûteux [15 millions d’euros, NDLR], mais pour eux un film sur le terrorisme, ce n’est pas simple. Surtout si c’est une comédie. On a failli ne pas le faire. Sans Valérie Boyer de France 2, on ne le faisait pas."

Son regard souvent mordant sur les dysfonctionnements de la société française - certaines scènes se déroulent dans des centres de détention de migrants - dérange. L’idée de s’attarder pendant la moitié du film sur une ablation du rein subie par erreur par Feruz trouble. Youn insiste pour la conserver. Elle symbolise pour lui le sujet de Vive la France "J'ai eu beaucoup de mal à convaincre la production. Ils voulaient retirer le gag du film, mais pour moi c’était le paroxysme du dysfonctionnement! Tu rentres dans un hôpital et tu ressors avec un rein en moins. C’est l’endroit où le pays devient le plus sombre, comme dans Les Douze travaux d'Astérix ou Brazil de Terry Gilliam."

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Au-delà des gags, Vive la France se termine contre toute attente tragiquement. Après une apparition de Franck Gastambide en marchand d’armes testant ses produits sur ses hamsters, Feruz meurt en voulant empêcher l’attentat fomenté contre la Tour Eiffel. La veille, confiant à Mufazar, son désir de s’installer en France, il avait eu cette phrase d’une ironie terrible: "La France, c’est un pays qui donne envie de s’éclater."

Pourquoi avoir choisi une telle fin? "En vrai? Parce que c’est drôle! Le mec confond son sac avec celui où sont cachées les bombes. C'est sûr que ça choque un peu. Le producteur Alain Goldman m'avait demandé à l’époque d’essayer une fin où il ne mourrait pas. Mais je n’étais pas convaincu. Et ça ne fonctionnait pas autrement. On l’avait imaginé comme ça. C'étaient des terroristes. Il fallait bien qu’il y en ait un qui parte. C’était dans la justice des choses."

"Presque douloureux"

Malgré un ton radicalement différent des autres comédies populaires du moment, Vive la France reçoit un accueil mitigé. Le Parisien salue "une réussite d'humour, de bonnes idées et d'excellentes répliques", tandis que Le JDD regrette une "manque de méchanceté" et "un humour potachissime, épais comme la moustache de nos bergers tabouls incarnés par José Garcia et Michaël Youn, au demeurant en forme".

Le public ne plébiscite pas ce qu’il croit être une parodie de Borat. Seul 1 million de spectateurs se laissent tenter. Disponible en DVD et en VOD, Vive la France n’a jamais été diffusé à la télévision en raison de son sujet. Michaël Youn ne cache pas sa déception: "C’est presque douloureux pour moi. Le film a été acheté par une chaîne qui devait le diffuser et ne l’a pas diffusé. C’est un crève-cœur que ce film ne soit pas plus connu que ça."

Il sait pourtant que le film n’aura jamais le statut de La Beuze ou de Fatal. "On m’arrête dans la rue encore tous les jours pour me parler de Fatal, mais rarement pour me parler de Vive la France. Ça m'arrive quelquefois. Les gens avaient vraiment aimé, sans doute parce qu’il est plus tendre, plus aigre-doux. Je suis content de l’avoir fait. Je l’ai fait à une période heureuse de ma vie. Je l’ai fait avec ma femme. Ma fille venait de naître. Il y a le fils de ma femme. Il y a des potes."

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L’accueil réservé à Vive la France est-il le résultat de son image de trublion? "Cette image de trublion qui court à poil avec un mégaphone, elle est juste, puisque c’est quelque chose que j’ai créé. J’en ai plus joui que souffert. Si je n’avais pas eu cette image, je n’aurais sans doute pas fait tout ce que j’ai fait depuis. Je suis rentré en défonçant la porte, en faisant plus de bruit que le voisin."

"Je porte un regard particulier sur mon travail"

Il sait cependant que la rapidité de son ascension brouille la perception de son travail: "J’ai construit ma personnalité artistique en même temps que les gens me regardaient la construire." Il ajoute: "On pense que je fais juste des trucs débiles. Ce n'est pas agréable, mais ce n’est pas grave. C'est à moi de continuer à me battre. Je revendique cette régression, dans laquelle je prends beaucoup de plaisir. Mais je suis Français. Je crée dans un pays où l’élite est snob."

Les mauvaises critiques suscitées par son travail ne l’atteignent toutefois pas. "La seule chose que je sais, c’est que je fais sérieusement mon travail, parce que je l’aime à la folie. J'espère le faire le plus longtemps possible et je fais tout pour ça. Quand j’en serai à mon dix ou onzième film, j’espère qu’on se dira que si je suis encore là c’est que j’ai travaillé. Mais je n’ai pas d’angoisse là-dessus. J’en ai eu à un moment. Je ne vais pas vous mentir. Il y a eu un moment où je pensais que c’était important d’avoir de la reconnaissance de la part de mon métier ou de la presse. Je n'en ai pas eu. Ce n’est pas grave."

Alors il s'accroche. Il multiplie les projets. Il était au printemps au Pirée où il faisait des repérages pour l’adaptation du roman Avec vue sous la mer de Kader Slimane, une comédie noire située dans les cales d'un bateau de croisière. Il cherche à financer son adaptation de Rahan avec Arnaud Ducret. "On l’adapte en comédie, avec un petit décalage, mais en respectant l’œuvre et les personnages", prévient-il. Il écrit aussi une série d’après Lucky Luke de Morris et Goscinny. Et il va tourner prochainement BDE, une comédie sur quatre potes d’école de commerce qui se retrouvent vingt ans après. Une manière de se mesurer au film culte de sa génération, Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré.

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Article original publié sur BFMTV.com