Viols, agressions... Les hôpitaux sont-ils assez protégés?

Ce jour-là, son idée était de s'attaquer à une personne vulnérable. En garde à vue, il évoquera ses pulsions. Aux enquêteurs pendant l'instruction, il fera part de sa volonté de s'en prendre à des enfants en pénétrant dans l'enceinte de l'hôpital Max-Fourestier à Nanterre. N'en trouvant aucun sans surveillance, il s'est "rabattu" sur deux femmes âgées, deux femmes de 78 et 70 ans qu'il a violées ce jour-là.

Ce SDF de 27 ans, soupçonné également d’avoir violé une fillette de 12 ans, vient d'être renvoyé devant la cour criminelle des Hauts-de-Seine pour ces deux viols. Dans l'ordonnance de mise en accusation, le juge d'instruction a pris en compte la vulnérabilité des victimes. Une enquête se poursuit pour "mise en danger de la vie d'autrui", cette fois-ci, c'est l'hôpital qui est visé par la procédure.

"Soigner des gens c'est bien, s'ils ressortent dans un état pire, ça n'a aucun intérêt", déplore Me Amelle Bouchareb, l'avocate d'une victime.

Des patients vulnérables

Ce 27 juillet 2022, Agnès*, 78 ans, est soignée pour une mauvaise chute au service de médecine interne situé au rez-de-chaussée de l'hôpital. Quelques jours plus tôt, elle s'étonne de voir apparaître à la fenêtre le visage d'un homme qu'elle ne connaît pas et prévient le personnel soignant. L'homme finira par revenir dans sa chambre qu'elle partage avec une autre patiente âgée. Il regarde Agnès, lui fait "chut" du doigt, arrache sa couche et la viole.

La vieille dame a seulement le réflexe de saisir le sexe de son agresseur pour conserver des preuves. L'homme est interrompu par deux infirmières, alertées par les cris des deux patientes. Mais il parvient à prendre la fuite et s'en prend quelques minutes plus tard à une autre malade, âgée elle de 70 ans. Il sera interpellé quelques jours plus tard.

Comment cet homme a-t-il pu déambuler dans le centre hospitalier sans être inquiété? Avait-il repéré ses victimes? Isabelle* est certaine que dans son cas son agresseur avait le projet de la violer avant même son entrée à l'hôpital. Ce 28 octobre 2022, il est 00h30 quand elle est admise aux urgences de l'hôpital Cochin à Paris. Cette jeune femme de 34 ans souffre d'un traumatisme crânien à la suite d'un coma éthylique dans la rue alors qu'elle passe la soirée dans un bar avec des amis. Elle est prise en charge par les pompiers.

Au cours de la soirée, un homme la repère. Il a 23 ans et est sous le coup de trois OQTF. Lui aussi simule un malaise et se fait embarquer par les secours. Arrivée aux urgences de Cochin, Isabelle est placée dans un box individuel le temps qu'un médecin vienne la voir. L'homme est placé dans un autre box, mais rôde dans les couloirs, dans les chambres. Plus tard, alors que la trentenaire se trouve "dans les vapes", elle est réveillée par une douleur. L’homme est en train de la violer. Il sera interpellé une heure plus tard. Lui aussi sera jugé cette année par une cour criminelle départementale.

Dans ces deux affaires, la responsabilité de l'établissement hospitalier est pointée par les victimes, considérant un manque de sécurisation. Une enquête est toujours en cours pour "mise en danger délibérée de la vie d'autrui" concernant l'affaire de Nanterre et une plainte avec constitution de partie civile pour "mise en danger de la vie d'autrui" et "blessures involontaires" contre l’hôpital Cochin.

Aujourd'hui, les proches de ces deux victimes les décrivent comme "traumatisée". L'une ressassant le fait de "vivre l'une des pires choses" qui pouvait lui arriver à "la fin de sa vie", la seconde "recroquevillée chez elle" mais tentant de "se reconstruire".

Quand les soignants donnent l'alerte

Au centre hospitalier universitaire Purpan à Toulouse, ce sont les soignants qui lancent l'alerte. Samedi 10 février, une jeune fille de 18 ans, admise aux urgences, a été violée par un homme là encore extérieur à l'établissement. Elle a été abordée alors qu'elle fumait une cigarette devant le hall d'accueil par un homme disant chercher les toilettes. L'accompagnement jusqu'aux lieux, l'homme, un SDF de 27 ans, en a profité pour la violer.

Deux syndicats ont déposé une alerte pour danger grave et imminent. Il s'agit d'une procédure de protection pour les soignants afin d’alerter la direction, les autorités des répercussions en terme de santé physique mais aussi mentale. Des proches des soignantes qui étaient présentes le soir où le viol s’est produit ont expliqué à BFMTV.com qu’elles étaient toujours choquées, qu’elles n’arrivaient pas à en parler sans pleurer.

"Réguler l'accès aux urgences" plutôt que soigner

Selon l'Observatoire national des violences en milieu de santé, il y a eu 190 agressions sexuelles et 27 viols en milieu hospitalier en 2020, 203 agressions sexuelles et 19 viols en 2021. Le rapport de cet organisme dépendant du ministère de la Santé ne précise pas quelle est la part de patients victimes et celle de soignants victimes. Majoritairement, ces agressions ont lieu en service de psychiatrie, en Ehpad et aux urgences. Pour les soignants, ces situations s'expliquent en grande partie par un manque de personnel.

"Il n'est pas possible de sécuriser tous les patients quand les services sont engorgés", reconnaît un infirmier de l'AP-HP, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Il déplore qu'aujourd'hui son travail consiste à "réguler l'accès aux urgences" plutôt qu'à soigner faute de lits et de personnels.

Au CHU de Toulouse, un second signalement a été réalisé le soir du 10 février. Une enquête a été ouverte sur une suspicion d'agression sexuelle d'une patiente admise au service psychiatrique. "La moitié des lits de ce service a été fermée alors qu'on fait face à un afflux de patients", souffle une soignante. "Il nous arrive de devoir 'contentionner' des patients en dehors de tout ce que préconisent les bonnes pratiques, des patients qui vont rester sur des brancards au milieu des autres malades, des patients et surtout des patientes qui ne sont pas à l'abri et qui ont toutes les chances de subir une agression."

La direction de l'établissement toulousain a rappelé que depuis 2016 un plan de sécurisation est déployé avec 150 agents de sécurité mobilisés et près de 600 caméras de vidéosurveillance installées. Elle a proposé un renforcement des rondes des vigiles autour du bâtiment des urgences quand il y a trop d'affluence. "En urgence pour répondre à la situation, la réponse passe par une augmentation des effectifs", explique-t-on du côté du syndicat SUD. "Plus vous mettez de patients dans un service, moins il y a de personnel, il est clair que vous allez droit dans le mur", abonde un infirmier parisien.

"Plus on sera nombreux, moins il y aura d'actes de violences", poursuit-il.

"Prévoir des fonctionnaires de police"

Depuis 2016, tous les établissements de santé sont assujettis à l'élaboration d'un plan de sécurisation des établissements, explique la Direction générale de l'offre de soin du ministère de la Santé. Un plan qui passe par des moyens de sécurisation comme un zonage des secteurs, un meilleur éclairage, un contrôle des entrées et des sorties ou encore l'installation de caméras de vidéosurveillance. Des conventions dites "santé-sécurité-justice" qui permettent de faciliter les liens entre les institutions.

"Le problème des pouvoirs publics, c'est qu'ils pensent que les hôpitaux publics ne méritent pas d'être protégés", déplore Me Alexandre Lobry qui représente avec Me Laura Abecassis, la victime de l'hôpital Cochin.

"Si on n'est pas amené à avoir une surveillance des entreprises privées, on devrait prévoir des fonctionnaires de police au sein des hôpitaux comme dans certains établissements publics." "Il est important de noter que l'hôpital est un lieu ouvert, qui se doit de rester accessible aux patients", explique-t-on du côté du centre hospitalier de Montauban. "Dans notre démarche, nous devons donc parvenir à concilier l’accessibilité et la sécurité."

Dans la convention de l'établissement, il est prévu qu'en plus de la présence de vigiles, des patrouilles de police soient effectuées régulièrement. Mis en place en 2017, et actualisé en 2022, ce plan a été financé à hauteur de 180.000 euros et il a permis de renforcer le système de vidéosurveillance, de mettre en place des boutons d'alarme. Actuellement, un système de contrôle d'accès avec badges est en cours de déploiement.

Il y a ces cas de violences sexuelles sur des malades vulnérables, qui sont parfois sans souvenirs, il y a aussi des cas de violences, de vols entre patients. "J'ai déjà eu un monsieur qui m'appelait quand j'étais de garde pour me prévenir que sa femme, hospitalisée, venait de le prévenir que son sac avait été fouillé pendant qu'elle dormait", explique une infirmière parisienne. "On ne peut pas avec du personnel devant chaque porte de chambre."

Et à son collègue de conclure: "Les hôpitaux sont une petite ville et sécuriser une petite ville, c'est compliqué. Comme dans la rue, si quelqu'un veut vraiment faire du mal, il y arrivera."

*Le prénom a été modifié.

Article original publié sur BFMTV.com