« La syndicaliste » avec Isabelle Huppert raconte bien plus que l’histoire vraie d’une lanceuse d’alerte

Isabelle Huppert, ici dans le rôle de Maureen Kearney, ex-syndicaliste d’Areva.
Isabelle Huppert, ici dans le rôle de Maureen Kearney, ex-syndicaliste d’Areva.

CINÉMA - L’histoire de Maureen Kearney, beaucoup d’entre nous sommes passés à côté au moment des faits. Beaucoup d’entre nous sommes aussi passés à côté des documentaires et des livres sur ce scandale d’État. Les choses changeront peut-être avec la sortie le 1er mars au cinéma de La syndicaliste, nouveau long-métrage de Jean-Paul Salomé avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre.

Le récit, fidèle au roman éponyme de la journaliste de L’Obs, Caroline Michel-Aguirre (éditions Stock, 2019), revient sur le combat de l’ex-déléguée syndicale d’Areva. Celui qu’elle a mené pour les salariés de la multinationale, d’abord. Maureen Kearney s’inquiétait des conséquences d’un accord entre Areva, EDF et l’opérateur nucléaire chinois CGNPC permettant des transferts de technologie en vue du développement d’un nouveau réacteur chinois.

Et puis, celui contre la justice française. En 2012, Maureen Kearney est victime d’une agression sexuelle. Elle est retrouvée chez elle, ligotée sur une chaise, la lettre « A » scarifiée sur le ventre et le manche d’un couteau enfoncé dans le vagin. Maureen Kernay en est persuadée : son agression est liée à son engagement. Une enquête est ouverte.

Mais voilà, aucune empreinte n’a été retrouvée, hormis les siennes, celles de son mari et de la femme de ménage. Devant la justice, Maureen Kearney paraît froide, presque insensible à ce qui vient de lui arriver. On apprend, aussi, qu’elle a été victime d’un premier viol quand elle était jeune. Épuisée, Maureen Kearney dit avoir tout inventé, puis finalement se rétracte. Elle passe pour une mythomane. La justice se retourne contre elle et l’accuse d’avoir mis en scène sa propre agression.

« Une double peine »

Finalement relaxée en novembre 2018 en appel des accusations de dénonciation mensongère à son encontre, Maureen Kearney dit, dans la vraie vie, « ne plus croire » dans la justice. D’après Isabelle Huppert, interrogée en marge de la sortie du film, pour Maureen Kearney c’est « double peine ». « Non seulement ce qu’elle a subi, mais aussi le fait qu’on ne la croit pas », commente l’actrice de 69 ans au micro de RTL, vendredi 24 février.

Dénoncées et médiatisées depuis plusieurs années, les failles de la justice en matière de violences faites aux femmes sont au cœur de La syndicaliste. À commencer par les dialogues. « Arrêtez de faire passer une victime pour une coupable », demande une gendarme à ses collègues. « Parce qu’elle a été victime d’un viol à 20 ans, elle en aurait inventé un autre ? » s’interroge l’avocate de la déléguée syndicale. Elle ajoute : « La bonne victime n’existe pas. »

Une grande partie du film est fidèle à ce qui s’est passé, précise Jean-Paul Salomé dans les notes de production. « Certains dialogues sont exacts au mot près, notamment ce que l’on entend au cours des deux procès, assure le réalisateur. Ce souci de la vérité a été l’un des axes de travail de toute l’équipe. »

L’acharnement de Pierre Deladonchamps, qui incarne l’adjudant persuadé que Maureen Kearney ment, interroge. « Cela arrangeait tout le monde de se dire que cette femme était folle, mythomane, qu’elle avait tout inventé », poursuit Jean-Paul Salomé. Il prend l’exemple d’un récent documentaire sur l’affaire Grégory, dans lequel un policier raconte avoir soupçonné la mère parce qu’elle portait un pull noir moulant. « Inacceptable d’une femme qui vient de perdre son enfant », imagine le cinéaste avec sarcasme.

Les violences gynécologiques

D’après lui, le cas de Maureen Kearney aurait peut-être été un peu différent dix ans plus tard. Peut-être aurait-elle rencontré davantage de femmes au cours de l’enquête, se dit-il. Peut-être aurait-elle aussi échappé aux violences gynécologiques qu’elle a subies au cours de cette même enquête. Les trois examens réalisés en une semaine, y compris la reconstitution d’un manche de couteau dans son vagin, apparaissent à l’écran. Ils laissent sans voix.

« J’ai pleuré, pleuré, a confié la véritable Maureen Kearney par la suite. Dans ma tête, je criais, je hurlais ’à l’aide’. J’étais examinée comme un animal qu’on amène chez le vétérinaire, et uniquement par des hommes. »

Entre 2012 et 2018, les nouveaux avocats de l’ex-accusée ont finalement découvert que des traces d’ADN étrangères ont été trouvées sur le lieu du crime. Elles auraient été perdues au cours de l’enquête, apprend-on dans un épisode des Pieds sur terre, sur France Culture, dédié à l’affaire. « Toutes les pistes n’ont pas été suivies », selon Jean-Paul Salomé, qui s’appuie sur l’enquête de Caroline Michel-Aguirre. Le coupable n’a jamais été retrouvé et Maureen Kearney n’a pas souhaité poursuivre la procédure pour viol. Comme neuf victimes de viol sur dix en France, elle n’a pas porté plainte.

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