Suicides à France Télécom-L'ex-patron et Orange en correctionnelle

L'ancien patron de France Télécom Didier Lombard, six autres cadres et Orange sont renvoyés en correctionnelle dans l'affaire des suicides à France Télécom. /Photo d'archives/REUTERS/Charles Platiau

PARIS (Reuters) - L'ancien PDG de France Télécom Didier Lombard et six cadres, dont la responsabilité est mise en cause dans une vague de suicides dans cette entreprise, seront jugés en correctionnelle, ainsi qu'Orange en tant que personne morale.

Didier Lombard, le directeur exécutif chargé des ressources humaines de l'époque, Olivier Barberot, et l'ancien directeur général adjoint, Louis-Pierre Wenes, sont maintenus sous contrôle judiciaire jusqu'à leur future comparution devant le tribunal, précise l'ordonnance de renvoi, prise mardi dernier.

Didier Lombard est devenu PDG de France Télécom (qui deviendra plus tard Orange) début 2005, et a engagé un plan de restructuration draconien. Une vague de dizaines de suicides, tentatives de suicides et dépressions a frappé l'entreprise de 2006 à 2009, année où le plan NEXT a finalement été arrêté après qu'une salariée se soit défenestrée devant ses collègues.

Les juges d'instruction chargés du dossier ont retenu les incriminations de harcèlement moral ou complicité de harcèlement moral mais pas l'homicide involontaire, ce que déplore la CFE-CGC, qui s'est portée partie civile, ainsi que le syndicat SUD.

Ces syndicats souhaitent un procès pour l'exemple, ont déclaré samedi à Reuters plusieurs de leurs représentants.

"Il faut que ça serve d'exemple pour que plus jamais un management use de violence sociale pour faire partir des gens. Pour le reste, ça ne ramènera pas nos collègues", a ainsi dit le président de la CFE-CGC Orange Sébastien Crozier.

L'avocat de la CFE-CGC, Me Frédéric Benoist, a précisé qu'il étudiait les moyens d'obtenir que la qualification juridique soit étendue à l'homicide involontaire afin qu'elle "corresponde à la réalité tragique de dossier".

Le plan de restructuration visait à réduire les effectifs de France Télécom de 22.000 personnes, à provoquer un changement de métier pour 10.000 autres employés et à en recruter 6.000.

Un rapport de l'Inspection du travail remis en 2010 à la justice a conclu au caractère "pathogène" des méthodes de restructuration et de management, tels que mutations forcées ou objectifs de performance impossibles à atteindre.

ORANGE CONTESTE CES ACCUSATIONS

Ce rapport relevait également que les alertes des médecins du travail avaient été ignorées.

Me Benoist dénonce le fait que les dirigeants de l'époque aient montré "une volonté délibérée d'accroître l'intensité" de ces méthodes "tout en connaissant les dégâts qu'elles provoquaient et les dangers que cela comportait".

Christian Pigeon, représentant du syndicat Sud, s'est pour sa part dit satisfait de ce renvoi en correctionnel, tout en déplorant que "cela arrive bien tardivement".

"On aurait préféré que l'homicide involontaire soit retenue mais ce qui compte pour nous c'est le caractère exemplaire de cette mise en cause et de ce procès, pour que la responsabilité du PDG sur la santé des salariés soit reconnue", a-t-il dit.

La plupart des personnes poursuivies sont aujourd'hui à la retraite. La CFE-CGC déplore que deux d'entre elles aient toujours des responsabilités soit à Orange, soit chez un partenaire d'Orange.

Quant à Didier Lombard, il est resté jusqu'en 2017 membre du conseil de surveillance de la société Radiall de l'actuel président du Medef Pierre Gattaz, rappelle le syndicat.

Contactée, la société Orange a réitéré sa position consistant à rejeter les accusations portées contre la direction de France Télécom, soulignant par la voix d'un porte-parole qu'elle était "une entreprise résolument tournée vers l’avenir, dans laquelle les salariés se déclarent fiers de travailler".

"Ainsi qu’elle l’a toujours affirmé, Orange conteste ces accusations et s’en expliquera lors de l’audience publique qui sera programmée dans les prochains mois", a dit à Reuters ce porte-parole. "Dans l’intervalle, il est important de préserver les personnes concernées et de veiller au strict respect de la présomption d’innocence."

L'avocat de Didier Lombard, Me Jean Veil, a jugé "absurde" le renvoi de son client en correctionnel. Il n'a pas souhaité commenter davantage.

Selon Me Benoist, le procès ne devrait pas intervenir avant le second semestre de 2019.

(Arthur Connan et Emmanuel Jarry édité par Caroline Pailliez)