TikTok interdit aux États-Unis ? Pourquoi le risque d’espionnage est pris très au sérieux par Washington

Les positions rivales des États-Unis et de la Chine sur la scène internationale conduisent Washington à durcir sa position sur l’utilisation du réseau social chinois TikTok.
OLIVIER DOULIERY / AFP Les positions rivales des États-Unis et de la Chine sur la scène internationale conduisent Washington à durcir sa position sur l’utilisation du réseau social chinois TikTok.

INTERNATIONAL - Des craintes fondées ? Alors que le Congrès américain a adopté samedi 20 avril la proposition de loi visant à vendre ou interdire le réseau social TikTok sur le sol américain, de nombreuses questions surgissent sur les motivations américaines derrière cette volonté de bannir l’application plébiscitée par plus de 170 millions d’utilisateurs, rien qu’aux États-Unis.

Car si le projet est définitivement adopté par le Sénat américain mardi, les États-Unis enverraient un message clair à la maison mère de TikTok, ByteDance, mais surtout à la Chine, l’un de ses grands rivaux sur l’échiquier mondial.

Il faut dire que les États-Unis et de nombreux autres pays craignent que le réseau social chinois utilisé comme outil de divertissement cache en réalité un subtil outil d’espionnage et de déstabilisation, voire de manipulation de l’opinion au service de Pékin. C’est ce que prouvent les démarches entreprises par de nombreuses entités telles que la Maison Blanche ou la Commission européenne qui ont d’ores et déjà banni l’usage de l’application pour les téléphones professionnels de leurs employés depuis de nombreux mois.

Prévenir plutôt que guérir

Afin de limiter l’influence de TikTok sur la population américaine, Washington brandit à chaque fois l’argument du risque d’espionnage chinois par l’intermédiaire de TikTok. Des craintes plus ou moins fondées, mais qui se basent toutefois sur des éléments plus que tangibles.

À ce titre, Fabrice Ebelpoin, professeur à Science Po et spécialiste des réseaux sociaux distingue pour TF1 plusieurs reproches adressés à TikTok et sa maison mère. « Il y a deux menaces qu’il convient de distinguer : la surveillance de masse des citoyens et l’influence sur les opinions publiques d’un côté, et le risque d’espionnage au sein d’organisations étatiques de l’autre », avance-t-il.

Concernant la première menace, le professeur s’appuie sur plusieurs affaires passées qui rendent les craintes américaines légitimes. Parmi elles, le scandale Cambridge Analytica, qui prouvait dès 2014 que les données personnelles d’utilisateurs contenues dans un réseau social −en l’occurrence Facebook− pouvaient être « siphonnées » et exploiter à des fins politiques. Et dans ce cas précis : influencer le cours de la primaire républicaine de 2016. Il cite aussi l’interdiction de TikTok à Hong Kong ou en Inde à cause d’affrontements violents, potentiellement alimentés par des opérations de manipulation de l’opinion à l’œuvre sur les applications chinoises.

Fabrice Ebelpoin évoque également l’affaire Pegasus, du nom de ce logiciel espion israélien utilisé pour s’infiltrer dans les smartphones de personnalités politiques, de journalistes ou de militants et opposants. Dévoilée en 2021, cette affaire illustre elle aussi la réalité du risque d’espionnage de la population, ce que cherchent clairement à éviter les Américains.

Diviser (TikTok) pour mieux régner

Une politique de prévention par anticipation des risques que reconnaît d’ailleurs volontiers ce spécialiste : « Il n’y a aucune preuve d’espionnage mais de gros soupçons et, de manière pragmatique, ces organisations étatiques préfèrent s’en prémunir avant d’en arriver là ».

Toutefois, des preuves, il en existe quand même. Comme cette affaire révélée en fin d’année 2022 concernant des journalistes américains du magazine Forbes qui avaient enquêté sur les méthodes de TikTok avant d’être traqués par ByteDance afin d’obtenir l’identité des sources qu’ils utilisaient pour leur enquête.

C’est pour cette raison et celles évoquées plus tôt que Washington cherche surtout à séparer TikTok de sa maison mère, et donc par extension de son emprise chinoise, plutôt que de la bannir définitivement, une démarche bien plus complexe et difficile à mettre en place. Mais certains se montrent critiques sur cette stratégie américaine, qui ne résoudrait finalement pas grand-chose. C’est l’argument avancé auprès de CBS par Ivan Tsarynny, un expert en cybersécurité qui a d’ailleurs été convié par le Congrès pour s’exprimer sur l’interdiction ou la vente de TikTok. Selon lui, une vente « ne ferait que résoudre le premier problème, qui est l’accessibilité des données des Américains aux autorités chinoises ».

Mais la vente à un nouveau propriétaire ne ferait pas disparaître les risques. Ainsi, un nouveau propriétaire de TikTok pourrait tout aussi bien transférer illégalement les données des utilisateurs au gouvernement chinois. Sur ce dernier risque, la chercheuse Christine Dugoin-Clément évoquait pour France Culture une spécificité chinoise qui inquiète beaucoup les autorités américaines : depuis 2017, les citoyens chinois ont pour obligation de participer au renseignement, au-delà de toute frontière géographique. C’est la raison pour laquelle « les États-Unis ont peur que des expatriés puissent accéder aux informations des utilisateurs américains ».

Le bras de fer entre Pékin et Washington semble donc plus engagé que jamais, après plusieurs expériences qui ont finir de convaincre les États-Unis que l’influence de TikTok sur les utilisateurs américains sert davantage les intérêts de la Chine que les siens.

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