Ukraine "nazie", Occident décadent, complot anti-Russie: Poutine sert ses classiques devant la Douma

Le discours prononcé ce mardi par Vladimir Poutine au Palais Gostiny Dvor, à Moscou, devant les parlementaires et les dignitaires de l'État n'était pas de nature à surprendre les oreilles habituées aux harangues du Kremlin.

Outre la justification d'une guerre menée contre un pseudo "régime néo-nazi" installé selon lui à Kiev depuis un prétendu "coup d'État de 2014", Vladimir Poutine a brodé au sujet d'un complot international mené contre son pays, dirigé par un Occident déterminé à "en finir (avec les Russes, NDLR) une bonne fois pour toutes". Il a même livré un tableau particulièrement sombre d'un ouest affligé de tous les vices, affirmant notamment:

"La destruction des familles, des identités culturelles et nationales, la perversion et la maltraitance des enfants jusqu'à la pédophilie, sont déclarées comme étant la norme".

Un "thème récurrent"

Une diatribe sociétale très classique chez Vladimir Poutine, met en lumière Sylvie Berman, ancienne ambassadrice de France à Moscou et consultante diplomatie de BFMTV, sur notre plateau ce mardi: "La question de la dégradation des mœurs est un thème récurrent chez lui."

"Il considère depuis très longtemps que c’est une lutte entre des valeurs, la Russie défendant celles de la famille, et il considère que les valeurs occidentales sont complètement dévoyées", développe-t-elle.

Selon l'historien Alexandre Riou, spécialiste des évolutions politiques et sociales de l'Europe centrale et orientale contemporaine et cadre du think tank L'Hétairie, il faut encore relever le messianisme du discours comme il l'a confirmé à BFMTV.com.

"Vladimir Poutine s'érige en leader d'une soi-disant pureté idéologique, culturelle, religieuse de la Russie qui serait une sorte d'État-monde menacé par l'Occident", explique-t-il.

Et d'ajouter: "Il justifie à nouveau l'invasion de l'Ukraine comme une guerre de sauvegarde, dans un retournement complet de la situation".

Le "pari risqué" de Vladimir Poutine

À l'est rien de nouveau alors? Pas tout à fait, non, d'après Sylvie Berman: "Là, ça va plus loin. C’est une rupture totale, assumée, avec l’Occident comme du temps de l’Union soviétique et même de manière beaucoup plus radicale, car on avait malgré tout trouvé un modus vivendi, une relation réaliste".

Pour la diplomate, cette fuite en avant de la parole poutinienne est le signe que la guerre ouverte contre l'Ukraine - bien que le Kremlin se cache encore derrière l'expression d'"opération spéciale" - se double bien d'une nouvelle guerre froide.

Au risque d'ailleurs d'isoler toujours davantage la Russie sur la scène planétaire. "Tant que Vladimir Poutine est à sa tête, la Russie sait qu'elle ne pourra pas espérer une quelconque relation avec l'Union européenne et les États-Unis, mais c'est un pari risqué", observe Alexandre Riou. "Car par exemple, la Chine, qui n'a aucun intérêt à un embrasement mondial du conflit, est dans une position duale entre soutien à la Russie et distance avec la guerre".

Les trois publics

Par définition, un discours vaut au moins autant pour ce qu'il dit que pour le public auquel il le dit. Paul Gogo, notre correspondant en Russie, a décrypté les objectifs du sillon idéologique creusé par le président russe, allocution après allocution. "L’objectif c’est bien de convaincre les Russes", a-t-il d'abord souligné. Mais Vladimir Poutine espère de surcroît que sa voix porte bien au-delà des frontières de la Fédération de Russie.

"C’est un argumentaire (...) qui lui sert à créer une peur chez les Russes mais aussi à réunir dans ses rangs certains nationalistes, certains partisans d’extrême droite européens qui vont voir en Vladimir Poutine une sorte de rempart contre l’Occident décadent", a pointé le reporter.

Entre cette audience internationale et un socle populaire, Vladimir Poutine vise encore un dernier public: sa base politique. C'est le sens de l'analyse de l'historien Alexandre Riou: "Il tient un discours aux franges les plus radicales de la Douma - plus à l'extrême droite encore que son parti 'Russie unie' - en le bâtissant sur des éléments contextuels qui sont leur obsession et dans lesquels elles voient la réalité de l'Occident."

"On sent les tensions au sein du pouvoir russe et du coup une volonté de se trouver des alliés objectifs dans un Parlement par ailleurs privé de vrais groupes d'opposition", achève l'expert.

Garder la main

Le patron du Kremlin a beau ne pas avoir à craindre les urnes, il doit en effet faire face à une adversité grandissante bien que celle-ci rechigne à dire son nom. Un nom qui pourrait être celui d'Evgueni Prigojine, le fondateur de la milice Wagner dont les ambitions sont désormais de notoriété publique.

En reprenant son antienne anti-occidentale, belliqueuse, et en la poussant un cran plus loin, Vladimir Poutine cherche donc, aussi, à ne pas se laisser déborder sur sa droite.

Article original publié sur BFMTV.com