Violences intrafamiliales : « ce grand rapport parlementaire qui accouche d’une souris »

Le rapport parlementaire pour améliorer la prise en charge judiciaire des victimes de violences intrafamiliales est jugé décevant par la Fondation des femmes.
Le rapport parlementaire pour améliorer la prise en charge judiciaire des victimes de violences intrafamiliales est jugé décevant par la Fondation des femmes.

VIOLENCES CONJUGALES - Une « réponse décevante » aux attentes des femmes victimes de violences. Selon un communiqué de la Fondation des femmes, les 59 mesures présentées dans le rapport parlementaire sur les violences intrafamiliales, détaillées par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti en début de semaine, sont « une occasion manquée d’envisager l’ensemble des violences masculines ».

Alors que les plaintes pour violences conjugales ont augmenté de 60 % depuis #MeToo, ce rapport, remis par la députée Renaissance Émilie Chandler et la sénatrice UDI Dominique Vérien, est censé proposer des mesures pour améliorer le traitement judiciaire des plaintes pour les violences intrafamiliales.

« Pôles spécialisés » dans les tribunaux, ordonnances de protection délivrées en 24 heures, bracelet anti-rapprochement nouvelle génération… Ces propositions des parlementaires feront l’objet de décrets ou de projets de loi dans les prochains mois.

Si le rapport « reprend des propositions des associations et dresse des constats déjà connus », il « manque clairement d’ambition politique pour apporter une réponse judiciaire aux violences », signale Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes que nous avons contactée par téléphone. « Il doit y avoir des mesures d’efficacité. Jusqu’à présent, le gouvernement n’en a pas fait. Ils font un grand rapport qui accouche d’une souris. »

Pôles spécialisés ou tribunaux ?

Aujourd’hui, les femmes victimes de violences conjugales font face à un labyrinthe judiciaire, selon la présidente de la fondation : « Elles entament plusieurs procédures auprès de plusieurs instances. Une plainte au pénal pour violence, une plainte au civil pour le divorce, une plainte au juge aux affaires familiales pour les enfants… C’est une myriade de juges et de procédures parallèles qui ne sont pas forcément coordonnés. »

Pour simplifier cette justice « compliquée, inaccessible et coûteuse », dixit la présidente, le gouvernement a confirmé la création de pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales, dans les 164 tribunaux de France. Une mesure déjà annoncée par Élisabeth Borne en mars dernier. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs dit favorable à des « pôles juridictionnels spécialisés » lors de sa campagne présidentielle de 2022.

Cette promesse floue avait laissé espérer la création de tribunaux spécialisés dans le traitement des violences faites aux femmes, comme le souhaite la Fondation des femmes et d’autres associations féministes. Mais les mesures proposées dans le rapport ne comblent pas ces attentes. On sait pour l’instant que chaque pôle disposera d’une équipe coordonnée par des magistrats référents du siège et du parquet, avec une adaptation aux spécificités locales. « On ne change rien mais on fluidifie l’information. En clair, le gouvernement propose que les juges se parlent entre eux et fassent des réunions », tacle Anne-Cécile Mailfert.

Selon elle, la création de tribunaux spécialisés permettrait aux « juges de décider en même temps, au même endroit, des conditions du divorce, de la garde… » Un modèle basé sur ce qui se fait en Espagne et qui a prouvé son efficacité : les féminicides ont baissé de 30 % depuis l’instauration de ce dispositif, en parallèle d’autres mesures, en 2004.

C’est d’ailleurs le modèle espagnol qui a inspiré la proposition de loi du député LR Aurélien Pradié, adoptée par l’Assemblée en décembre dernier et qui prévoit la création d’une « nouvelle formation de jugement, le tribunal des violences intrafamiliales, et [d’]une nouvelle fonction, le juge aux violences intrafamiliales ». Avec un triple objectif : « faciliter les démarches des victimes en créant un juge compétent à la fois sur le volet civil et le volet pénal, accélérer le traitement des affaires et uniformiser les pratiques sur le territoire. »

À l’époque de son vote à l’Assemblée, Éric Dupond-Moretti avait qualifié la proposition de « danger » et « d’hérésie ».

« Des notions clefs très problématiques ne sont pas mentionnées »

Outre la déception autour des pôles spécialisés, selon la Fondation des femmes, le rapport est une « occasion manquée d’envisager l’ensemble (...) des violences post-séparation ». Si le rapport propose notamment le renforcement du dispositif du téléphone grave danger et une amélioration du fonctionnement technique du bracelet anti-rapprochement, certaines « notions clefs très problématiques ne sont pas mentionnées », selon Anne-Cécile Mailfert, parmi lesquelles le délit de non-représentation d’enfant.

« Quand il y a une garde partagée, si l’un des deux parents ne présente pas l’enfant, c’est un délit avec peine immédiate. Mais c’est utilisé à mauvais escient par des pères incestueux ou violents pour obliger les mères à amener leur enfant », explique la présidente de la fondation avant de continuer : « Pour protéger leur enfant, des mères qui ne l’ont pas présenté au père sont aujourd’hui en prison. »

Le rapport ne dit rien non plus sur les pères violents ou incestueux qui accusent les mères d’inventer les violences et d’influencer leur enfant afin qu’il raconte la même chose. Ce qu’on appelle le « syndrome d’aliénation parentale ». « Ce n’est pas un vrai syndrome. Et c’est utilisé par des pères très pervers. Mais le gouvernement n’a pas prévu d’agir dessus », déplore-t-elle.

« On a juste à copier nos voisins »

Anne-Cécile Mailfert souhaite également un suivi des auteurs de violences. Là aussi, le modèle espagnol fait figure d’exemple : « Ils ont un fichier qui permet de suivre les hommes violents. À nouveau, un peu d’humilité : si nos voisins arrivent à faire des choses qui fonctionnent, on a juste à les copier. »

Sur ce point, la mission parlementaire propose justement de « mettre en place un fichier proche du fichier espagnol VioGén en ce qu’il permettrait, sur la base d’un calcul algorithmique, l’évaluation du risque de passage à l’acte et un suivi en conséquence ».

« L’explosion des plaintes pour violence montre que les femmes ont cru en la justice », analyse Anne-Cécile Mailfert, pour qui le contexte n’a jamais été aussi favorable aux changements : « On a des gens qui veulent changer les choses, des états généraux de la justice, qui est dotée de moyens historiques… C’est aussi un sujet sur lequel des lois transpartisanes peuvent être votées à l’Assemblée. Mais il ne se passe rien. »

Selon la présidente de la Fondation des femmes, « il y a un refus un peu idéologique. Pour le gouvernement, il n’y a pas de raisons que les violences faîtes aux femmes soient un sujet spécifique. Il y a un refus de la prise de conscience, et un ministre de la Justice qui doute clairement de l’existence des violences conjugales. »

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