Taylor Swift n’a pas attendu « The Tortured Poets Department » pour prouver qu’elle est une poète

MUSIQUE - Avec un nom pareil - Le Département des Poètes Torturés dans la langue de Molière - le ton est donné. Taylor Swift a sorti ce vendredi 19 avril son nouvel album très attendu, The Tortured Poets Department. L’occasion pour la chanteuse américaine de rappeler qu’elle est plus qu’une pop star : c’est une poète.

Pour son nouvel album, Taylor Swift installe une bibliothèque à Los Angeles (et y cache des indices)

Taylor Swift s’est toujours identifiée d’abord comme une autrice-compositrice, avant d’être une chanteuse. Elle se revendique désormais elle-même poétesse en signant les messages promotionnels de son album « la présidente du Département des Poètes Torturés ». Mais elle n’a pas attendu son nouvel album pour écrire des chansons comparables à des poèmes en vers ou en prose. Dès le début de sa carrière en 2005, Taylor Swift s’est fait remarquer pour ses talents de parolières.

À tel point qu’aujourd’hui, plusieurs universités, dont les prestigieuses Harvard et Stanford, proposent des cours d’analyse des paroles de ses chansons, au même titre que de grands textes de littérature.

Taylor Swift, star des études littéraires

Elly McCausland, professeure de littérature anglaise à l’Université de Gand en Belgique, et créatrice du site Swifterature, est la première à donner un cours sur Taylor Swift en Europe. Pour elle, qualifier la star de poète n’a rien de surprenant. « Si l’on remonte plusieurs siècles en arrière, la poésie était un médium oral, parlée avant d’être écrite, et souvent mise en musique. D’une certaine manière, Taylor Swift revient aux sources de la poésie », dit-elle au HuffPost dans la vidéo en tête d’article.

Même si tous les auteurs-compositeurs peuvent, dans un sens, être considérés comme des poètes, Taylor Swift est un sujet d’étude particulièrement pertinent pour les professeurs de littérature. Déjà, parce qu’elle leur donne beaucoup de matière avec ses 243 chansons (selon les comptes de Rolling Stone), qu’elle a toutes écrites ou coécrites.

Mais c’est surtout son style d’écriture recherché, sans en avoir l’air, qui se porte bien à l’analyse. Elly McCausland souligne par exemple son utilisation de vocabulaire complexe en anglais, et de techniques littéraires qu’on associe souvent à la poésie classique. « Elle utilise beaucoup de métaphores et de comparaisons, ce qu’on appelle du langage figuré, note la professeure. Mais elle le fait de manière qu’on n’y pense même pas. C’est subtil. Ses chansons sont faites de couches, et quand on les épluche, on trouve plein d’idées intéressantes. »

Pop poétique

Ses albums folklore et evermore, sortis par surprise en pleine pandémie de Covid, avaient fait le plaisir des critiques et des non-adeptes de la chanteuse, grâce à leur instrumentalisation folk et leurs paroles très poétiques. Celles-ci ont d’ailleurs inspiré le jeu « Shakespeare ou Taylor Swift » sur TikTok, où des étudiants doivent deviner si une phrase vient de la plume de William Shakespeare ou de Taylor Swift.

Mais même dans ses chansons plus pop et « simples », Taylor Swift travaille méticuleusement ses textes. « Elle est douée pour prendre des expressions idiomatiques ou des concepts courants et jouer avec eux », détaille Elly McCausland, en citant la chanson Out of the woods de l’album 1989.

En anglais, l’expression « we are out of the woods » (littéralement « nous sommes sortis du bois ») signifie être en sécurité, que la partie la plus difficile est terminée. « Elle explore cette métaphore d’un point de vue littéral. Elle parle des bois, au sens premier. Elle chante “les monstres se sont avérés n’être que des arbres” et dans le clip, elle court à travers une forêt sombre qui l’attaque et les branches s’enroulent autour d’elle », explique la professeure.

« Elle prend une phrase qu’on utilise beaucoup en anglais et elle en explore les racines, sans jeu de mots, et ce qu’il se passe quand on littéralise une expression idiomatique », reprend l’experte. Pour l’auditeur non aguerri, et encore plus pour les non-anglophones, la musique de Taylor Swift peut paraître en surface comme « juste des chansons entraînantes sur l’amour, les relations amoureuses, la vie », mais selon Elly McCausland, « elles méritent une lecture plus approfondie ».

The Tortured Poets Department, album le plus poétique ?

Avec The Tortured Poets Department, pas besoin de creuser bien loin : elle assume son image de poète et ne cache plus ses références littéraires. L’une des chansons bonus s’appelle par exemple The Albatross, référence directe au poème La Complainte du vieux marin de Samuel Taylor Coleridge, voire à L’albatros de Charles Baudelaire.

Avant de le découvrir ce 19 avril, les fans et les universitaires ont imaginé un album encore plus poétique, dans la continuité de folkore et evermore. Elly McCausland s’attend également à une œuvre « très méta » avec des chansons dans lesquelles Taylor Swift écrit sur le fait d’écrire.

« Je me demande si elle n’a pas vu tout l’intérêt qu’elle suscite sur le plan académique depuis deux ans et si elle ne se moque pas de nous d’une certaine manière, en se disant “je vais donner à ces professeurs de quoi parler” », s’interroge la professeur de littérature en rigolant. La chanteuse, et reine de la promotion, semble avoir bien conscience de son image de poète des temps modernes.

Elle en joue volontairement depuis l’annonce de son nouvel album, comme le prouve la bibliothèque remplie de livres et de manuscrits qu’elle a fait installer en plein Los Angeles. Avec The Tortured Poets Department, Taylor Swift cherche à montrer ses talents d’écrivaine autant qu’à les faire écouter. Comme elle l’écrit si bien : « Tous les coups sont permis en amour et en poésie ». Et en communication aussi.

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