The Happy Prince : "Oscar Wilde est un Christ" pour Rupert Everett

AlloCiné : Vous parlez si bien français et italien, dans ce film. Vous êtes-vous entrainé spécialement pour ce rôle ou maîtrisez-vous parfaitement ces deux langues ?

Rupert Everett : Je suis venu en France en 1985 et j’y suis resté jusqu’en 1998. Ça m’a laissé le temps d’apprendre le Français ! Quant à l’Italie, j’y ai beaucoup travaillé. J’ai aussi tourné une série pour la télévision en Russie pendant deux ans. Il y avait sur place une équipe russe, une équipe italienne et moi. Je n’arrivais pas à apprendre le Russe. C’est trop compliqué. J’ai dû me débrouiller en italien, c’est comme ça que j’ai approfondi ma connaissance de la langue.

Votre carrière est très liée à Oscar Wilde. Vous avez déjà joué ses textes deux fois au cinéma, dans Un mari idéal et dans L’Importance d’être constant. Vous l’avez aussi interprété au théâtre, non ?

Oui, je l’ai même joué sur scène ici, à Chaillot, en 1998 ! C’était dans L’Importance d’être constant, dans une mise en scène signée Jérôme Savary. En Angleterre, j’ai aussi incarné  Oscar Wilde dans la pièce de David Hare Judas Kiss. J’y ai joué parce que je n’arrivais pas à financer mon film, The Happy Prince. Du coup, je me suis dit que cette pièce de théâtre pourrait me servir de bande démo pour le long métrage que j’essayais de monter. C’était une façon de montrer aux investisseurs que je savais bien me glisser dans la peau d’Oscar Wilde. Et ça a marché ! Le spectacle à Londres a eu de très bonnes critiques et c’est comme ça que j’ai pu débloquer des fonds de la BBC, Lionsgate UK, puis quelques subventions en Allemagne. Donc c’est vraiment grâce à cette pièce que j’ai réussi à trouver mon plan de financement.

Il y aura fallu plus de dix ans. Personne ne veut financer un film de Rupert Everett avec Colin Firth, Emily Watson, Tom Wilkinson et Béatrice Dalle au générique ?

C’est un monde assez difficile. En Angleterre, il n’y a que trois principales sources de financement pour le cinéma : la BBC, Channel 4 et le British Film Institute. Imaginez combien de projets leur sont soumis chaque année. Il faut comprendre les investisseurs : c’est cruel, mais c’est comme ça. Je n’étais pas au sommet de ma carrière quand j’ai commencé à écrire ce film. Je l’écrivais justement parce qu’on ne me proposait plus rien. Un jour, en voiture avec mon producteur belge, à Bruxelles, il pleuvait, on était là pour chercher un peu d’argent, via un fond d’investissement. Il me dit : "On va appeler mon contact chez BAC Films pour voir ce qu’il pense de ton film". La pluie tombait à grosses gouttes, j’étais complètement déprimé. On a mis le chef de BAC Films sur haut-parleur. Il a dit : "Oui, je vois très bien. On n’aime pas du tout le scénario. C’est banal, c’est ennuyeux, on ne le fera pas." Et il a raccroché. Mais je les comprends. Aux Etats-Unis, il y a même un dicton qui dit : "Qui veut bosser avec Rupert Everett ?". C’est une jungle.


C’est un vrai défi, pour un acteur, de passer à la mise en scène. Ça a été difficile pour vous ?

Pour moi, tout était assez organique. Je ne me suis pas vraiment posé de question. Comme j’ai écrit le scénario pour moi, il était taillé sur mesure. Et j’ai tout de suite compris comment je voulais tourner ce film. Déjà, je n’avais pas l’ambition de faire un biopic traditionnel. Je n’aurais jamais eu suffisamment de financements pour faire un film à la David Lean. Les grands espaces, les plans larges, les plans serrés, trois caméras en simultané, les gros plans pour ponctuer chaque scène… Tout ça, c’est magnifique, mais je voulais m’inspirer davantage des frères Dardenne, par exemple. Une chorégraphie apparemment improvisée mais qui ne l’est pas. Je voulais aussi une esthétique viscontiesque, mais sans fixer le regard du spectateur dessus. Je voulais seulement que cette esthétique soit un véhicule pour ce road-movie. Il fallait éviter que l’attention soit retenue par le texte ou le décor. L’objectif de la caméra devait simplement glisser dessus.

Comment avez-vous choisi de travailler avec le directeur de la photographie John Conroy ?

Une fois que j’ai su maîtriser le langage de la caméra, je me suis mis en quête d’un chef opérateur. Un jour, j’étais en train de regarder la série Luther avec Idris Elba. Je me suis dit que c’était exactement la lumière que je cherchais pour mon film. Quelque chose qui évitait d’être trop artistique. J’ai téléphoné tout de suite au chef opérateur. Cette rencontre a été l’événement principal de ce tournage. Il m’a compris tout de suite, d’un point de vue technique. Je ne voulais pas seulement copier les frères Dardenne, mais aussi Truffaut, en suivant le dos d’un acteur et ne pas faire beaucoup mieux. De temps à autres, un contrechamp. Je voulais aussi un moment de confession entre Oscar Wilde et la caméra au début du film, quand il dit : "C’est un rêve". Je voulais qu’il y ait un lien fort entre la caméra et le personnage principal, et que la caméra puisse ensuite suivre la descente aux enfers de ce protagoniste.  John Conroy et moi, nous étions sur la même longueur d’ondes. Dès lors, rien de mal ne pouvait arriver, car la plus grande difficulté, pour un metteur en scène, c’est de se faire comprendre par son équipe. Il faut dire qu’au bout de dix ans de préparation, j’avais les idées claires.

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Toute l’équipe vous a suivi ?

Oui, je m’entendais parfaitement avec le chef décorateur, le chef costumier, le chef opérateur… J’avais déjà eu la chance de travailler avec la plupart des comédiens. Ce sont tous des bolides de la profession. On a à peine besoin de frôler l’accélérateur qu’ils sont déjà partis. Dès lors, mon travail de metteur en scène était fait. On n’avait même pas besoin de moniteur pour le retour image sur le plateau. De toute façon, je déteste ça, je trouve ça ridicule. Quand j’ai commencé dans le cinéma, ça n’existait pas! Il suffisait de regarder les comédiens jouer. J’avais une bonne perception de l’espace et je travaillais encore mieux quand je jouais dans une scène que quand je n’étais pas dedans. Et puis, dès que j’ai eu le feu vert pour faire mon film, je n’ai plus vraiment eu le temps d’y réfléchir. Tout s’est passé très vite. Je n’aurais jamais réussi à aller au bout de cette aventure sans John Conroy.

Pour beaucoup, vous êtes toujours le second rôle du Mariage de mon meilleur ami ou le méchant de L’Inspecteur Gadget. En réalité, il y a un lien fort entre Oscar Wilde et vous. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Ma carrière est très liée à ma sexualité. Pour moi, Oscar Wilde est un Christ. Le Chrétien voit la croix du Christ et peut y trouver un parallèle avec le poids de ses péchés. Je porte le même regard sur Oscar Wilde. Il a été crucifié et a fait naître un chemin vers la liberté homosexuelle. Tout est intéressant, chez Oscar Wilde. Mais cet aspect est celui qui me correspond le plus. A un moment, je me suis senti exilé de ma carrière à cause de ma sexualité. Et, cette croix que je porte est bien plus légère que celle d’Oscar Wilde. Voilà pourquoi il est si important à mes yeux. Quand j’ai commencé à écrire un scénario, je voulais trouver une histoire dans laquelle parler de tout ce que je ressens. Je ne prétends pas être comme Oscar Wilde : c’est un génie ! Mais je le vois comme un chrétien voit Jésus.


Votre film est parfois drôle, mais aussi très sombre et raconte une page torturée de la vie d’Oscar Wilde. Vous aussi, vous avez souvent raconté avoir vécu des périodes très torturées, justement…

C’est la dimension passionnelle d’Oscar Wilde qui s’exprime ! Il n’y a pas de parallèle entre l’histoire de Wilde et la mienne. Au fond, j’ai eu beaucoup de chance aussi : tout ce qui n’a pas marché, dans ma carrière, a été le terreau d’autre chose. Si j’avais eu davantage de proposition entre 2005 et 2007, je n’aurais jamais écrit et réalisé The Happy Prince. Dans une carrière, les creux sont bien plus intéressants, fertiles, que les hauts. Tout ce qu’on peut attendre, quand on est au sommet, c’est de tomber. Plus bas, on trouve de tout. Donc je ne regrette rien et ma carrière n’a jamais été si sombre que ça. Je n’ai jamais eu faim, je n’ai jamais été fauché, j’ai toujours bien vécu. J’ai été parfois très frustré et il y a eu beaucoup d’amertume en moi. Je n’arrivais pas à décrocher ce que je voulais obtenir, souvent. Mais je ne peux pas me plaindre.

Vous regrettez que tant d’acteurs hétérosexuels endossent des rôles d’homosexuels au cinéma, comme Sean Penn dans Milk ou Colin Firth dans A Single Man ?

Non, j’aime bien. Michael Douglas dans Ma vie avec Liberace était formidable ! D'ailleurs, ce club de mecs qui produisent à Hollywood pense que Sean Penn peut jouer un homosexuel sans problème et gagner un Oscar comme ça. Mais pourquoi ça ne marche pas dans le sens contraire ? Je n’ai rien contre Sean Penn, évidemment, je voudrais juste que ce petit club hollywoodien offre plus d'occasions aux merveilleux acteurs homosexuels qui cherchent du travail et peuvent tout à fait jouer des tombeurs de femmes. C’est très frustrant, cette mentalité.

Ferez-vous un autre film, en tant que réalisateur ?

J’en ai très envie, oui ! Je suis en train de me mettre au travail, justement. Ça se passera à Paris dans les années 1970 et ça parlera un peu de moi. (Rires)

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