"Super Mario Bros, le film": dans les coulisses de la VF que le monde entier nous envie

"C'est une petite révolution dans le film d'animation." Benoît Du Pac savoure l'instant. Celui qui prête sa voix à Luigi dans Super Mario Bros., le film salue la décision d'Universal, Illumination et Nintendo, les producteurs du long-métrage d'animation, d'avoir accepté de confier la version française (VF) à des comédiens de doublage confirmés, et non à des stars, comme pour la version originale (VO).

Le milieu du doublage vit ce moment comme une véritable reconnaissance, alors que le "star-talent", pratique qui consiste à embaucher une personnalité pour assurer le doublage d'un film d'animation, est le plus souvent employé. "Les gens commencent à comprendre que ce n'est pas parce qu'on a un nom connu qu'on va faire un meilleur travail", note Audrey Sourdive, voix de Peach dans Super Mario Bros., le film.

"Certaines stars sont excellentes, mais les comédiens de doublage ne doivent pas obligatoirement être des comédiens de l'ombre", insiste la comédienne, connue pour être la voix d'Abbie dans le jeu The Last of Us Part II. "Le 'star-talent' offre une certaine visibilité", nuance toutefois Valérie Siclay, directrice artistique du doublage de Super Mario Bros, le film. "La starification a apporté un respect sur notre métier."

"On était sur le cul"

Une série d'heureuses coïncidences a permis à ces comédiens de doublage de garder la main sur Super Mario Bros, le film. Tout commence à l'automne dernier, lorsqu'Universal doit doubler en français la première bande-annonce du long-métrage. La filiale française du studio américain contacte Valérie Siclay, avec qui elle a déjà travaillé sur Les Bad Guys. C'est elle qui va choisir les voix du teaser.

Figure respectée du doublage en France, elle réunit un casting de poids lourds du milieu: voix de Deadpool et Pikachu, Pierre Tessier est Mario. Jérémie Covillault, qui prête sa voix à Tom Hardy et Benedict Cumberbatch, hérite de Bowser. Et Donald Reignoux, l'inoubliable Titeuf, de Kamek. Benoît Du Pac, Shadow dans Sonic, est enfin Luigi.

Les bandes annonces étant réalisées souvent très en amont, elles font appel le plus souvent à des comédiens de doublage qui ensuite seront remplacés, lors de l'enregistrement du film, par des stars, pour rendre la promotion plus attractive. Une décision jamais agréable à entendre, mais qui "fait partie du jeu", selon Benoît Du Pac. Mario étant une grosse licence, "on a eu très peur de ça à la base", complète Jérémie Covillault.

La première bande-annonce, dévoilée le 6 octobre 2022, rencontre un succès mondial. Les fans réalisent de nombreux montages compilant les différentes voix de Mario dans les différents pays. La version française, par Pierre Tessier, sort aussitôt du lot, avant d'être saluée comme la meilleure interprétation possible du personnage imaginé par Shigeru Miyamoto.

"On était sur le cul", se souvient Benoît Du Pac. "C'est allé tellement vite", complète Pierre Tessier. "Personne ne s'attendait à ça. On a eu l'impression de lancer un truc dans l'espace. C'était énorme." "Aux Etats-Unis, tout le monde trouvait la VF de Pierre Tessier meilleure que celle de Chris Pratt", renchérit Jérémie Covillault. "Il y a eu une grosse remise en question. C'est historique!"

"Peur d'un nouveau bad buzz"

L'emballement autour de la VF est tel, avec des articles dans la presse internationale, que le choix de conserver les comédiens de doublage s'impose auprès d'Universal, Illumination et Nintendo. "Les fans de la VF se sont empressés d'aller sur le net et de créer le buzz en disant qu'ils n'iraient jamais voir le film s'ils faisaient appel à du star-talent", s'amuse Benoît Du Pac.

"Je pense que ça a mis une certaine pression", poursuit-il. "Ils s'étaient déjà pris un scud des fans avec Sonic. Ils ont eu peur d'un nouveau bad buzz. [Universal, Illumination et Nintendo] ont été un peu embringués malgré eux et un peu dépassés par le buzz. On a été tellement, tellement heureux d'aller au bout."

"C'est Valérie Siclay qui a réussi à convaincre Nintendo et Universal de prendre des professionnels du doublage", révèle Jérémie Covillault. "Elle a vraiment insisté et on nous a fait confiance." "On a été pris de court par cet engouement", reconnaît Valérie Siclay. "Dès la deuxième bande-annonce [en janvier], on a été très attentifs à essayer de garder les mêmes personnes."

Audrey Sourdive, voix régulière d'Anya Taylor-Joy (Peach en VO), qui n'avait pas participé à la première bande-annonce, est arrivée sur le projet à cette période, sans rien savoir du succès mondial de la VF ou "de la pression des fans". "Comme ils sont partis sur le fait de ne pas prendre de 'star-talent' après le succès de cette bande-annonce, j'ai pu faire un essai pour le film."

Sous contrôle

Le doublage s'est effectué sous le contrôle des producteurs du film. Pierre Leduc, le co-réalisateur, a travaillé avec les équipes françaises dès la première bande-annonce et a validé chaque prise. "Tous les comédiens ont fait des essais validés par Universal France, Universal Etats-Unis, Illumination France, Illumination Etats-Unis et Nintendo", énumère Valérie Siclay. "Sur chaque étape, il y a eu cinq niveaux de validation."

"J'ai cherché, tout en prenant en compte la VO, des voix et des comédiens qui amèneraient quelque chose de particulier à l'univers de Mario", ajoute-t-elle encore. Arme secrète du doublage français, Pierre Tessier a travaillé pour proposer un compromis parfait entre Chris Pratt, la voix anglaise de Mario, et Charles Martinet, l’interprète de Mario depuis 28 ans dans les jeux vidéo.

"On a écouté les voix de Martinet et j'ai essayé de me rapprocher le plus possible de ses sonorités et de proposer un truc joyeux et ludique", détaille Pierre Tessier, qui a aussi "collé au jeu et aux intentions" de Chris Pratt.

Un savoir-faire purement français

Pour Valérie Siclay, Benoît Du Pac ou encore Pierre Tessier, la VF de Super Mario Bros, le film marque avant tout le triomphe d'un savoir-faire purement français. "On a une vraie tradition du doublage en France, contrairement à d'autres pays", rappelle Audrey Sourdive. "C'est un art. C'est très précautionneux. On y met tout notre petit cœur et ça s'entend", se réjouit Pierre Tessier.

"En VO, ce n'est pas du doublage. C'est une création de personnage. Ils ont leur propre rythme. Nous, en VF, on doit se fondre dans un personnage déjà existant", indique Valérie Siclay. "C'est un travail plus compliqué que de la création pure. On doit prendre le rythme de l'acteur et essayer de coller au maximum à ses intentions." "C'est un vrai métier. C'est un véritable exercice de style", souligne Jérémie Covillault.

"Avec l'essor de la culture geek et manga, on commence à avoir énormément de fans", se réjouit Audrey Sourdive. "Les gens sont de plus en plus sensibles aux voix." Si bien que malgré l'absence de promotion, leur participation au film était connue de tous: "C'est drôle", réagit Jérémie Covillault. "On n'avait pas le droit de parler du film et du rôle qu'on faisait, mais des gens un peu passionnés ont immédiatement reconnu nos voix. Ça faisait plaisir d'être reconnu."

Faire bouger les lignes

Le succès de la VF (l'essentiel des 1,8 million d'entrées la première semaine) apporte la preuve qu'un blockbuster sans voix de stars peut marcher au box-office. "Les Français adorent notre VF. Ils se rendent compte qu'on ne dénature pas le film", s'enthousiasme Benoît Du Pac. "J'ai reçu plein de messages adorables de gens super heureux de voir une princesse Peach un peu badass", ajoute Audrey Sourdive.

Ces acteurs restent pourtant des travailleurs de l'ombre. Ils n'ont ainsi pas pu participer à la promotion du film et n'ont pas été invités à l'avant-première. Et reste à savoir s'ils seront rappelés pour l'inévitable suite. "J'espère qu'ils vont se dire qu'on fait un travail de qualité, et qu'on peut nous faire confiance. Si ça fait bouger les choses, tant mieux", espère Pierre Tessier.

"Je ne suis pas sûr que ce soit révolutionnaire, mais ça ouvre peut-être un petit peu les yeux", commente Jérémie Covillault. "Ce serait beau que les décideurs réalisent qu'on fait du très bon travail, et parfois même du meilleur travail que le 'star-talent'".

Valérie Siclay se montre elle aussi très prudente: "Qui sait qui sera décideur dans deux ou quatre ans chez Universal, Illumination, Nintendo, quand la suite sortira? On doit évoluer avec des façons de travailler qui changent."

Article original publié sur BFMTV.com