Sur TikTok, des parents filment leurs enfants dire des gros mots, et c’est un problème

Poster des images de ses enfants sur les réseaux sociaux, c’est prendre le risque que ces images soient détournées.
Photo by Alex Tihonov / Getty Images Poster des images de ses enfants sur les réseaux sociaux, c’est prendre le risque que ces images soient détournées.

RÉSEAUX SOCIAUX - C’est la énième tendance à la mode sur TikTok. Et une nouvelle fois, elle implique des parents qui diffusent des images de leurs enfants. Ce défi qui a émergé durant le mois de février consiste à inviter sa progéniture dire des gros mots face à la caméra, sans craindre de se faire gronder. Ce qui n’est pas sans conséquence.

Offrir un smartphone à son enfant ? En tant que parent, voici les trois questions à se poser

Sur ces vidéos, le parent explique dans un premier temps le concept à son enfant, dont l’âge ne semble pas excéder cinq ou six ans : il a une minute pour dire autant de gros mots qu’il connaît face à la caméra. L’adulte lui promet qu’il ne sera, cette fois-ci, pas réprimandé, avant de sortir de la pièce. L’enfant paraît alors amusé, mais aussi surpris, voire interloqué, et s’élance seul. Les jurons entendus sont souvent « merde » ou « putain », parfois prononcés à voix basse, comme si l’enfant ne voulait pas que l’adulte l’entende depuis derrière la porte.

« Ce sont des gros mots du quotidien des parents », analyse Virginie Piccardi, une psychologue spécialisée en psychologie de l’enfant que nous avons contactée. Certaines de ces vidéos, qui apparaissent lorsque l’on recherche les mots-clefs « gros mots » et « enfants » sur TikTok, ont été vues plusieurs millions de fois.

La présidente de l’association La Voix de l’Enfant, Martine Brousse, que Le HuffPost a interrogé, dénonce « une manipulation et une utilisation de l’enfant par les parents ». « On peut même s’interroger si ce n’est pas lui porter atteinte », insiste-t-elle. Car si ces vidéos peuvent prêter à sourire, elles ont aussi des éventuelles incidences pour dans le développement de l’enfant, et peuvent même le mettre en danger.

Rapport aux parents

L’éducation de l’enfant et sa relation à ses parents peuvent en effet être affectées par la publication de ces contenus, où l’enfant semble transgresser les règles habituelles de son éducation. « Ce qui me gêne dans ce défi, c’est que l’ordre donné par le parent est de ne pas respecter la consigne habituelle. C’est l’exception [dire des gros mots, ndlr] qui confirme la règle [ne pas en dire, ndlr] », alerte Virginie Piccardi.

La psychologue prévient : « Les enfants de quatre ou cinq ans ont la capacité de comprendre qu’il y a des règles et qu’il y a aussi des exceptions. Si et seulement si on ne joue pas avec ça ». Le risque ? Que le défi soit mal compris par l’enfant. Le parent doit donc veiller à poser un cadre, « avant et après coup ». Qui plus est, « si on accumule les exceptions qui confirment la règle, l’exception devient la règle », rappelle la psychologue.

Mettre en scène son enfant sur les réseaux sociaux, c’est aussi prendre le risque de lui donner goût très tôt à la réalité virtuelle. Dire des gros mots étant un comportement qu’il n’a normalement pas le droit de faire, ce défi « lui impulse l’idée qu’on ne se montre pas comme d’habitude sur les réseaux sociaux », analyse la psychologue.

Autre conséquence potentiellement néfaste de la répétition de ce genre de vidéo : si les parents sortent trop souvent de leur rôle, l’enfant risque de perdre certains repères que ces derniers représentent pour lui. « Ici, il y a quelque chose de l’ordre de la régression de la part du parent, alors qu’il est normalement plus mature, garant de l’autorité et responsable des actes de l’enfant, car ce dernier n’a pas le discernement suffisant… Mais ça ne doit pas empêcher pas de s’amuser et de faire des exceptions », détaille-t-elle.

Détournement des images

Les deux expertes le rappellent : poster des images de ses enfants sur les réseaux sociaux, peu importe ce qu’elles montrent, c’est aussi prendre le risque qu’elles soient utilisées à d’autres fins, notamment par des prédateurs sexuels. « On a tous déjà pris en photo des bêtises de nos enfants, pour les montrer à nos proches. Mais quel est l’intérêt de les poster sur les réseaux sociaux et de les montrer à des inconnus ? Elles ne nous appartiennent plus, et on ne sait pas par qui elles sont vues et récupérées », explique Virginie Piccardi, qui estime : « c’est une vigilance à avoir en tant que parent ».

C’est d’autant plus vrai lorsqu’on sait que 50 % des photos qui circulent dans les réseaux pédopornographiques étaient à l’origine postées par les parents sur leurs réseaux sociaux, selon les chiffres d’une enquête Australienne qui date de 2015 reprise par les députés français en 2024. Selon la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), le partage de ces images peut aussi révéler des informations sur l’enfant, comme ses centres d’intérêt, l’heure à laquelle la photo ou la vidéo a été prise, ou encore sa localisation. Des informations qu’il « n’est pas non plus souhaitable de mettre entre les mains d’un individu malintentionné ».

Ces publications participent également à la création d’une identité numérique de l’enfant, qu’il ne peut pas contrôler et qui peut avoir une incidence sur sa vie personnelle et professionnelle à l’âge adulte. Elles sont aussi la porte d’entrée à d’éventuelles moqueries, à du harcèlement ou à d’autres formes de violences, selon Martine Brousse : « L’enfant peut être reconnu par d’autres adultes ou d’autres enfants plus grands, et malmené à cause de cette vidéo. »

Les recours de la loi

Elle déplore qu’il « n’y ait pas à ce jour de texte particulier pour contrer ces parents. » Elle considère comme nécessaire d’engager une réflexion à court terme sur le sujet. « N’y a-t-il pas des mesures à prendre à l’encontre de parents qui utilisent leur enfant pour leur faire tenir des propos ou des postures, qui pour nous sont une atteinte à l’intégrité de l’enfant ? »

Pourtant, une loi a été votée début février pour mieux réguler les dérives de certains parents sur les réseaux sociaux. Elle introduit la notion de « vie privée » de l’enfant dans la définition de l’autorité parentale du Code civil. Dans certains cas graves d’atteinte à la dignité d’un enfant, le texte ouvre la possibilité d’une délégation forcée de l’autorité parentale. Mais Martine Brousse l’avait qualifié de « saupoudrage », au micro de France Info, réclamant déjà « une réelle réflexion, des travaux et une grande loi sur le numérique ».

À voir également sur Le HuffPost :

« J’ai élevé mon fils avec la parentalité positive et je culpabilise de ce qu’il impose aux autres »

Ruby Franke, une mère influenceuse aux États-Unis condamnée à de la prison pour maltraitance de ses enfants