Vallaud-Belkacem compare la polémique belge sur l'éducation sexuelle à celle des "ABCD de l'égalité"

Comme un air de déjà-vu. La rentrée scolaire belge est émaillée d'incidents liés à une polémique sur des cours d'"éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle", entre écoles brûlées et manifestations. De quoi rappeler la polémique autour des "ABCD de l'égalité" défendus par Najat Vallaud-Belkacem en 2013 sous la présidence de François Hollande.

"On est dans des situations très proches avec les mêmes arguments, les mêmes acteurs, la même histoire. C'est frappant", juge l'ancienne ministre aux Droits des femmes auprès de BFMTV.com.

Une initiative très contestée

En Belgique, où l’éducation à la vie amoureuse est obligatoire depuis 2012 mais pas forcément appliquée dans les établissements, la ministre francophone de l'Éducation Caroline Désir a décidé de la relancer. Depuis, la Belgique francophone fait face à une vive polémique.

Fake news, pétitions, manifestations, écoles dégradées et incendiées... Cette animation scolaire de deux heures par an d’"éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle" (Evras) obligatoire en 6ème et en 4ème mais également ouverte aux autres niveaux est l'objet de toutes les critiques.

La Belgique avait pourtant veillé à cadrer le débat. Le projet de décret validant ce programme a été approuvé au Parlement début septembre.

"C'est intéressant parce que nous, nous avions fait le choix de l'expérimentation avant d'éventuellement passer par la loi. Certains parents nous avaient accusés de faire de leurs enfants des rats de laboratoire à l'époque", se souvient Najat Vallaud-Belkacem.

"On voit qu'en Belgique, avec un texte qui est passé par les élus, le discours de protestation est pourtant le même", remarque encore celle qui dirige désormais l'ONG One.

Un sujet explosif en pleine Manif pour tous

Le programme Evras, qui dispose d'une plateforme très détaillée, a ainsi cadré en amont les échanges entre enseignants et élèves. Chaque tranche d'âge aborde ainsi des thématiques différentes. De 3 à 5 ans, les professeurs sont par exemple amenés à évoquer "les parties du corps" et l'intimité avant de se pencher entre 5 à 8 ans sur "les différences" et le "consentement".

En France, le programme lancé en 2013 était plus flou. Sans cours supplémentaires, les ABCD de l'égalité, qui visait à lutter contre les stéréotypes entre les filles et les garçons, cherchaient surtout à cadrer des pratiques scolaires. Le corps enseignant était par exemple encouragé à organiser des séances de sport visant la mixité.

Mais en pleine Manif pour tous, qui cherchait à contrer le mariage entre couples de même sexe que voulait autoriser François Hollande, le sujet devient très vite explosif.

Rumeurs de peluches en forme de vulve

En janvier 2014, un mouvement de "journées de retrait de l'école" était lancé sur les réseaux sociaux par Farida Belghoul. Cette proche de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, et ex-figure de la marche des Beurs, avait appelé à retirer son enfant de l'école une fois par mois.

Soutenue par Béatrice Bourges, la fondatrice du Printemps français, une émanation de la Manif pour tous, l'initiative visait à dénoncer la "théorie du genre", s'inquiètant de "cours d'éducation sexuelle dès la maternelle" qui viseraient à "détruire le modèle hétérosexuel de la famille".

Farida Beghoul expliquait encore que les enseignants allaient distribuer des peluches en forme de vulve ou de pénis et proposer des modules d'éducation sexuelle "avec démonstration".

"Les tensions sont montées de plusieurs crans en dix ans"

Opération réussie: une centaine d'écoles avaient été perturbées en France sur 48.000 établissements. En Île-de-France, 30% d'élèves avaient manqué des cours dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis. Certains membres de la FCPE, une association de parents d'élèves, opposée au boycott, avaient même été menacés physiquement.

En Belgique, l'histoire se répète. De nombreuses fake news circulent en ligne sur ce programme d'éducation sexuelle. Alimentées par les communautés catholiques et musulmanes, ces fausses informations décrivent l'Evras comme un programme permettant "la pédophilie organisée et banalisée".

Huit écoles ont depuis ont été vandalisées ou incendiées. Des tags "No Evras" sur plusieurs d'entre elles ont été retrouvés et la justice belge a ouvert une enquête pour "incendies criminels".

"Les tensions sont montées de plusieurs crans en l'espace de dix ans. Ce ne sont plus 'seulement' des menaces et des manipulations mais des gens qui vont mettre le feu à des écoles. C'est encore bien plus grave", regrette Najat Vallaud-Belkacem.

"Complètement inadmissible de faire peur aux parents"

Le gouvernement belge essaie désormais de faire redescendre la pression, sans guère de succès pour l'instant. Pas question pourtant dans ce programme d'enseigner ou de pratiquer le moindre acte sexuel, comme certains détracteurs du programme le dénoncent, ni même de consulter des images pornographiques.

"J'ai lu qu'on allait 'apprendre aux enfants à se masturber', c'est complètement inadmissible de faire peur aux parents sur ce sujet", a tranché Caroline Désir, la ministre francophone de l'Éducation, la semaine dernière sur la RTBF.

En France, à l'époque, Vincent Peillon, alors ministre de l'Éducation nationale, avait tenu des propos similaires.

Il avait dénoncé "les instrumentalisations de ceux" qui sont "en train de vouloir répandre l'idée que l'école voudrait "apprendre aux petits garçons à devenir des petites filles".

Les ABCD de l'égalité finalement abandonnés

Le patron de la rue de Grenelle avait demandé aux directeurs d'écoles de convoquer les parents d'élèves qui avaient manqué l'école pour leur rappeler son aspect obligatoire.

Le Conseil français du culte musulman était lui aussi monté au créneau, en appelant les parents d'élèves à renouer le dialogue avec les chefs d'établissements pour permettre "un retour rapide de leurs enfants à l'école".

"On est fier des ABCD, on ne les abandonnera pas", avait avancé à l'époque Vincent Peillon. En réalité, six mois plus tard, les ABCD de l'égalité avaient finalement été remplacés par "un plan d'action pour l'égalité entre les filles et les garçons".

"Il ne faudrait pas que le gouvernement belge recule"

Si le gouvernement avait tenté de compenser cet abandon par la distribution d'une malette pédagogique aux 320.000 enseignants du primaire, la Manif pour tous avait crié victoire, laissant un goût amer à Najat Vallaud-Belkacem.

"Il ne faudrait pas que le gouvernement belge recule. Il y a plein de parents qui sont confrontés au fait que leurs enfants regardent de la pornographie en ligne et ne demandent qu'à l'école de leur expliquer le consentement", fait valoir l'ex-élue socialiste.

Interrogée lors d'un déplacement à Charleroi dans l'une des écoles brûlées vendredi, la ministre de l'Éducation Caroline Désir n'a pas évoqué cette hypothèse.

Article original publié sur BFMTV.com