« Tirailleurs » : et si le soldat inconnu était un tirailleur africain ?

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Marie-Clémence David 2022 - Unité - Korokoro - Gaumont - France 3 Cinéma - Mille Soleils - Sypossible Africa

CINÉMA - « Le soldat inconnu est une figure symbolique qui doit représenter tout le monde », assure le réalisateur Mathieu Vadepied. Alors pourquoi ne serait-il pas l’un des 200.000 tirailleurs dits « sénégalais » - en fait venus de toute l’Afrique de l’Ouest - qui ont combattu parmi les poilus de la Première guerre mondiale ? Le long-métrage Tirailleurs, porté par Omar Sy et Alassane Diong, en salles ce mercredi 4 janvier, entend redonner à ces héros une place dans notre histoire commune.

Le film d’1h50 raconte l’histoire du jeune Thierno, recruté de force par l’armée française dans son village du Sénégal en 1917, et de son père qui s’enrôle volontairement pour veiller sur lui dans l’horreur des tranchées. Envoyés au front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble dans un pays où ils n’ont jamais mis les pieds. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur d’une bataille sur une colline de Verdun, Thierno (Alassane Diong) s’affranchit et apprend à devenir un homme, tandis que Bakary (Omar Sy) va tout faire pour l’extraire des combats et le ramener sain et sauf dans le village peul duquel ils ont été arrachés.

« Historiquement c’est possible »

Mais c’est sur ces images que s’ouvre et se referme le film : des soldats collectent des ossements de leurs frères d’armes tombés sur les champs de bataille à la fin de l’automne 1920 avant que l’un de ces corps ne rejoigne la sépulture du soldat inconnu inhumé sous l’Arc de Triomphe. Alors 100 ans plus tard, en sortant de cette salle de cinéma, on s’interroge : ce fameux soldat inconnu qui symbolise les quelque 1,4 million de soldats morts au front pourrait-il être un tirailleur africain ?

« Historiquement c’est possible », assure au HuffPost le réalisateur Mathieu Vadepied qui a sollicité l’Office des anciens combattants pour « définir le côté plausible de cette hypothèse », sans quoi il n’aurait pas forcément gardé cette fin pour un scénario qu’il nourrit depuis plusieurs décennies. « Il y a peu de sources racontant le destin des tirailleurs, donc il s’est agi de jouer les archéologues à travers les travaux d’historiens et les archives militaires pour se faire une idée juste - pour nous - de ce qu’a pu être cette expérience », poursuit-il.

En 1920, alors que la décision d’inhumer un soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe dans des conditions inédites de précipitation, un article du journal L’Œuvre relate que 3 corps de tirailleurs sénégalais auraient été écartés par les militaires. La rumeur est reprise par Le Canard Enchaîné et Blaise Diagne, député français né à Gorée, exige des explications au gouvernement. André Maginot, ministre de la guerre, dément les rumeurs quelques jours plus tard et affirme que « les Français de la métropole et ceux des colonies qui sont morts pour la Patrie, sont égaux devant la reconnaissance nationale », rappelle le dossier pédagogique qui accompagne le film.

French President Emmanuel Macron adjusts the flame of the Tomb of the Unknown Soldier during a ceremony at the Arc de Triomphe in Paris on November 11, 2022, as part of commemorations marking the 104th anniversary of the November 11, 1918 Armistice, ending World War I (WWI). (Photo by GONZALO FUENTES / POOL / AFP)

« Un no man’s land de la mémoire »

Mais au-delà de la plausibilité historique que les ossements d’un tirailleur africain soient sous l’Arc de Triomphe, c’est surtout pour le symbole que le cinéaste a « très tôt » eu l’idée de cette scène pour clore son long-métrage. « Le soldat inconnu est une figure symbolique qui doit représenter tout le monde », développe-t-il, « or comme il y a une sorte de no man’s land de la mémoire du côté de la participation des soldats des colonies à ce conflit - et à tous les autres -, ça m’a paru être une idée simple mais percutante. »

« Finir avec l’Arc de Triomphe, le soldat inconnu, avec une voix off en peul… À chaque fois que je vois ces images-là, je suis assez bouleversé et je suis plutôt fier d’avoir participé à une chose pareille », disait de cette scène Omar Sy, lors d’une avant-première du film organisée à Dakar, au Sénégal, à la fin du mois de décembre. « Aujourd’hui, notre génération a besoin de ce récit pour notre construction, de prendre l’histoire, de savoir comment on se construit par rapport à ces deux pays », ajoutait celui qui est également le coproducteur du film.

Si le film Indigènes de Rachid Bouchareb, aussi présenté au Festival de Cannes en 2006, sur des tirailleurs algériens pendant la Seconde Guerre mondiale avait marqué tous les esprits, il aura fallu attendre 15 ans de plus pour que l’histoire de tirailleurs dits sénégalais pendant la Première Guerre mondiale soit à son tour racontée, de leur point de vue, au cinéma pour l’une des premières fois.

Alassane Diong, jeune acteur qui joue Thierno Diallo, le fils d’Omar Sy à l’écran, avoue avoir entendu parler des tirailleurs « brièvement dans quelques chansons » plutôt qu’à l’école jusqu’à participer au projet de Mathieu Vadepied. Mais les deux hommes tiennent à souligner que Tirailleurs n’est « pas une leçon d’histoire », ni une occasion de « pointer le doigt sur quiconque ». « En recherchant ces destins, j’ai envie qu’on prenne tous conscience - et les jeunes générations surtout - du pays dans lequel on grandit et de notre société composée de tous ces gens qui ont une histoire en commun », exprime le réalisateur qui s’apprête à entamer une longue tournée de projections et rencontres avec des scolaires.

« On n’a pas la même mémoire, mais on a la même histoire », clamait Omar Sy lors de la présentation du film au Festival de Cannes en mai 2022. Et Alassane Diong de compléter aujourd’hui : « Après avoir vu ce film, j’aimerais juste que les spectateurs retiennent qu’on est tous liés, que notre histoire et nos vies sont indissociables ».

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