Une vidéo de TF1 sur une "récompense" en cas d'accouchement avant les Jeux olympiques de Paris ? C'est faux

A l'approche des Jeux olympiques de Paris, dont l'inauguration aura lieu le 26 juillet, des internautes partagent sur les réseaux sociaux une vidéo consacrée à une prétendue recommandation du ministère de la Santé. A en croire cette séquence portant le logo de TF1, qui a notamment été partagée par des comptes pro-Kremlin, les "Parisiennes" devant accoucher fin juillet se verraient incitées par les autorités à accoucher avant la cérémonie d'ouverture pour libérer des places dans les hôpitaux - et bénéficier en échange d'une prise en charge "à hauteur de 50%" de leurs frais médicaux. Mais c'est faux : joints par l'AFP, TF1 dénonce une usurpation de son identité et le ministère de la Santé déplore une "vidéo manipulatrice". De plus, en France, les frais d'accouchement dans les hôpitaux ou cliniques conventionnées sont pris en charge intégralement jusqu'à 12 jours après la grossesse.

"Les [Jeux olympiques] ont apporté leurs propres ajustements aux dates d'accouchement des Françaises. Non aux 38 semaines imposées par la nature ! Elles doivent accoucher avant le début des Jeux", soutient la légende d'une vidéo portant le logo de la chaîne TF1, partagée par différents internautes sur Facebook (1, 2, 3, 4) et X en avril 2024.

Le texte défilant au cours de cette séquence d'un peu plus d'une minute prétend détailler les causes de cette situation étonnante : "Le ministère de la Santé a émis une recommandation à l'intention des parisiennes qui prévoient d'accoucher à la fin du mois de juillet 2024. Selon la recommandation, les femmes dont la date d'accouchement se situe entre le 22 et le 28 juillet devraient accoucher avant le 26 juillet [date de la cérémonie d'ouverture des JO]. "

<span>Captures d'écran réalisées sur Facebook (à gauche) et X (ex-Twitter, à droite), le 17 avril 2024. </span>
Captures d'écran réalisées sur Facebook (à gauche) et X (ex-Twitter, à droite), le 17 avril 2024.

"Si l'accouchement a lieu jusqu'au 25 juillet inclus, les femmes seront remboursées par l'Etat à hauteur de 50% des frais médicaux", avance encore ce texte, avant de citer de supposés propos tenus par la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, images télévisées de l'intéressée à l'appui : "Catherine Vautrin, ministre de la Santé, note que cela n'affectera ni la santé de la femme qui accouche, ni celle du bébé. 'Une telle approche responsable de la part des futures mères permettra de libérer quelque 500 lits dans les hôpitaux parisiens à temps pour le début des jeux olympiques'".

La vidéo se conclut enfin sur l'évocation d'un autre scénario potentiel, les femmes enceintes ayant accepté d'accoucher "dans d'autres régions de France" pour désengorger les services hospitaliers parisiens se voyant proposer par le ministère, toujours selon cette vidéo, une "compensation de 25% du montant dépensé pour les services médicaux".

Mais c'est faux : le ministère de la Santé a indiqué à l'AFP, le 17 avril 2024, que tout ce qui est dit dans la séquence "est totalement faux", tout en condamnant "ce genre de vidéo manipulatrice".

Contacté par l'AFP le 16 avril 2024, TF1 a pour sa part indiqué qu'il ne s'agit pas "[d']une vidéo TF1" et dénoncé une "usurpation".

Enfin, contrairement à ce qu'avance la vidéo sur la question du remboursement des frais médicaux, en France, comme le rappelle le site de l'Assurance maladie, l'accouchement dans les hôpitaux ou cliniques conventionnées est pris en charge intégralement : "Les frais d'accouchement (honoraires d'accouchement, péridurale) et les frais de séjour, dans la limite de 12 jours sauf les frais pour confort personnel (chambre particulière, télévision...) sont pris en charge à 100% et sont remboursés directement à l'établissement par [la] caisse d'assurance maladie".

Des images tronquées de Catherine Vautrin

Une recherche inversée d'image sur les extraits d'interview de Catherine Vautrin permet en outre de constater qu'elles sont tirées d'une intervention de la ministre sur Franceinfo, en date du 28 mars 2024 (lien archivé) - et non pas d'un passage sur TF1.

Comme on peut par ailleurs le voir en regardant cette interview du 28 mars ou en lisant sa retranscription sur le site Vie Publique (lien archivé), Catherine Vautrin n'y a jamais évoqué ni les Jeux olympiques, ni une prétendue recommandation du ministère sur les dates d'accouchement des grossesses prévues fin juillet. Son intervention portait essentiellement sur la réforme de l'assurance chômage ou encore sur le remboursement de soins médicaux.

Ainsi qu'a pu l'observer l'AFP, plusieurs des occurrences de la fausse vidéo de TF1 ont été partagées par des pages spécialisées dans le partage de contenus pro-russes.

L'une des publications Facebook repérées par l'AFP, en date du 10 avril 2024 et émanant d'un profil relayant la rhétorique du Kremlin, clame notamment son soutien à "l'action de dénazification de Mr Poutine" en Ukraine, et invite à suivre la "nouvelle chaîne @boriskarpovrussie".

On trouve de fait la même vidéo, mais en date du 9 avril, sur le canal Telegram correspondant, qui relaie également de nombreux contenus reprenant le discours du Kremlin.

Ce type de vidéo usurpant l'identité d'un média francophone reconnu n'est pas nouveau : depuis le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, des sites pirates ont répliqué l'identité graphique de nombreux médias européens (The Guardian, Bild, 20 Minutes, Le Monde...) pour partager des articles au narratif pro-russe et anti-occidental, dans le cadre d'une opération d'influence surnommée "Doppelganger".

L'AFP avait notamment consacré des articles de vérification à de fausses vidéos de 20 Minutes et du Monde liées au conflit en Ukraine - et, en janvier 2024, à "Matriochka", autre campagne de désinformation anti-ukrainienne à destination des médias occidentaux, qui consistait en plus à interpeller directement les médias pour leur faire vrifier des infox.

TF1 figurait en outre, ces derniers mois, parmi les médias français dont certains contenus vidéo ont été détournés dans des publications Facebook faisant la promotion de sites d'investissement en cryptomonnaie ou de jeux d'argent.

<span>Les anneaux olympiques sur l'esplanade du Trocadéro, à Paris, le 14 septembre 2017. </span><div><span>LUDOVIC MARIN</span><span>AFP</span></div>
Les anneaux olympiques sur l'esplanade du Trocadéro, à Paris, le 14 septembre 2017.
LUDOVIC MARINAFP

L'Azerbaïdjan, récemment accusé par Paris d'avoir mené une campagne d'influence contre les JO

En novembre 2023 (lien archivé), Paris avait accusé des acteurs liés à l’Azerbaïdjan d’avoir mené fin juillet une campagne de désinformation visant à porter atteinte à la réputation de la France dans sa capacité à accueillir les Jeux olympiques, qui doivent se tenir du 26 juillet au 11 août 2024.

Selon un rapport de Viginum, l’organisme de lutte contre les ingérences numériques étrangères, que l'AFP a pu consulter, les investigations ont démarré le 26 juillet lorsque "plusieurs visuels appelant à boycotter les JO", massivement partagés sur le réseau social X, ont été détectés.

L’investigation a été menée dans un contexte de tensions diplomatiques entre Paris et Bakou. La France s’est impliquée ces derniers mois dans la médiation entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, deux ex-républiques soviétiques en conflit. La France a en outre affiché son soutien à l’Arménie, qui redoute une violation de son intégrité territoriale, une prise de position qui lui a valu des critiques acerbes du président azerbaïdjanais, Ilham Aliev.

"Mettant en scène des images d’émeutes ou de la ville de Paris, ces publications faisaient également figurer sur chaque contenu le logo des JO, trois comptes X officiels des JOP-24 et deux hashtags #PARIS2024 et #BOYCOTTPARIS2024", détaille Viginum dans son rapport.