Ces thanatopracteurs côtoient la mort au quotidien : « Pour travailler avec les défunts, il faut aimer les vivants »

Deux thanatopracteurs, professionnels qui interviennent sur le corps des défunts dans le cadre des services funéraires, témoignent sur leur métier.
Russell Underwood / Getty Images/fStop Deux thanatopracteurs, professionnels qui interviennent sur le corps des défunts dans le cadre des services funéraires, témoignent sur leur métier.

MORT - « On travaille plus pour les familles que pour les défunts. » Mickaël Curti, 40 ans, est thanatopracteur dans les Hauts-de-France. Il intervient sur le corps des morts dans le cadre des services funéraires. Donc des défunts, il en a vu défiler des milliers. Avec toujours le même objectif en tête : « On transforme un cadavre en défunt. On est parfois face à des personnes dans des états plus qu’effrayants, qu’on arrive à rendre beaux, présentables, apaisés. Et qui deviennent apaisants pour leurs proches. »

Claire Sarazin, 50 ans, thanatopractrice en Bourgogne-Franche-Comté, décrit son métier de la même manière. « Tout le travail que l’on fait, c’est pour permettre aux familles de se recueillir sereinement et commencer leur travail de deuil », confirme-t-elle. Un métier technique, où ils font face à la mort quotidiennement. « Les défunts ne sont jamais déshumanisés. Une idée reçue voudrait qu’on leur rende leur dignité, mais ils ne l’ont jamais perdue, ajoute-t-elle. La maladie ou la mort ne rendent pas indignes. »

Mais que ressentent face à ces corps ces professionnels du funéraire ? Leur parlent-ils, ont-ils des gestes particuliers ? Ces deux thanatopracteurs nous font part de leur expérience.

« Je les considère complètement comme des personnes »

Ils effectuent, en fonction des demandes des familles, ce que l’on appelle des « soins de conservation » et/ou des « soins de présentation ». « Le soin de conservation consiste à injecter un fluide conservateur par les artères, explique Mickaël Curti, qui va ralentir pendant un temps donné la thanatomorphose, le processus de dégradation du corps. »

S’il n’est pas obligatoire, le soin de conservation est recommandé dans les cas où la famille souhaite veiller le défunt ou le présenter à ceux qui veulent se recueillir, pendant plusieurs jours. « On va éviter les problèmes d’odeurs, de changements corporels et tout ce qui est dégagement de flux plus ou moins bactériens », explique-t-il. Le professionnel va, lorsqu’il le peut, faire en sorte que son intervention soit la plus invisible possible.

Quand il travaille, Mickaël Curti se concentre sur l’aspect technique, qui reste particulier puisqu’appliqué à de l’humain. « Je ne parle pas directement au défunt, confie-t-il. Après, quand je l’habille, je peux avoir des gestes où parfois, on va mettre un petit coup en passant une manche et par réflexe, dire “pardon”. Je les considère complètement comme des personnes. On entre vraiment dans leur intimité. »

Claire Sarazin, qui fait ce métier depuis 25 ans, estime qu’elle est « privilégiée » d’avoir accès à cette intimité. « C’est ce qui fait la beauté de ce métier, considère-t-elle. À titre personnel, je les appelle par leur nom. Je ne parle pas d’un corps que je vais installer dans un salon. Je vais dire Mme Untel est installée dans le salon. » S’il lui arrive parler à haute voix en s’occupant d’un défunt, elle n’a jamais ressenti de « présence ».

Effacer les « stigmates de la mort »

Si les thanatopracteurs ne connaissent pas la cause de la mort du défunt, qui leur est masquée sur le certificat de décès, le corps peut parler de lui-même. « Parfois, on ne sait absolument rien. Parfois on voit des choses, on se rend compte à quel point la personne a pu souffrir. Et parfois on a toute l’histoire, parce qu’on nous la raconte, ou bien ça peut être des personnes qui se sont suicidées, qui ont eu un accident, qui sont victimes de meurtre », détaille Claire Sarazin.

L’objectif pour les thanatopracteurs est d’effacer le plus possible les « stigmates de la mort et de la maladie ». Pour le choix de la tenue du défunt, une liberté totale est donnée à la famille. « On peut l’habiller avec son jogging et l’écharpe de son club de foot, en tenue militaire, énumère Claire Sarazin. J’ai eu un monsieur en tenue de magicien avec sa baguette, une danseuse de cabaret habillée en tenue de scène, une dame qui voulait partir nue, beaucoup de robes de mariées… »

Les professionnels se souviennent de certains défunts plus que d’autres. « On a des sensations particulières qui changent d’un défunt à l’autre, reconnaît-elle. Je me rappelle, à mes débuts, d’un jeune qui avait eu un accident de moto à 28 ans. Il était tombé sur une remorque et il avait eu le corps quasiment sectionné. On avait passé beaucoup de temps à s’occuper de lui, et pendant tout le temps où mon collègue le “rassemblait”, en quelque sorte, moi je le tenais. Ça a créé une sorte de lien, quelque chose en plus. »

Pour Mickaël Curti, des vêtements portés par certains défunts âgés lui rappellent souvent sa grand-mère, décédée il y a deux ans. « Mais dès qu’on entre dans le dur du travail, qu’on pense aux protocoles, aux dosages, aux résultats, on se met dans une sorte de bulle et on fait ce que l’on a à faire. »

« On travaille beaucoup au feeling »

Une autre partie du travail des thanatopracteurs est celle de la « présentation », tout ce qui est coiffure et maquillage, en vue d’une veillée dans un salon funéraire, par exemple. Pour cela, lorsqu’ils le peuvent, les thanatopracteurs s’inspirent de photos prises du vivant des personnes défuntes. Comme pour la conservation, la présentation n’est pas systématique et reste un choix de la famille.

« On travaille beaucoup au feeling. On regarde un peu la position des cheveux, on imagine la coupe qu’ils pouvaient avoir, explique Mickaël Curti. On s’occupe des défunts comme si c’était un membre de notre famille. Pour travailler avec les morts, il faut aimer les vivants. C’est vraiment le maître-mot. »

Autre maître-mot : l’apaisement, celui du défunt, duquel découle celui de ses proches. « Il faut que la personne ait l’air apaisée, qu’elle ait l’air de dormir. Mais il ne faut pas non plus qu’on ait l’impression que la personne va se réveiller, tente de décrire Claire Sarazin. Ce petit laps de temps où la famille va encore avoir la présence physique du défunt, c’est le moment où ils doivent dire au revoir. Il faut qu’il soit le plus proche possible de ce qu’il était de son vivant. »

Parfois ça convient, parfois non. « Il arrive que les gens ne soient pas satisfaits, parce qu’on a commis des erreurs, ou tout simplement parce que les proches n’acceptent pas le décès, reconnaît-elle. Mais on sait que ce n’est pas contre nous, c’est contre la mort. » Quand les retours sont positifs, ça compte d’autant plus, pour ces professionnels.

« Le plus beau retour que j’ai eu, c’est une grand-mère. Je m’étais occupé de son mari, raconte Mickaël Curti. Elle a demandé à me voir, je m’attendais à me faire engueuler. Elle m’a dit bonjour et elle m’a pris dans ses bras sans rien dire d’autre. C’est le meilleur des retours. »

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