TikTok France sur la défensive au Sénat pour répondre aux craintes sur ses liens avec la Chine

Eric Garandeau et Marlène Masure, dirigeants de TikTok France, interrogés par la commission d’enquête du Sénat le 8 juin 2023.
Eric Garandeau et Marlène Masure, dirigeants de TikTok France, interrogés par la commission d’enquête du Sénat le 8 juin 2023.

TIKTOK - Après trois mois de travaux, la commission sénatoriale sur TikTok a interrogé ce jeudi 8 juin deux dirigeants français du réseau social chinois, qui fascine autant qu’il inquiète. Le rapporteur Claude Malhuret et le président de la commission Mickaël Vallet ont, pendant plusieurs heures, tenté de faire la lumière sur la plateforme dans des échanges parfois tendus face à Eric Garandeau et Marlène Masure.

Principale inquiétude de la commission, les liens de TikTok avec la Chine et les soupçons d’ingérence de Pékin via ce réseau social développé partout dans le monde... sauf en Chine, où seule une version censurée, Douyin, est autorisée.

Claude Malhuret a particulièrement insisté sur le rôle de la dirigeante de TikTok France Zhao Tian, également vice-présidente de l’application chinoise Toutiao, une filiale de Douyin. Il s’est inquiété de cette double casquette, alors que les sociétés chinoises en Chine et à l’étranger « sont tenues de collaborer avec les services de renseignements », a-t-il rappelé.

« La personne que vous citez n’a absolument aucun rôle dans l’entreprise et je ne l’ai jamais rencontrée. La fonction de présidente n’a aucune conséquence juridique, aucune conséquence sur la manière dont le groupe est dirigé », a assuré Eric Garandeau, directeur des affaires publiques, qui a tenté pendant près de 3 heures de balayer les soupçons.

« Séparation totale » entre l’Europe et la Chine

Après de multiples relances, Claude Malhuret a commencé à s’impatienter. « Vous nous dites qu’il n’y a aucun lien juridique, et on se retrouve avec une personne qui a des responsabilités aussi bien en Chine qu’en France. Est-ce que vous comprenez le problème de votre discours ? », a-t-il demandé.

Nouvelle dénégation d’Eric Garandeau, qui réaffirme la « séparation totale » entre les entités européennes et chinoises. « Je crois qu’on ne parle pas exactement la même langue », lâche le sénateur, déçu de ces propos qui ne « correspondent pas vraiment à la question ».

Soucieux malgré tout d’obtenir une réponse, le rapporteur de la commission a réitéré quelques heures plus tard avec Marlène Masure, directrice générale des opérations France, Benelux et Europe du sud de TikTok. « On a eu l’occasion de regarder, car vous avez posé la question ce matin. Manifestement, l’information sur Toutiao n’est pas correcte », a-t-elle répondu.

Nouveau tacle de Claude Malhuret : « Dans ce cas il faut que (Zhao Tian) enlève l’information de LinkedIn (réseau social des professionnels, NDLR). Il y a quelques jours ou quelques semaines, elle a publié un post disant qu’elle était très heureuse d’appartenir à cette société depuis huit ans et trois mois. »

Données personnelles et « ingénieurs chinois »

Il poursuit en évoquant cette fois le cas « d’ingénieurs chinois » travaillant pour TikTok en Chine et pouvant manipuler des données personnelles d’utilisateurs européens. « J’ai dû mal avec l’idée qu’on puisse mettre en cause un collaborateur par son origine ou son pays. Beaucoup d’entreprises de technologies ont des collaborateurs en Chine, car il y a un vrai talent », a-t-elle évacué.

« Le problème, vous le connaissez, c’est que la loi chinoise impose à tout citoyen d’obéir, de renseigner les services de renseignement (...). Je ne sais pas si les autres plateformes travaillent avec des ingénieurs chinois, mais moi je trouve cela anormal », a répliqué le sénateur.

Une chose est sûre, a-t-elle assuré, « ce n’est pas la réalité de ce que je ressens au quotidien. Je pense que beaucoup de gens s’expriment sur le sujet alors qu’ils n’ont pas la matière ». Une critique directement adressée à ceux, comme les eurodéputés Raphaël Glucksmann et Nathalie Loiseau ainsi que de nombreux chercheurs, qui sont déjà intervenus devant la commission pour éclairer les sénateurs.

40 000 modérateurs dans le monde

Sa remarque a fait réagir Mickaël Vallet qui s’est agacé et a riposté : « Le mieux, si vous voulez éviter que d’autres parlent pour vous si vous estimez qu’ils parlent à tort et à travers, c’est que les sachants puissent nous dires les choses. » Une référence cette fois aux demandes d’audition envoyées par la commission à Zhao Tian et à d’autres dirigeants de TikTok, jusque-là restées lettre morte.

Eric Garandeau a de son côté voulu rassurer en évoquant le dispositif de sécurité pour « éviter le moindre risque, la moindre critique quelle que soit la nationalité de la personne ». Il a ainsi vanté les « grandes équipes de modérateurs de contenus », 40 000 personnes à travers le monde dont 600 francophones. Ils sont chargés à la fois de la lutte contre la désinformation ou les ingérences, mais aussi la pédopornographie ou encore le cyberharcèlement.

Le directeur des affaires publiques du réseau social a enfin été interrogé sur l’immatriculation de Bytedance (maison mère de TikTok) aux îles Caïmans. « Se déclarer transparent en établissant son siège dans le paradis des sociétés écran c’est une sorte d’oxymore non ? », a ironisé Claude Malhuret.

« II me semble que votre souci, légitime, c’est qu’il n’y ait pas de pression exercée par un État sur TikTok. Le fait de n’être ni en Chine, ni aux États-Unis, c’est plutôt une sécurité », a justifié Eric Garandeau. Mickaël Vallet a eu le dernier mot : « En tout cas il n’y a pas de pression fiscale. »

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