Stromae, Lewis Capaldi, Lomepal... Pourquoi le métier d'artiste peut peser sur la santé mentale

Stromae a récemment mis un terme à sa tournée. Le chanteur écossais Lewis Capaldi vient lui aussi d'annoncer une pause pour prendre du repos. Comme eux, de plus en plus d'artistes ont besoin de s'arrêter pour préserver leur santé mentale.

Il y a eu Lomepal, Stromae, et tout récemment Lewis Capaldi. De plus en plus d'artistes se disent rincés, épuisés, incapables de continuer, et décident d'interrompre une tournée ou de mettre leur carrière en pause, pour se reposer et prendre soin de leur santé mentale. Si le phénomène n'est pas complètement nouveau, il ne cesse de prendre de l'ampleur.

"Il y a une prise de conscience assez récente, qu'un artiste du niveau de Stromae doit se prendre en charge comme un sportif de haut niveau", constate la psychologue clinicienne Sophie Bellet-Vinson.

Cette ex-manager d'artistes a créé il y a 4 ans avec la psychiatre Emma Barron l'Insaartt, l'Institut de soin et d'accompagnement des artistes et des techniciens. L'organisme a notamment réalisé une étude sur l'impact psychologique des conditions d'exercice des métiers du spectacle. Car si les stars qui craquent font les gros titres, ils ne sont pas les seuls à être victimes de burn-out.

L'étude met en lumière la difficulté des conditions de travail de tous les acteurs de la filière, avec des conséquences parfois délétères pour la santé physique et mentale. Le manque de sommeil et l'irrégularité des rythmes lors des tournées constituent ainsi d'importants facteurs de risques.

"Un rythme de travail assez étrange"

"Les conditions d'exercice de ces métiers-là" constituent un terreau pour des burn out, pointe Sophie Bellet-Vinson. "Le sommeil est souvent mis à mal, les rythmes de vie, la nourriture, les déplacements, la pression de la réussite. C'est très éprouvant pour la personne qui les vit." La psychologue évoque aussi une "charge mentale très forte", pour des artistes de la stature de Stromae.

"Il y a un rythme de travail qui est assez étrange, c'est exactement l'inverse d'horaires de bureau. On joue beaucoup le soir et le week-end", évoque également la chanteuse Suzanne Combo, déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique, et membre du collectif Cura, qui veut sensibiliser à la santé mentale chez les artistes.

"Ce qui est difficile dans des grosses tournées comme celles de Stromae, c'est qu'on arrive très tôt sur les lieux du concert et qu'on joue très tard", relève-t-elle.

"Il y a beaucoup de battement entre les premières balances et le vrai concert", ajoute-t-elle. "Il faut savoir occuper ce temps-là. Ça crée des moments un peu étranges, de solitude. On est comme dans une salle d'attente, comme si on perdait un peu son temps." Suzanne Combo évoque aussi la qualité de la nourriture, "variable d'ajustement" du budget d'une tournée.

Pression économique

Or, la scène est aujourd'hui un passage obligé pour les artistes, et représente une part croissante des recettes d'un musicien. "Depuis que l'industrie du disque vend moins de disques, même si le streaming est en train de prendre une vraie place, c'est la scène qui permet aux artistes de gagner leur vie, et d'exister", relève Sophie Bellet-Vinson.

La pression économique conduit ainsi les artistes, à se lancer dans des tournées "très lourdes et très fatigantes, qui ne respectent pas forcément les rythmes de vie et la santé des équipes". "Ce n'est pas forcément la responsabilité des productions", tempère cependant la psychologue. "Cela peut-être aussi une responsabilité de l'artiste. Quand ça marche bien, il veut que ça continue, il est dans le mouvement."

Sur scène, pendant plusieurs heures, l'artiste et ses musiciens se donnent à fond pour offrir le meilleur spectacle possible aux fans.

"Un concert c'est très fatigant, c'est une performance", rappelle Suzanne Combo. "Deux heures passées sur scène avec son public, c'est éprouvant pour le corps et pour le mental."

"Une forme de déracinement"

Et puis il n'y a pas que la scène, il y a toutes ces périodes de préparation, mais aussi les déplacements, pas toujours optimisés. "Il faut dormir dans des villes différentes, des lieux différents, voire dans un bus avec toute l'équipe, donc dans des petites couchettes avec peu d'intimité", évoque la déléguée de la Guam.

L'artiste est loin de chez lui et de sa famille pendant des semaines ou même des mois. C'est d'ailleurs ce qu'a expliqué Lewis Capaldi mardi à ses fans, pour justifier l'annulation d'une série de concerts:

Les tournées sont pour l'artiste des moments un peu hors du temps et de la réalité. "Ça crée une forme de déracinement, et à la fois aussi le fantasme qu'on n'a plus de problèmes, plus de factures et quand on revient ça fait plutôt mal", note encore Suzanne Combo.

"La vie de tournée c'est chouette, c'est un peu les colonies de vacances, mais on ne vit pas des choses normales," témoignait Stromae sur TF1, le 9 janvier 2022.

"On est dans un environnement assez festif, c'est le soir, les gens font la fête, il y a de l'alcool", ajoute la déléguée de la Guilde des artistes de la musique.

"On est sorti du 'sexe, drogue et rock'n'roll'"

L'alcool, justement, est l'un des thèmes abordés dans les études de l'Insaart et de Cura, tout comme les drogues. Si les stupéfiants sont plus accessibles que dans d'autres professions, ils sont cependant aujourd'hui moins glorifiés. "Longtemps l'industrie a cultivé l'image de l'artiste torturé et l'a laissé être torturé, pensant que de son mal-être allait sortir quelque chose de beau. On est moins dans ce fantasme-là", évoque Suzanne Combo.

"On est sorti un peu du 'sexe, drogue et rock'n'roll', avec une fascination un peu morbide pour le mal-être ou pour les drogues", confirme le psychiatre Jean-Victor Blanc, auteur du livre Pop & Psy (Plon).

La communication autour de la santé mentale des artistes évolue doucement, initiée notamment par des d'artistes anglo-saxons comme Selena Gomez, Justin Bieber, ou Shawn Mendes, qui ont révélé leurs propres troubles et difficultés.

"Cela vient essentiellement des États-Unis et du monde anglo-saxon, note Jean-Victor Blanc. En France, ça commence, mais c'est timide. Il y a encore beaucoup de craintes, dans le fait d'être associé à cette cause", souligne le psychiatre, qui a fondé du festival Pop & Psy visant à sensibiliser le public sur le thème de la santé mentale. L'événement, qui invite des personnalités à s'exprimer a ainsi essuyé "un certain nombre de refus d'artistes qui avaient peur du sujet".

"Une psy pour ne pas péter les plombs"

Il note cependant des changements très positifs. "Les artistes musicaux, aujourd'hui, parlent beaucoup, chantent, écrivent à propos de leur santé mentale, à la première personne. Ce qui est nouveau, c'est qu'ils parlent aussi des soins, de ce qui les a aidés et ils en parlent de manière beaucoup plus directe."

Les réseaux sociaux, permettent ainsi aux artistes de "parler directement à leur communauté de santé mentale", évoque le psychiatre, qui cite Whitney Houston ou Britney Spears, pour qui, dans les années 1990 "la communication était verrouillée". À cette époque, "les stars n'avaient pas la possibilité de parler de ces sujets".

Et puis, certains artistes n'hésitent plus à en parler dans les médias. Lomepal, par exemple a décidé en 2019 de faire une pause après le succès de ses deux albums FLIP en 2017 et Jeannine en 2018 et une grosse tournée, et a raconté sans détour sa démarche.

"J'ai contacté une psy pour ne pas péter les plombs", a-t-il ainsi confié au Parisien.

Stromae a consacré une chanson, L'Enfer, à la dépression qui l'a frappé. Et BigFlo et Oli ont en 2022, au moment de la sortie de leur album Les autres c'est nous et après une pause de 2 ans, confié s'être attelés à "débloquer les nœuds" en se faisant aider. "On a un psy chacun", ont lâché les deux rappeurs toulousains au micro de Léa Salamé sur France Inter.

Mais si le sujet est "moins tabou qu'avant", pour Suzanne Combo, il reste de nombreux freins à la prise de parole, à la prise de conscience mais aussi à l'accès aux soins. "Dans les enquêtes menées avec notre collectif Cura, on constate un problème de prise de conscience du mal-être. L'artiste n'identifie pas forcément qu'il ne va pas bien et l'entourage ne voit pas toujours les signaux."

"De quoi tu te plains ?"

"La principale raison, c'est la difficulté à écouter ce qui se passe dans son corps", complète Sophie Bellet-Vinson. "Comme dans d'autres métiers, on travaille, on se met la pression. L'épuisement professionnel, le burn-out, c'est quand le corps a été soumis au stress de façon répétitive, sans s'autoriser de temps de récupération."

Difficile, par ailleurs, pour des artistes connus à qui tout semble réussir, de se plaindre. "Ils pensent qu'ils n'en ont pas le droit, parce que les gens ne peuvent pas comprendre: 'tu as du succès, tu es connu, de quoi tu te plains?'", note Suzanne Combo.

"C'est difficile pour tout un chacun de franchir la porte d'un psychologue, mais c'est peut-être encore plus difficile pour les artistes", évoque Sophie Bellet-Vinson.

"Mais j'ai le sentiment qu'ils se l'autorisent de plus en plus. En consultation, j'ai des artistes qui s'interrogent sur la gestion du succès, sur comment on se débrouille avec le public, qui anticipent un peu les difficultés qu'ils sont amenés à rencontrer."

Le destin d'Avicii, le jeune DJ suédois, épuisé par les concerts, consumé par l'anxiété et l'alcool, qui s'est suicidé en 2018 sert aujourd'hui de garde-fou. "De plus en plus d'artistes, priorisent leur santé mentale, là où avant, tout était un peu sacrifié sur l'autel de la gloire, de la célébrité ou de l'argent", souligne Jean-Victor Blanc.

L'industrie de la musique a également amorcé un travail sur la question. "Au Canada, quelques labels commencent à proposer une petite enveloppe pour permettre aux artistes de s'occuper de leur santé mentale ou physique", souligne Suzanne Combo, qui évoque aussi, en France, des initiatives régionales de salles de spectacles pour établir une charte de bonnes pratiques pour le respect de la santé mentale". Le festival Les Nuits de Fourvière organise une rencontre sur la "Prévention des risques dans le spectacle vivant".

"On sent de plus en plus, qu'il y a un intérêt, un questionnement. On a des demandes de rendez-vous en maisons de disques", souligne Sophie Bellet-Vinson, qui intervient notamment dans des festivals pour faire de la prévention et de l'information. "C'est un questionnement que l'ensemble de la profession commence à prendre en charge". Mais si le métier commence à bouger "on a du mal à mobiliser les pouvoirs publics", regrette-t-elle, estimant que c'est pourtant "une vraie question de santé publique."

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - La minute de Stromae