Tournoi des VI Nations: Anne-Cécile Ciofani, la septiste supersonique dans le grand bain du XV de France

Vous avez décroché trois médailles sur les six premières étapes du World Sevens Series avec les Bleues : le bronze à Dubaï et l’argent au Cap et à Vancouver. En revanche, vous restez sur deux tournois sans podium à Los Angeles et Hong Kong. Comment vous sentez-vous ?

Très déterminées et très revanchardes. J'ai vraiment l'impression qu'on a pris un gros tournant cette année. Avec les Jeux qui approchent, on a peut-être toutes eu ce déclic-là. En tout cas je sens qu'à chaque tournoi, on ne se satisfait plus des podiums, on ne se satisfait plus des bonnes choses faites pendant nos matchs. On sait que ce ne sera pas suffisant pour gagner l'or que l’on veut.

Il rester le tournoi de Singapour (3 au 5 mai) et la finale à Madrid (31 mai au 2 juin). Comment abordez-vous ces derniers rendez-vous avant les Jeux ?

Comme on aborde chaque tournoi. Avec une détermination à son comble. On essaye à chaque fois de mettre tous les ingrédients nécessaires pour emporter la plus belle des médailles. Ce sont nos deux dernières chances d’atteindre cet objectif. Mais ce n’est pas l’objectif principal. Il faut que l’on coche encore certaines cases pour que ça aboutisse cet été.

“On va balayer la médaille de Tokyo et chercher l’or."

On a célébré mercredi le J-100 avant les Jeux de Paris 2024. Vous y pensez tous les matins en vous levant ?

J'essaie de ne pas trop y penser mais quelque chose nous le rappelle tout le temps ! A la télé, dans les aéroports, même quand on va faire les courses, on tombe sur les petites mascottes de Paris 2024 et là on se dit : “Oui, effectivement il y a les Jeux cet été." Pour l’instant j’essaye de me concentrer sur le Tournoi et de ne pas me mettre la pression. Cette pression-là, je ne sais pas du tout comment je vais la gérer alors je tente de l'atténuer et de ne pas me laisser déborder. Et puis j'en parle beaucoup autour de moi pour vider un peu tout ce qui se passe dans ma tête. J'écris aussi beaucoup et je veux dédramatiser au maximum.

Vous êtes vice-championne olympique de rugby à sept après votre médaille d’argent à Tokyo il y a trois ans. C’est une fierté ou plutôt une pression supplémentaire de tenir votre rang pour ces Jeux à la maison ?

Un peu des deux. Mais, qu'on ait eu ce titre ou pas, on va à Paris pour chercher quelque chose. C’est un titre à défendre, certes, mais ce n’est pas suffisant pour nous. On n’était pas venues chercher la deuxième place à Tokyo. On est reparties fières, c’est une très belle médaille et une très grosse performance, mais je pense que l’on va balayer la médaille de Tokyo et chercher l’or.

Comment sentez-vous cette équipe de France de rugby à sept à trois mois des Jeux ?

Les résultats cette saison sont hyper encourageants. Rapporter des médailles à la maison, faire de belles prestations, ça aide à former un groupe fort. Aujourd’hui, on est capable de se faire des retours qui ne font pas toujours plaisir, de se regarder dans les yeux et de se dire : “Voilà, toi tu es passée à côté. Qu’est-ce qu’on fait ?” On essaie toutes et tous – le staff compris - de trouver des solutions. Les coachs font vraiment partie intégrante du projet et du groupe. Ils nous aident au quotidien à cibler nos failles et à les corriger quand on ne trouve pas les réponses entre nous. Mais on essaie au maximum de se responsabiliser et de se tirer toutes vers le haut.

Vous êtes arrivées avec Joanna Grisez et Chloé Jacquet il y a une semaine à Marcoussis après le tournoi à sept de Hong Kong. C’est votre tout premier rassemblement avec le XV de France et vous serez titulaire sur l’aile gauche à Cardiff dimanche. Ça ne fait pas trop de choses à emmagasiner d’un coup ?

Il y a effectivement beaucoup de choses à emmagasiner ! On arrive avec cette envie de d'apporter quelque chose, de ne pas être un boulet pour l'équipe. Il y a énormément de retour vidéo à faire, autant sur les adversaires que sur notre équipe. Il faut apprendre les combinaisons, c'est beaucoup d'informations en peu de temps.

Comment on se sent quand on rentre de Hong Kong après une expérience folle et que l’on arrive quelques jours plus tard à Marcoussis ? Vous vous demandiez ce que vous faisiez là ?

Il y a eu ce questionnement, un peu oui (rires). On a eu peu de temps entre Hong Kong et ce rassemblement mais la bascule s’est faite très rapidement. On a été bien prises en charge par le staff et surtout par les filles. Tout le monde nous aide pour que l’on puisse apporter ce petit plus au groupe. On a vite atterri, on a reposé les pieds sur terre et on a mis la tête dans l’analyse vidéo.

Qu’avez-vous pensé des premiers matchs des Bleues dans ce Tournoi des Six Nations ?

A partir du moment où on a su qu'on allait rejoindre les filles, j'ai regardé vraiment avec attention tous les postes, tous les toutes les animations, ce je ne faisais pas forcément avant. Ça donne envie ! On sent que ce groupe partage les mêmes valeurs que notre groupe à sept. On savait qu’on n’allait pas être perdues en intégrant le XV. Mais c'est un challenge qui est complètement différent et ça on a hâte de le partager sur le terrain avec les filles. On était en tribunes contre l'Italie et on n'avait qu'une envie : de rentrer sur le terrain avec elles ! C’était vraiment cool à regarder.

On retient deux choses de ce début de Tournoi : la forte envie de jouer des Bleues et le niveau global du rugby féminin qui se resserre. Vous partagez ce constat ?

Oui. Il y a de plus en plus de contrats professionnels dans les autres nations et ça se remarque sur le terrain. C’est chouette pour le rugby féminin. Concernant le jeu offensif des Bleues, c’est tant mieux ! Ça change du rugby qu'on a l'habitude de voir. Ça le dynamise, ça joue beaucoup en couloir, tout le monde est concerné. Les ailières sont vraiment sollicitées, elles ne restent plus sur leurs ailes, les avants font des percées comme Annaëlle (Deshayes) le week-end dernier. C'est un jeu qui demande beaucoup plus de souffle, beaucoup plus de cardio et du coup c’est un jeu qui ressemblera un peu plus à ce que l’on connaît à sept et dans lequel on peut apporter quelque chose.

Justement, comment va le cardio ?

Ça va pour l’instant (rires). On verra pendant le match !

Les septistes ont le profil idéal pour un tel jeu, non ?

C’est l’une des choses que l’on peut apporter au groupe. Avec un jeu où il faut enclencher fort, où on passe fort dans le dos, où on joue beaucoup main-main. C’est un peu le jeu des Bleues du sept et on est assez à l’aise là-dedans. Il faut maintenant prendre des repères, trouver le bon timing et arriver à se sentir.

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Autre atout propre au rugby à sept : le sang-froid que l’on développe dans des matchs où tout peut basculer très vite. C’est justement ce sang-froid qui manque parfois aux quinzistes. Les Bleues se précipitent en zone de marque et gâchent des occasions...

C’est hyper important de faire redescendre la pression. Il y a pas mal de leader dans le groupe et elles sont capables de prendre la parole avec lucidité dans ces moments-là. On pourrait nous aussi apporter cette sérénité mais pour l'instant on tente déjà de trouver nos repères. Si je sens qu'il y a besoin de prendre la parole et de faire redescendre la pression, je serais capable de le faire parce que les filles m’ont mise à l’aise.

Vous avez aussi l’habitude à sept des grandes compétitions internationales. Vous matchez régulièrement avec les toutes meilleures nations mondiales. Ça peut être utile avant d’aborder le dernier match face aux grandes rivales anglaises, le 27 avril à Bordeaux ?

Le Tournoi des Six Nations, ce n’est pas le même format qu’à sept mais les filles du XV aussi dégagent une certaine sérénité qui fait du bien. On se renverra peut-être cette sérénité.

Qu’est-ce qui se rapproche le plus de votre jeu à sept dans celui du XV de France ?

Le jeu main-main, en couloir, que les avants ont mis en place et dans lequel les ailières sont intégrées. Jouer debout et faire vivre le ballon.

Que pensez-vous du niveau des Anglaises dans ce Tournoi ?

Elles ont une avance certaine sur toutes les nations. En termes de professionnalisation, d’infrastructures, en sélection et dans les clubs. Et ça se voit dans les scores de leurs matchs (victoires 48-0 contre l’Italie, 46-10 contre le Pays de Galles et 46-0 contre l’Ecosse). Mais ce qui compte, c’est le match que l’on jouera contre elles. Les Françaises connaissent parfaitement les Anglaises et inversement. Ce sera à nous de trouver les failles et de mettre en place notre jeu. Après, on a pas mal de choses à régler avant, il y a un match très important ce week-end.

"Je n’ai encore rien préparé. J’ai tellement la tête dans les combinaisons que je n’y ai pas encore pensé. Une première Marseillaise, ça prend aux tripes."

A quelle confrontation vous attendez-vous face aux Galloises ?

Ça va être très physique devant. Il va falloir être malignes pour les contourner. Mine de rien, c'est une équipe qui n’a rien à perdre, tout à gagner. Ce sont souvent les équipes les plus dangereuses et on sait qu'elles ont un pack de devant assez fort et puissant. Ça pourrait être un jeu plutôt pour les avants. A nous derrière de mettre notre jeu en place.

Vous allez signer votre première sélection avec le XV de France. Vous avez un petit rituel avant une première sélection ?

Non, je n’ai encore rien préparé. J’ai tellement la tête dans les combinaisons que je n’y ai pas encore pensé. Une première Marseillaise, ça prend aux tripes. Tu te dis “Bon l'hymne, on le connaît par cœur.” Mais quand tu te retrouves à le chanter côte à côte avec tes copines...

Vous avez commencé le rugby pendant vos études avant de jouer à Bobigny puis au Stade Français. Comment une fille née de deux athlètes lanceurs de marteau (Walter Ciofani et Jeanne Ngo Minyemeck) - sport que pratiquent aussi vos sœurs (Juliette et Audrey) à haut niveau – choisit de devenir rugbywoman ?

Ça a commencé à la fac. J'avais 17 ans, j’étais en STAPS et dans le tronc commun il y avait le rugby. Pendant deux ans, j’ai fait de l’athlétisme en club et du rugby en universitaire. Au bout d’un moment, ça n’était plus possible, il fallait faire un choix. Je pense que c’est l'ambiance du rugby, les filles que j'ai eu la chance de côtoyer quand j’ai essayé en club à Bobigny qui m’ont vraiment donné l'envie de tenter l'aventure. Et ce professeur qui m'a mis le pied à l'étrier et qui a été très insistant. Je le remercie encore aujourd'hui. Je me suis laissée prendre au jeu du rugby. Ses valeurs, l'esprit familial, ça m'a pris tout simplement. Je n'ai pas resigné ma licence en athlé et feu pour le rugby.

Ça n’a pas été trop dur pour vos parents de vous voir lâcher l’athlétisme ?

Ça été un gros questionnement pendant quelques années. Ils se disaient que ce n’était pas du sérieux. C’était le début des contrats professionnel au rugby. Au début, je jouais pour le plaisir d’être avec les copines et le challenge d’apprendre un nouveau sport. Quand j’ai compris que l’on pouvait devenir professionnelles je me suis dit : “Tu as manqué d’être pro en athlé, tente le tout pour le tout au rugby !” Mon objectif de vie, c'était d’être athlète professionnelle. Si ce n’est pas possible en athlé, pourquoi pas au rugby ?

Votre famille vient voir jouer ?

Non, pas du tout ! D’abord, chacun a sa vie. Et puis on joue énormément à l'étranger. Mais ils me suivent beaucoup et ce sont mes premiers supporters, ça je le sais.

Article original publié sur RMC Sport