"The Marvels": comment Marvel, le studio le plus puissant au monde, a perdu son inspiration

À la fin de The Marvels, en salles ce mercredi, Captain Marvel doit raviver un soleil mourant pour sauver un peuple qui vit dans les ténèbres. Alors que ce film s'apprête à réaliser l'un des plus mauvais démarrages de l'histoire de Marvel, difficile de ne pas voir dans cette scène une métaphore des tentatives du studio pour reconquérir une partie du public qui s'est désormais détourné de ses productions pléthoriques.

Après avoir enchaîné les déconvenues au box-office, Marvel a perdu de sa superbe: preuve que le studio redoute plus que d'habitude cette sortie, l'embargo critique, réservé à la presse, n'a été levé que ce mercredi à 9h30, soit quelques instants avant la première projection publique. Du jamais vu en quinze ans d'univers cinématographique Marvel (MCU), note Arno Kikoo, rédacteur en chef du site spécialisé Comicsblog:

"C’est le premier studio au monde et ils ne croient pas en leur projet. Le studio a toujours été hyper confiant dans ses projets même les plus pourris et les plus moches comme Thor: Love and Thunder et Ant-Man Quantumania. L'échec de Secret Invasion a dû les fragiliser. On parle aussi très peu de la saison 2 de la série Loki qui est diffusée actuellement. Et il y a aussi peu d'affiches pour The Marvels."

Pour autant, le spécialiste refuse de condamner les studios Marvel. "Une partie du public qui suit les actualités Marvel voit les aléas de production et la baisse d’intérêt. Elle va voir The Marvels avec cette vision en tête, que c'est le film de la dernière chance. À mon sens, il ne faut pas le voir comme ça. C’est quand on est au pied du mur qu’on trouve les bonnes solutions aussi."

"Ce studio a la flemme"

Conçu il y a trois-quatre ans, alors que les super-héros dominaient le box-office à Hollywood, The Marvels n'aurait jamais pu révolutionner le genre, insiste-t-il encore: "La date de sortie a changé trois fois et il y a eu un tel bordel dans les coulisses que ce n’est pas un film que l'on peut rattraper - surtout quand il y a des grèves d’acteurs et de scénaristes qui interviennent en post-production. Ils ne pouvaient rien faire."

Comment intéresser à nouveau le public aux super-héros avec un tel "empilement de séquences qui ne provoquent aucune émotion"? "Les personnages de The Marvels n’évoluent pas", déplore Arno Kikoo. "Ils bougent d’univers en univers sans que l’on apprenne ou comprenne quoi que ce soit sur eux. C'est un film totalement lambda, déjà vu maintes fois chez eux. Ce studio a la flemme."

La décision de faire appel à des metteurs en scène de la scène indépendante ne permet pas non plus à ces films de se distinguer du reste de la production. "Ils sont capables de donner 250 millions à un cinéaste parce qu’ils savent que leurs grosses équipes vont gérer toute la machinerie", a révélé à Première Mélanie Laurent, qui avait été en lice pour réaliser Black Widow.

"Ce qui compte, c’est le champ/contrechamp entre deux acteurs", avait-elle indiqué. "Ce petit moment qui fait que certains Spider-Man sont plus émouvants que d’autres."

La patte de Nia Da Costa, réalisatrice remarquée pour son remake du classique de l'horreur Candyman, est ainsi indétectable dans The Marvels. "Pourquoi engager une réalisatrice noire qui vient du cinéma d'horreur si c'est pour ne lui laisser aucune liberté?", s'interroge Arno Kikoo pour qui The Marvels propose "plusieurs tonalités très différentes qui ne se mélangent pas très bien".

Le film débute en reprenant l'esthétique comics de la série Ms. Marvel avant de bifurquer sur une séquence musicale inspirée par les dessins animés de Disney. "Ça aurait mieux marché en animation ou en BD", estime le spécialiste. "En live action, ça ne prend pas. Les actrices n’ont pas l’air d’y croire. Surtout que le reste du film est assez premier degré. Il y a un décalage qui ne fonctionne pas et qui sort le spectateur du film."

Les caméos s'essoufflent

La promesse d’un caméo ne suffit pas non plus à créer l'événement. La dernière scène de The Marvels recrée la fameuse scène post-générique du premier Iron Man où Nick Fury proposait à Tony Stark de rejoindre les Avengers. Dans The Marvels, Ms. Marvel engage Kate Bishop de Hawkeye pour former les Young Avengers. "Ils espèrent recréer la première phase du MCU. Mais ils le font avec un casting qui n'a pas du tout le même star power."

La scène post-générique de The Marvels annonce aussi l'arrivée des X-Men avec une apparition furtive de Fauve, campé par Kelsey Grammer, qui avait déjà endossé le rôle dans X-Men: Days of Future Past (2014). "C’est encore du fan service", déplore Arno Kikoo. "Les X-Men devraient être un vrai projet pour eux. À mon sens, tu ne le vends pas sur les scènes post-génériques d’un film que personne ne va voir."

Le monde a beaucoup changé au cours de la dernière décennie. "Il y a eu le Covid puis le changement des modes de consommation du cinéma et des séries. Avec le contexte actuel des guerres en Europe, la montée des extrêmes, le conflit israélo-palestinien, l’inflation… peut-être que le divertissement de masse, tel que Marvel le propose en tout cas, n'intéresse plus le public? Tout le monde voit assez bien que c'est la fin d'un cycle."

Le succès colossal cet été de Barbie et d'Oppenheimer a aussi défini ce que le public attend d'un blockbuster estival. Sans compter le carton du film d'animation d'Illumination Super Mario Bros. qui semble ouvrir la porte à une nouvelle ère d'adaptations de jeux vidéo (comme un symbole, une version live action de The Legend of Zelda a été officialisée par Nintendo la veille de la sortie de The Marvels).

Vers l'auto-critique

Depuis qu'Avengers Endgame est devenu le plus gros succès de tous les temps, couronnant douze ans de productions Marvel, le studio a opté pour une stratégie offensive avec une demi-douzaine de nouveautés par an. Une stratégie qui a essoré l'intérêt du public pour ces histoires et surtout drainé les énergies des artisans des effets spéciaux sollicités pour des périodes de post-production de plus en plus courtes.

Résultat: les dernières productions ont souffert d'effets spéciaux souvent frappants de laideurs - à un tel point que même les enfants des producteurs l'ont fait remarquer à leur père lors des avant-premières, selon une enquête de la revue très informée Variety. "C'est ce qui arrive quand on envisage ses productions uniquement comme des produits au lieu de raconter des histoires", note Arno Kikoo.

Marvel a annoncé en début de semaine le lancement d'un nouveau label, Spotlight. Inspiré par une collection de comics de 1971, il aura pour ambition de présenter des personnages moins familiers du grand public et dont l'histoire est parallèle à la trame principale du MCU. "Ils ont enfin compris, comme avec les comics, que ce n'est pas possible de raconter toutes les histoires avec le même modèle", réagit Arno Kikoo.

"Tous les personnages ne sont pas faits pour ça", poursuit-il. "C'est terrible de voir ce label apparaître après l’horreur qu’ils ont fait subir à Moon Knight (adapté en série avec Oscar Isaac en 2022, NDLR). C'était typiquement le personnage parfait pour introduire Spotlight. Il faut qu'il y ait une auto-critique. Mais une vraie. Pas comme à la fin de She-Hulk sur le ton de la plaisanterie."

Face à DC

Marvel pourrait retrouver sa magie des années 2010 en réagissant à ce que prépare son concurrent DC Comics. Le studio, qui vient d'enrôler James Gunn (Les Gardiens de la Galaxie) pour superviser leurs prochaines productions, a annoncé qu'il laisserait davantage les cinéastes aux commandes pour proposer des films aux tonalités différentes. "Il faut que James Gunn montre avec DC qu'on peut faire différemment."

Plus que de la colère, Arno Kikoo ressent de la tristesse devant la qualité médiocre de ces productions Marvel. Il craint une désaffection de plus en plus importante du public envers les comics: "Les adaptations à succès n'attirent déjà pas beaucoup le public. Alors quand Marvel enchaîne les films vides comme ça, qui ne provoquent aucune émotion, le public ne va pas se ruer sur les comics Captain Marvel."

Article original publié sur BFMTV.com