Under the Silver Lake : plongez dans ce film labyrinthique avec son réalisateur David Robert Mitchell

AlloCiné : Après deux films tourné à Détroit, votre cinéma s'installe à Los Angeles, une ville que vous montrez sous un aspect glauque permettant de laisser libre court à toutes les fantasmes, pourquoi vouliez-vous donner cette teinte à la ville ?

David Robert Mitchell : Parce que c'est une ville basée sur le fantasme.

Vous voyez ce que je veux dire : on décrit souvent Los Angeles comme "l'usine à rêves", est-ce que cela vous a inspiré pour créer votre Los Angeles ?

Tout à fait, la ville mêle rêve et fantasmes puis vous pensez à l'idée d'usine, qui ramène à la machine, au véritable travail, au travail dur, et c'est ce qu'est cette ville mais beaucoup d'autres villes sont comme cela aux Etats-Unis. Ce que je veux dire c'est qu'on trouve toujours la célébrité, la richesse, des maisons sur les collines mais aussi beaucoup de gens attendant quelque chose, rêvant. Beaucoup ne les réaliseront pas mais c'est ce sur quoi cette ville est bâtie. Beaucoup de gens vivent l'aspect "usine", mais peu l'aspect "rêve".

En France, le quartier de Silver Lake est méconnu, pouvez-vous nous donner votre vision de ce quartier dans lequel se passe la majorité du film ?

C'est un quartier de Los Angeles devenu très hipster. (...) Les gens y ont de l'argent, et il y a un réservoir qui donne son nom au quartier : le réservoir de Silver Lake. Pour l'instant, c'est encore un endroit cool mais il coûte très cher. (...)


Andrew Garfield face aux "hipsters" de Silver Lake

L'atmosphère que vous avez créée pour ce film m'a rappelé les films noirs de la Warner des années 30, sauf que contrairement à eux votre film n'est pas plein d'ombres mais plein de lumière...

Absolument. Il y a des moments d'ombre mais vous avez raison.

Comment avez-vous travaillé sur cette lumière avec votre directeur photo Mike Gioulakis ?

Cela dépendait beaucoup de l'endroit où nous tournions. Certains lieux créaient déjà une atmosphère [qu'il fallait capturer]. Nous avons beaucoup étudié des films noirs, anciens comme modernes, beaucoup de références pour avoir ce rendu final dans le film.

Vous avez souvent dit que le film était conçu pour avoir diverses interprétations. Comment écrit-on un scénario en sachant que l'on veut y laisser du mystère ?

C'est difficile à expliquer. Je dirais que lorsque vous commencez à créer une séquence et la façon dont elle va se connecter avec les autres, vous sentez ce qui est clair, ce qui est une question conçue pour laisser l'ambiguïté ; vous sentez aussi ce que les gens pourraient interpréter à partir de là. Si vous avez fait cela suffisamment de fois, vous pouvez anticiper certaines interprétations. Et c'est cool.

Lorsque vous vous ouvrez à ce point-là lors de l'écriture, certaines interprétations qui vont en résulter peuvent ne pas vous plaire, d'autres être formidables ou vous choquer. Moi, je les aime toutes ! Je trouve ça cool qu'elles existent. Il est possible qu'elles soient des éléments résultant du subconscient mixés à des éléments de la narration. J'adore ça !


Sam (Andrew Garfield) mène l'enquête

Par exemple, la scène dans laquelle le héros, Sam, est dans la rue avec des enfants. Certaines personnes pourraient se choquer qu'il réagisse de la façon dont il le fait dans le film, d'autres trouver cela amusant ou simplement ne pas réagir...

Ça me fait hurler de rire ! Certaines personnes sont mortifiées par ça ! Ça dépend vraiment des personnes, mais j'accepte tous les types de réaction. Même si j'en étais choqué, on s'en fout ! (rires)

En voyant votre film, je ne pouvais pas m'empêcher de penser bien sûr à "Fenêtre sur cour" pour la scène d'ouverture, "Sueurs froides" ou certains films de David Lynch... Comment vous ont-ils influencés pour Silver Lake ?

Les références à Hitchcock ne sont que cela. Des références à ces films. Certains éléments [de Silver Lake] sont inspirés par l'atmosphère de ces films, mais je pars dans une toute autre direction. Je n'ai pas essayé de faire un film à la Hitchcock, ça serait intéressant mais le film serait tout différent. Pour Lynch, je n'ai pas fait de référence directe, je pense qu'il s'agit plus d'un "ton" commun. Je ne suis pas en désaccord avec les gens qui disent qu'il y a du Lynch dans ce film car j'adore son cinéma... Mais il y a aussi Fritz Lang, Antonioni, pour moi cela va bien au-delà. Les choses que vous aimez se retrouvent toujours dans votre travail. Et mon film a plutôt la pop culture comme point de référence. (...)

Justement, sur la pop culture. Je pense que les références que vous avez mis dans le film, vos clins d'oeil à la pop culture... Je prends le pari que votre film sera un jour culte pour une génération. C'est difficile à dire pour vous j'imagine, mais vous sentez ce potentiel du film ? Et est-ce que cela vous plairait ?

Tout postulat dans lequel les gens apprécient sur le long terme quelque chose que j'ai fait me ferait plaisir. Je l'espère. On ne sait jamais ! Il faut que du temps passe.


Quand David Robert Mitchell fait référence à Hitchcock

Pourquoi avez-vous choisi de faire référence directe à l'un de vos films, "The Myth of American Sleepover", dans ce film ?

Une partie de ce que l'on voit à l'écran vient du film d'origine, mais nous avons retourné certaines scènes avec différents acteurs. Pourquoi ? C'est difficile à expliquer. L'idée était de faire référence à un de mes films mais de le montrer distordu, corrompu. Mon film était doux et sincère, innocent, et donner une autre version de ces personnages, suggérant que le monde dans lequel se passe Under The Silver Lake peut corrompre les films existants. Je sais que la plupart des gens n'ont pas vu ce film mais c'est un clin d'oeil de plus dans le film.

Comment avez travaillé avec Andrew Garfield, qui est pour moi l'un des acteurs les plus talentueux de sa génération ?

Il l'est. Comme vous l'imaginez, nous avons échangé sur le scénario et le film en général. Il a apporté des éléments très intéressants au personnage, et dans toutes les scènes j'attendais de voir comment il allait interpréter un moment particulier. Même de prise en prise, il créait une palette d'idées différentes, dans lesquels [piocher au montage]. Ses performances étaient très riches.

Du coup, vous êtes vous servi de ces performances très différentes pour ajouter au montage du mystère autour du personnage de Garfield et de nouvelles interprétations possibles de votre scénario ?

C'est une question difficile. J'aurais du mal à y répondre de façon générale, sans rentrer dans le détail d'une scène précise. Vous cherchez toujours à avoir une ligne directrice sur une performance mais en même temps avoir des surprises et des variétés de jeu... Difficile d'en parler sans prendre une scène en particulier.


Riley Keough, dans le rôle d'une mystérieuse inconnue

Ce qu'on peut dire sans rien spoiler, c'est que Sam ne sait pas ce qu'il veut et part dans une quête métaphysique pour se découvrir, a de grandes attentes mais déchante très vite. Pensez-vous que c'est ce qu'une nouvelle génération vit actuellement, en 2018 ?

Je pense oui, c'est vraiment un problème de notre époque. Nous pouvons voir quasiment le monde dans son entier depuis nos smartphones. Mais la question qui demeure est : qu'en faisons-nous, qu'est-ce que cela nous apporte ? Et je crois que la réponse est "pas grand-chose"...

Et Sam cherche l'attention qu'il pense mériter...

Voilà, je pense que le film parle de ce sentiment que quelque chose nous est dû. [Cette génération] a pu voir beaucoup de choses et pense qu'elle aussi y a droit. Mais que se passe-t-il lorsque vous réalisez que vous n'aurez pas ce que vous pensez que vous devez obtenir ?

Le film se passe à l'époque contemporaine et aborde des sujets de société comme les théories du complot, l'absence de vie privée... Que pensez-vous de ces thématiques ?

Les théories du complot me fascinent. Surtout le fait que les gens aient une demande pour ça et que des choses fausses soient soutenues avec autant d'enthousiasme. C'est un désir très profond des gens (...), il leur manque quelque chose et sont prêts à chercher des réponses dans quelque chose de faux pour combler ce vide. Pourquoi cela arrive-t-il maintenant ? J'ai peut-être des pistes, mais elles ne seraient que pures suppositions.

Je n'ai pas la réponse non plus malheureusement...

(Rires).


Extrait de l'affiche française du film

Dans vos trois longs métrages à ce jour, il y a une scène importante qui se passe dans une piscine. Est-ce que cela a une signification particulière pour vous ?

Ça veut dire beaucoup de choses pour moi. D'abord, j'aime la façon dont l'eau bouge dans un film et le son des vagues. Cela crée un sentiment en moi qui me transporte et ce ressenti est utile en ce qu'il permet de suggérer, de transmettre des choses au spectateur.

Pour "Under The Silver Lake", vous collaborez à nouveau avec l'artiste chiptune Disasterpiece, avec qui vous aviez travaillé sur "It Follows". Comment avez-vous collaboré sur la bande originale du film ?

Rich n'avait jamais composé pour un orchestre, donc nous en avons parlé et il a adoré l'idée ! Il a beaucoup travaillé. (...) Nous avons participé avec mon monteur Julio Perez, à donner l'énergie permettant de faire référence au passé (les films des années 40 et 50) tout en ayant un son moderne, assez électronique par moment ou au contraire traditionnel. Je n'aime pas me répéter...

Après une histoire adolescente, un film d'horreur et une enquête, quelle est la suite pour vous, un western ?

Je ne peux pas vous dire, mais ce sera différent.