TikTok : ces « abrège frère » veulent faire taire des femmes qui postent des vidéos, et c’est un problème

Le concept du compte @abregefrere était de résumer les vidéos trop longues. Mais des créatrices de contenu ont commencé à être menacées pour avoir parlé plus d’une minute.

TIKTOK - « Tu parles beaucoup », « c’est trop long », « @abregefrere sauve nous » … Depuis quelques semaines, ce genre de commentaires inondent TikTok. Ils font appel au créateur @abregefrere, qui a connu une ascension fulgurante en février, atteignant plus d’un million d’abonnés avant d’être banni de la plateforme. Son concept ? Résumer les vidéos jugées « trop longues » sur TikTok. À chaque vidéo abrégée, il précise même le temps qu’il a fait gagner à ses abonnés.

Si le concept n’est pas original, ayant été exporté du TikTok américain, la méthode est infaillible, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo ci-dessus : une accroche très forte, immédiatement coupée par un résumé bien ficelé, qui satisfait notre envie de connaître la chute rapidement. Sauf que les vidéos qu’Abrège Frère a pour l’instant choisi de résumer, elles sont en grande partie réalisées par des femmes - et ça a très vite donné lieu à de violentes dérives.

Un concept poussé à l’extrême

« Le délire à la base est sympa, mais j’ai senti que ça virait à une nouvelle tendance misogyne », se rappelle @niemesia, qui poste du contenu humoristique et féministe sur TikTok. Comme d’autres créatrices de contenu, elle a commencé à recevoir des centaines de messages sous ses vidéos, lui demandant d’abréger. « Les commentaires se voulaient assez humiliants, déjà par leur quantité, le fait qu’ils étaient répétitifs… C’était une manière plus polie de dire “Ferme ta bouche” ».

Pour Ines, qui poste des vidéos sur l’entrepreneuriat, c’est allé encore plus loin. Un de ses TikTok a été abrégé, et si au début la jeune femme trouvait le concept drôle, elle a vite déchanté. « C’est parti jusqu’à des menaces de mort parce que je parlais plus d’une minute », explique Ines. « Ils disaient aussi que les gens comme nous, les femmes qui parlent trop, ne devraient plus avoir le droit à la parole ».

Des commentaires qui n’ont fait que s’aggraver lorsqu’Ines a décidé de prendre la parole, pour revenir sur ce qu’elle vivait. « Ça n’a pas été facile, c’était tellement violent » soupire Ines. « J’ai même hésité à supprimer la vidéo ». Lorsque le compte d’Abrège Frère a été banni mi-février, c’est encore Ines qui a été accusée à tort. « Ça a été une nouvelle vague de “les meufs, vous gâchez tout, vous n’avez pas d’humour, etc” ». Contacté par Le HuffPost à ce sujet, le créateur derrière @abregefrere n’a pas répondu aux sollicitations, et n’a pas encore pris la parole en ce qui concerne les commentaires de ses fans.

La parole des femmes jugée inutile

« Je suis convaincue que le but d’Abrège Frère n’était pas de déclencher un climat hostile à l’encontre des femmes sur Internet », précise Alena, qui a elle aussi fait face à ces vagues de commentaires méprisants. « Mais il résume les storytimes, les hauls, et les femmes sur les réseaux sociaux sont beaucoup cantonnées à ce genre de contenu lifestyle et beauté », là ou les hommes ont plus été attendus sur du gaming ou de l’humour.

Ce contenu lifestyle est, sans surprise, jugé comme superficiel et ennuyeux par de nombreux fans d’Abrège Frère. « Les centres d’intérêt des femmes sont catégorisés comme frivoles, et sous couvert d’humour, cette misogynie ordinaire s’est transformée misogynie plus du tout cachée », souffle Alena. De fil en aiguille, Alena a même vu Abrège Frère être tagué sous des vidéos où des femmes racontaient des violences qu’elles avaient subies. « Ce qu’on dit en fait, c’est que les femmes n’ont pas le droit de parler longtemps ».

Après avoir été banni, Abrège Frère a créé un nouveau compte TikTok, et recommence tout juste à poster. Mais devrait-il vraiment continuer son concept ? D’après les créatrices de contenu concernées, il pourrait prendre la parole sur le sujet, ou du moins changer sa cible de prédilection. Et puis, certaines choses ne devraient tout simplement pas être abrégées.

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