Le témoignage de Judith Godrèche au sujet de Benoît Jacquot en dit beaucoup sur les ressorts de l’emprise
VIOLENCES - « C’est comme une main qui se referme sur votre cœur, et qui serre, et qui serre, et qui serre. Et après, il est impossible de s’en dégager. » Chaque semaine depuis la sortie de sa série Icon of French Cinema, Judith Godrèche s’ouvre un peu plus sur ce qu’elle a vécu dans sa relation avec Benoît Jacquot, entamée alors que l’actrice avait 14 ans et le réalisateur 39.
Sur France Inter, jeudi 8 février, elle est revenue sur « une histoire de violence, une histoire d’enfermement, une histoire de contrôle » et, à travers son récit, a posé des mots sur les ressorts de l’emprise.
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Pour décrire sa relation avec Benoît Jacquot, elle explique : « C’est comme quelqu’un qui avancerait dans votre dos, avec un plan, une vision de ce qu’il veut, qui sait comment la mettre en scène et qui arrive tout doucement, par-derrière, et vous jette un grand drap noir sur la tête. »
Laurène Daycard est journaliste et l’autrice du livre Nos absentes (éditions du Seuil), fruit de plusieurs années d’enquêtes sur les féminicides. Elle reconnaît, dans la description de Judith Godrèche, les mêmes mécanismes détaillés par les victimes de violences intrafamiliales. « L’image qu’elle décrit fait penser à cette image de cage, dans laquelle sont enfermées les victimes de contrôle coercitif, explique-t-elle. Ce qu’elle décrit c’est quelque chose qui est presque un totalitarisme dans la cellule intime. »
Selon le récit de Judith Godrèche dans les colonnes du Monde, pendant leur vie commune, Benoît Jacquot régentait ce qu’elle mangeait, la coupait de « toute vie sociale », et lui interdisait la prise de contraceptifs.
« Un filet qui se resserre progressivement sur la personne »
L’image du « totalitarisme » du quotidien, l’anthropologue Pascale Jamoulle, autrice de Je n’existais plus - Les mondes de l’emprise et de la déprise (éd. La Découverte), l’utilise aussi dans son travail sur l’emprise. « Ce qui m’a le plus aidée pour comprendre comment ça marche, c’est vraiment la métaphore du système totalitaire stalinien. C’est comme un système de nœuds, un filet qui se resserre progressivement sur la personne. Ces nœuds vont aboutir à un moment donné à une prise de possession de la personne, de sa vie économique, de sa vie psychique et de son corps. »
Le premier de ces nœuds est souvent préalable à l’emprise, selon la chercheuse, qui parle de « vulnérabilités » chez certaines victimes. La socialisation des femmes figure parmi celles-ci, leur éducation et leur place dans la société les « dépossédant parfois de la capacité de faire face à l’autorité ». Autre vulnérabilité, pour Pascale Jamoulle : un terreau « traumatique » qui fait que certaines « n’ont pas pu se construire comme sujet ».
Judith Godrèche n’avait que 14 ans au moment de sa rencontre avec Benoît Jacquot. « Dans ma vie, il y avait la place pour un homme comme ça, le terrain était absolument préparé pour lui, résume-t-elle au micro de France Inter. J’étais quelqu’un de très solitaire, je n’avais pas de figure d’autorité très forte dans ma vie. J’avais été fragilisée par le départ de ma mère et mon père était en souffrance, ce qui fait qu’il n’y avait pas la place pour ma souffrance à moi. »
L’emprise d’une figure charismatique
Le « nœud » suivant, selon Pascale Jamoulle, est la « mauvaise rencontre » – « à un moment donné, il y a une figure charismatique qui apparaît et qu’on met plus grand que soi », explique l’anthropologue. Quand Judith Godrèche tourne pour la première fois avec Benoît Jacquot, elle le perçoit comme « une figure paternelle », « quelqu’un que tout le monde respectait, admirait ».
Sur France Inter, elle décrit la manière dont il est ensuite devenu sa « maison ». « Vous qui êtes un peu comme ça, sans trop de repères, ou avec des repères qui sont fragiles parce qu’ils sont en souffrance, il devient votre maison, raconte-t-elle. Il vous dit qu’il est votre maison. Et il crée en plus un système de manque où moi, très vite, je me suis sentie dépendante. »
C’est le prochain nœud du filet décrit par Pascale Jamoulle : celui de « la dépendance affective ». Les victimes « se sentent vides sans l’autre ». Elles sont progressivement isolées, les « liens horizontaux sont tous déconstruits, ne reste plus que le lien vertical avec la personne ». L’anthropologue parle aussi des violences « qui s’enchaînent et des règnes de terreur ».
Dans ses témoignages, Judith Godrèche détaille les sévices physiques et sexuels que le réalisateur lui aurait fait subir, expliquant avoir été « frappée, sadisée, humiliée en public ». « J’avais peur, j’avais peur pour des bonnes raisons », confie-t-elle au micro de Sonia Devillers.
Parler pour reprendre le contrôle de son histoire
L’actrice a beau avoir quitté Benoît Jacquot il y a plus de trente ans, son cheminement pour se sortir de l’emprise a duré, dit-elle, toutes ces années. « M’arracher à cette maison, m’arracher à cet homme, c’est un travail qui n’en finit pas, c’est un travail qui est encore en cours », explique-t-elle sur France Inter.
Ce travail, elle l’a fait à travers le témoignage d’autres victimes – quand elle a reçu Le Consentement de Vanessa Springora, elle n’a pas pu finir le livre tout de suite tant l’histoire de l’écrivaine faisait écho à la sienne. Mais aussi en se réappropriant sa propre parole, notamment à travers sa série Icon of French Cinema, qui suit une actrice nommée Judith Godrèche qui se remémore la relation abusive qu’elle a vécue, adolescente, avec un homme quadragénaire.
Le rôle de la parole est en effet crucial dans la déprise, car « l’emprise vous capture la parole et vous ôte l’imaginaire, résume Pascale Jamoulle. Dès que vous commencez à parler, votre imaginaire se remobilise et vous commencez à analyser toute la mécanique qui vous a amené là. »
Une démarche pour reprendre le contrôle de son histoire qui demande beaucoup de courage aux victimes. Un courage que Judith Godrèche, qui a lancé un appel pour recueillir le témoignage d’autres victimes, puise dans son désir de réparation, comme elle l’a expliqué à Mediapart, lundi 12 février : « J’ai un besoin très très très violent de me réapproprier la petite fille de 14 ans, de 15 ans et de 16 ans. Je pense que c’est vraiment ce qui me donne beaucoup de force aujourd’hui. Il y a quelque chose de l’ordre de la réparation qui est en train de se faire aujourd’hui et je ne laisserai pas [cette petite fille] tomber. »
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