Taxés de "négligences", deux avocats réputés relaxés de complicité de tentative d’escroquerie au jugement

"Bonjour maître." Joseph Cohen-Sabban entre dans la salle d'audience du tribunal de Paris salué par les policiers en charge de la sécurité. À cet instant, le sort professionnel de l'avocat pénaliste réputé, comme celui de son confrère Xavier Nogueras, est suspendu à la décision qui va être rendue quelques minutes plus tard par la 11e chambre correctionnelle.

Les deux avocats sont encore alors soupçonnés d'avoir produit, lors du procès aux assises de l'un de leur client, le narcotrafiquant Robert Dawes, des faux documents lui étant favorables.

Les mots de la présidente de la cour sont durs à l'encontre de ceux qui ont fait preuve d'une "désinvolture et d'une légèreté des plus blâmables". Pour autant, au terme de la lecture de son jugement d'un peu plus d'une heure, Isabelle Prévost-Desprez a relaxé Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban du délit de complicité de tentative d'escroquerie au jugement.

"Des juges d'instruction haineux"

Ils sont toutefois reconnus coupables de "violation du secret de l'instruction", ce qui leur vaut une condamnation à une amende de 15.000 euros et trois ans d'interdiction d'exercer la profession d'avocat. Une phrase plus tard, la présidente de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris précise que cette peine complémentaire est frappée d'un sursis. Un ouf de soulagement est entendu dans la salle d'audience, pleine à craquer de robes noires venues soutenir leurs confrères.

"Il y avait une infraction très grave, celle de complicité de tentative d'escroquerie au jugement, dont j'étais totalement innocent et une infraction qui existe et qui est ce qu'elle est, chacun appréciera", note Joseph Cohen-Sabban à la sortie de l'audience.

"Nous avons eu à faire à des juges d'instruction haineux, à des procureurs obtus. Je ne voulais pas prendre ma retraite avant d'être blanchi, j'estime être blanchi", ajoute-t-il.

L'hommage à Hervé Temime

Avant l'ouverture des débats, Me Matthieu Chirez, conseil de Xavier Nogueras se lève dans une atmosphère solennelle, de recueillement. "Je ne peux pas ne pas me lever pour rendre hommage à un immense avocat, Me Hervé Temime, dont je le sais, chacun aujourd'hui à sa mesure souffre de son absence." "C'est dur mais c'est beau", poursuit l'avocat rappelant qu'Hervé Temime, décédé la semaine dernière, aura plaidé pour la dernière fois pour "la défense d'un avocat (Xavier Nogueras, NDLR) et a plaidé pour la défense de notre métier."

Dans cette affaire, Xavier Nogueras et Joseph Cohen-Sabban ont fait preuve d'un "véritable dilletantisme", d'une "faible implication dans la défense de leur client" et ont commis des "erreurs et des imprudences gravissimes". Alors chargé de la défense du narcotrafiquant britannique Robert Dawes, condamné à 22 ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Paris en décembre 2018 pour l'importation de 1,3 tonne de cocaïne, les deux pénalistes avaient présenté des pièces, fourni par leur client, visant à remettre en cause la procédure. Des pièces qui se sont révélées fausses.

"Amateurisme béat"

À l'audience, en janvier dernier, Xavier Nogueras avait reconnu "n'avoir rien fichu" dans ce dossier, laissant ses trois autres confrères se charger de la défense de Robert Dawes. Joseph Cohen-Sabban, 70 ans, avait plaidé la "fatigue". Ils avaient alors fourni des pièces couvertes par le secret professionnel à un proche du narcotrafiquant, Evan Hughes. "Nul avocat soucieux de la qualité de la défense d'un client n'eut adopté un comportement aussi léger et blâmable", a tranché la présidente Isabelle Prévost-Desprez lors de la lecture de son jugement - "très argumenté selon les nombreux spécialistes du droit présents dans la salle - dénonçant "un amateurisme béat et une négligence".

"Ils ont lourdement endommagé la confiance que chaque justiciable a dans les auxiliaires de justice", condamne encore la juge.

Ces "carences" dans la défense de leur client ne les rendent toutefois pas coupables de complicité de tentative d'escroquerie pour le tribunal. Robert Dawes et Evan Hughes, qui avaient falsifié les documents, ont eux été condamnés à 5 et 4 ans de prison.

"En aucun cas, une condamnation (pour cette infraction, NDLR) ne peut être prononcée sans vérification de l'élément intentionnel, rappelle la présidente du tribunal. Aucun élément du dossier ne permet d'établir avec certitude que l'un des quatre avocats, et notamment Xavier Nogueras ou Joseph Cohen-Sabban, savait que les documents présentés devant la cour d'assises étaient des faux." Autrement dit, ils n'ont pas "sciemment" fourni un faux et ne peuvent être condamnés.

"Nous avions dit qu'ils reporteraient la robe noire, et bien voilà, c'est fait", se félicitaient les avocats des deux pénalistes à la sortie de la salle d'audience.

Article original publié sur BFMTV.com