Les théâtres nationaux interdits de programmer des artistes maliens, nigériens et burkinabés

Venue tout droit du ministère de Catherine Colonna, la décision d’interdire toute coopération avec des artistes ressortissants de ces trois pays africain provoque indignation et incompréhension dans le milieu artistique.
STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

CULTURE - La situation politique de plusieurs pays africains provoque des remous jusque sur les planches de l’Hexagone. Et désormais, les artistes originaires du Niger, du Burkina Faso et du Mali n’ont plus leur place dans les théâtres nationaux. C’est la décision transmise par le Quai d’Orsay aux structures culturelles françaises, comme l’indiquent ce jeudi 14 septembre Le Monde et France Inter.

Dans un courrier envoyé par les directions générales des affaires culturelles (DRAC) aux établissements culturels subventionnés par l’État, il leur est explicitement demandé de « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso », « sur instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ».

Coups d’État à répétition

Comme le précise le journal Le Monde, ces mesures préconisées sont particulièrement fortes au moment où les trois pays, qui disposent d’ordinaire de liens étroits avec la France, traversent des crises profondes. Le Niger a connu un coup d’État le 26 juillet 2023, tandis que le Burkina Faso en avait déjà vécu deux en 2022, tout comme le Mali en 2020 et 2021.

Ainsi, « tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception ». Même tarif pour les « soutiens financiers » qui « doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations ».

Il est également interdit aux lieux culturels de proposer des invitations aux ressortissants de ces pays. Le message transmis par les DRAC précise qu’« à compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre ».

Quid de la solidarité de la France avec les artistes ?

Un courrier qui a de quoi inquiéter et interroger dans les rangs du spectacle vivant français. Dans un communiqué partagé mercredi 13 septembre, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) a réagi avec stupeur face à ce « message au ton comminatoire ».

Considéré comme « inédit par sa forme et sa tonalité », le message n’a « aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique », selon ce communiqué. « C’est tout le contraire qu’il convient de faire », insiste d’ailleurs le Syndeac qui met en avant qu’aucune crise internationale récente (avec la Russie) ou plus ancienne (avec la Chine) n’avait jusqu’alors provoqué « l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres ».

En conséquence, « le Syndeac demande la tenue d’une réunion immédiate avec le Secrétariat général du ministère de la Culture pour que les arguments des professionnels soient écoutés et que la solidarité de la France à l’égard des artistes soit affirmée avec force ».

Et alors que de nombreux artistes et festivals vont devoir chambouler leur agenda et leurs programmations au plus vite, Le Monde témoigne de l’incompréhension totale de certains, comme Hassane Kassi Kouyaté, metteur en scène franco-burkinabé.

« En tant que citoyen je m’interroge : que sont devenues les valeurs de la France, ce pays des droits de l’homme qui a signé la charte de l’Unesco ? En tant qu’artiste, je suis surpris : pourquoi sanctionner les créateurs qui sont souvent les premières victimes des conflits ? Et que dire de l’ingérence soudaine du politique dans les programmations culturelles ? », commente celui qui est par ailleurs directement concerné par cette missive, en tant que directeur du Festival des Francophonies en Limousin, un festival prévu du 20 au 30 septembre 2023.

Malgré la sévérité de son message, le Quai d’Orsay dément auprès du Monde vouloir chercher « à interdire toute coopération culturelle ». « Cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant cette date ou qui résident en France ou dans d’autres pays », a-t-il ajouté.

« Pour des raisons de sécurité, la France a suspendu depuis le 7 août la délivrance de visas depuis Niamey, Ouagadougou et Bamako, ainsi que la mise en œuvre dans ces pays de nos actions de coopération culturelle », a ensuite expliqué le ministère de la Culture à l’AFP.

Le ministère a toutefois précisé n’avoir demandé « aucune déprogrammation d’artistes, de quelque nationalité que ce soit ».

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