"Un totem national": la dictée, serpent de mer des ministres de l'Éducation nationale

Le ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye a appelé à renforcer l'exercice de la dictée à l'école primaire, recommandant d'en faire quotidiennement, selon une note confidentielle du ministère de l'Éducation nationale que BFMTV a pu consulter. Ce afin que les élèves de CM1 et de CM2 maitrisent mieux les règles de grammaire et d'orthographe avant leur entrée au collège.

Cette annonce du ministère intervient après la publication en décembre d'une étude constatant une baisse du niveau en orthographe en France depuis 1987.

De fait, dès que la baisse du niveau en français des élèves est évoquée, "tous les ministres évoquent la dictée, ce n'est pas nouveau", déclare à BFMTV.com Dominique Bruneau, directeur d'école et secrétaire fédéral du syndicat Sgen-CFDT, "comme s'il suffisait de dire aux enseignants de faire des dictées", pour résoudre le problème.

La dictée "pour rassurer" l'opinion

"Jean-Michel Blanquer l'a fait, Najat Vallaud-Belkacem aussi, Luc Châtel à son époque", énumère-t-il.

"La dictée quotidienne doit devenir une réalité à l'école élémentaire", écrivait en effet le ministère de l'Éducation sous Jean-Michel Blanquer en 2017. La ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem avait fait la même demande en 2015. En 2012, c'était Luc Châtel qui, constatant des résultats "pas satisfaisants" en orthographe, appelait, à "recourir aux dictées".

En 2004 aussi, le renforcement de la dictée et de la récitation étaient préconisés par le ministre de l'Éducation d'alors, François Fillon.

"Je pense que c'est quelque chose qui doit rassurer, tout le monde connait cet exercice", fait valoir Guislaine David co-secrétaire générale du syndicat d'école primaire SNUipp-FSU.

Claude Lelièvre, historien de l'Éducation, explique à BFMTV.com que "l'orthographe et la dictée ont une place très particulière en France, qu'on ne voit pas dans la plupart des autres pays". En ce sens, "il s'agit d'un totem national" et l'évoquer c'est "rassurer une partie de l'opinion".

L'historien souligne au passage que Jules Ferry, père de l'école publique, laïque et obligatoire, était contre cette obsession de l'orthographe. "Il préférait à la dictée la rédaction, même faite avec des fautes", souligne-t-il.

Ce "n'est pas une solution miracle"

Si les ministres de l'Éducation successifs appellent à renforcer la dictée au primaire, cet exercice est depuis "bien longtemps pratiqué quotidiennement par les enseignants", assure auprès de BFMTV.com Pierre Favre, vice-président du syndicat SNE (Syndicat national des écoles). "La plupart des enseignants font déjà des dictées quotidiennement", lance également Dominique Bruneau.

Les professeurs interrogés expliquent en effet pratiquer plusieurs formes de dictées: de textes, de phrases, de mots... "Il y a aussi l'auto-dictée", déclare Pierre Favre. Il s'agit d'un exercice consistant à retranscrire par écrit un texte appris par coeur, "cela peut servir aux élèves qui ont une mémoire visuelle".

L'exercice de dictée "sert à faire progresser un enfant en revenant régulièrement sur les choses vues, les règles d'orthographe, de conjugaison... On regarde si c'est acquis", explique Dominique Bruneau.

Mais si cet exercice apparait comme l'archétype de l'exercice de français qui prouverait le bon niveau d'un élève, ce "n'est pas une solution miracle" déclare Guislaine David. "Ce n'est pas parce qu'on fait 10 dictées par jour qu'on s'améliore forcément" en orthographe et grammaire explique-t-elle et "ce n'est pas le seul exercice pour apprendre l'orthographe".

"C'est un exercice traditionnel", explique Pierre Favre, mais "par des leçons, des exercices à trous par exemple, on peut aussi entrainer l'élève à s'exprimer".

Dans la note du ministère de l'Éducation, il est d'ailleurs souligné que la pratique régulière de l’écriture, en-dehors de la dictée, doit être renforcée car elle permet aux élèves d'améliorer leur expression.

"Il faut davantage de remédiation"

Pour améliorer le niveau des élèves en français, au-delà de faire davantage de dictée, il faut réussir à mettre à niveau ceux qui ont plus de mal pour Dominique Bruneau, et pour cela "il faut davantage de remédiation", soit mettre en place des dispositifs pédagogiques pour combler les retards d'un élève.

Guislaine David pointe également du doigt la difficulté parfois de venir en aide à un enfant en difficulté dans des classes avec beaucoup d'élèves. "On ne peut pas faire lire un texte à tous les élèves à voix haute dans une journée", explique-t-elle.

"Et si on augmente le nombre d'heures en français, on rogne sur quelle autre matière?" interroge Dominique Bruneau.

D'après les données du ministère de l'Éducation, à l'entrée en 6e, 27% des élèves n'ont pas le niveau attendu en français et près d'un tiers en mathématiques. Face à ce constat, en plus des renforcements en CM1 et CM2, Pap Ndiaye a annoncé la création d'une heure par semaine de renforcement ou d'approfondissement en français ou en mathématiques en 6e.

Article original publié sur BFMTV.com