Vladimir Poutine ne recevra pas Rex Tillerson mercredi

par Maria Tsvetkova et Andrew Osborn MOSCOU (Reuters) - Le Kremlin a déclaré lundi que le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, ne serait pas reçu par le président Vladimir Poutine lors de sa visite mercredi à Moscou, décision qui illustre très vraisemblablement la tension née des tirs de missiles américains contre une base aérienne syrienne en fin de semaine dernière. John Kerry, le prédécesseur de Rex Tillerson au département d'Etat, rencontrait souvent le président russe ainsi que le ministre russe des Affaires étrangères lorsqu'il se rendait à Moscou, et Vladimir Poutine a eu plusieurs entretiens avec Rex Tillerson lorsqu'il se rendait dans la capitale russe en tant que patron d'Exxon Mobil. Vladimir Poutine avait même attribué à Tillerson une haute distinction de l'Etat russe, l'Ordre de l'Amitié, en 2013, et beaucoup s'attendaient jusque-là à ce que le chef du département d'Etat voie Poutine à l'occasion de son premier déplacement en Russie en tant que secrétaire d'Etat de Donald Trump. Mais le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a informé lundi la presse qu'aucune rencontre de ce genre n'était à l'ordre du jour, laissant penser que Rex Tillerson devra respecter strictement le protocole et se contenter de voir son homologue russe, Sergueï Lavrov. "Nous n'avons pas annoncé une telle rencontre et actuellement, il n'y a pas d'entretien avec Tillerson à l'ordre du jour du président", a dit Peskov aux journalistes, sans préciser la raison pour laquelle Poutine ne recevrait pas le secrétaire d'Etat américain. Avant même que Donald Trump n'ordonne les tirs de missiles en représailles à un bombardement chimique présumé qui a tué 90 civils, ce premier voyage du chef de la diplomatie américaine à Moscou s'annonçait délicat, en raison de la polémique sur les ingérences russes dans la campagne électorale américaine, de la violation d'un traité de désarmement par Moscou ou encore des conflits en Syrie et en Ukraine. Rex Tillerson, sans expérience de la diplomatie, doit maintenant éviter une confrontation frontale avec la Russie, qui a menacé dimanche de répondre à de nouvelles frappes américaines en Syrie, tout en cherchant à arracher des concessions à Vladimir Poutine. En tête de celles-ci figurent l'élimination définitive de l'arsenal chimique syrien et l'acceptation par Bachar al Assad de réelles négociations sur l'avenir de la Syrie. Soucieux de ménager Moscou, le secrétaire d'Etat a dit ne pas avoir vu de preuve que la Russie était au courant que le régime de Damas allait mener une nouvelle attaque chimique la semaine dernière dans la province d'Idlib, mais il a invité Vladimir Poutine à reconsidérer son soutien à son homologue syrien à la lumière de celle-ci. ACTE D'AGRESSION CONTRE UN ETAT SOUVERAIN "Je pense que nous pouvons avoir des échanges constructifs avec le gouvernement russe, avec le ministre des Affaires étrangères (Sergueï) Lavrov, et obtenir le soutien de la Russie à un processus conduisant à une Syrie stable", a déclaré Rex Tillerson dimanche sur la chaîne ABC. Lundi, lors de la commémoration d'un massacre commis par les nazis en Italie en 1944, il a assuré que les Etats-Unis feraient toujours en sorte que "ceux qui commettent des crimes contre des innocents aient à rendre des comptes". Les tirs de missiles américains sur la base syrienne d'où aurait été lancée l'attaque chimique ont donné à Rex Tillerson plus de poids lors des futures négociations avec les dirigeants russes, estiment certains observateurs et anciens responsables du gouvernement américain. "La démonstration de la détermination de l'administration à utiliser la force peut être un lever supplémentaire en matière de diplomatie", estime Antony Blinken, qui était l'adjoint du prédécesseur de Rex Tillerson, John Kerry, lequel avait maintes fois réclamé à Barack Obama une telle démonstration de force pour sortir de l'impasse diplomatique. La frappe américaine et les déclarations des responsables de l'administration Trump sur l'inaction de Moscou face à l'usage d'armes chimiques, par "complicité" ou "incompétence" a dit dimanche Rex Tillerson, ont permis de faire passer très clairement le message à la Russie que Washington la tiendra désormais pour responsable des agissements de Bachar al Assad, estime-t-il. Le secrétaire d'Etat pourra dire à ses interlocuteurs russes : "Si vous ne mettez pas le holà, nous agirons à nouveau", souligne Antony Blinken. Le bombardement chimique et la riposte américaine ont complètement rebattu les cartes en bouleversant, au moins en apparence, l'approche de l'administration Trump, qui avait jusque-là fait savoir qu'elle ne faisait plus du départ de Bachar al Assad une priorité pour privilégier une coopération avec Moscou dans la lutte contre les djihadistes du groupe Etat islamique. La Russie, dont des soldats étaient déployés sur la base syrienne bombardée, mais en avaient été évacués à l'avance, a vivement réagi aux tirs de missiles américains en les qualifiant d'agression illégale et en indiquant qu'elle n'échangerait plus de renseignements militaires avec Washington. Lundi, le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que les tirs de missiles américains constituaient un acte d'agression contre un Etat souverain et une violation du droit international. Mais Moscou n'a pas pour autant fermé tous les canaux de communication et n'a pas davantage annulé la visite de Rex Tillerson, ce qui est significatif en soi, souligne un haut responsable américain. "Ils (les Russes) vont essayer de circonscrire cet incident", estime Alexander Vershbow, qui était ambassadeur à Moscou à l'époque de George W. Bush. (Avec Denis Pinchuk et Steve Scherer; Tangi Salaün et Eric Faye pour le service français)