Violences sexuelles dans l'athlétisme: Emma Oudiou accuse la fédération de protéger des athlètes et des entraîneurs avant Paris 2024

Violences sexuelles dans l'athlétisme: Emma Oudiou accuse la fédération de protéger des athlètes et des entraîneurs avant Paris 2024

"A un an des Jeux olympiques, rien ne va les arrêter." Livrant son témoignage en tant que victime d'agression sexuelle présumée (sa plainte a été classée sans suite), l'ancienne athlète de 3000m steeple Emma Oudiou a rapporté ce mardi à la commission parlementaire sur les défaillances des fédérations sportives que certains coachs et athlètes étaient toujours en équipe de France malgré des accusations connues de la fédération française d'athlétisme.

"La fédération est au courant de ces histoires"

"Je pense que la fédération est au courant de ces histoires, affirme-t-elle, alors qu'est assise à côté d'elle Claire Palou, elle aussi athlète en 3000m steeple, victime présumée d'un viol par son entraîneur et de multiples harcèlements sexuels. J'essaie de faire remonter au maximum. Au risque de leur déplaire, je pense que les noms ne sortiront pas et qu'ils ne seront pas sanctionnés à un an des JO, ce serait trop dangereux. Surtout vu la débâcle qu'on s'est pris aux derniers championnats du monde."

"Leur priorité va être de sauver les apparences dans un an et certainement pas de protéger les victimes parce que ce sont de potentielles médailles et de potentiels entraîneurs médaillables qui seraient mis sur le côté. Ce serait catastrophique pour la fédération d'athlétisme", appuie Emma Oudiou.

"On nous apprend à obéir, à écouter"

"Les retours que j'ai sont très inquiétants. Il y a beaucoup d'athlètes qui sont en souffrance à cause d'entraîneurs et d'athlètes qui font partie de l'équipe de France. C'est difficile de prendre des décisions. Il y a des athlètes qui étaient présents aux derniers championnats du monde, qui sont très soutenus, qui ont des milliers de followers, des sponsors... Pourquoi ils arrêteraient? A un an des JO, rien ne va les arrêter. Ils ont ce sentiment d'impunité, d'être tout-puissants."

"Le sport est un monde très peu politisé et on ne nous apprend pas à avoir des revendications. On nous apprend à obéir, à écouter, poursuit-elle. On nous a dit depuis toute petite que l'objectif, c'est Paris 2024. Dans cette perspective-là, créer un mouvement collectif et revendiquer ensemble, c'est très compliqué, parce qu'il y a ces Jeux olympiques à domicile."

"On m'avait déjà dit que cet entraîneur était très tactile"

Emma Oudiou raconte avoir été victime de plusieurs agressions sexuelles de la part d'un coach de l'équipe de France lors des championnats du monde junior aux Etats-Unis en 2014. Elle a porté plainte en 2018, prenant conscience de la gravité des faits au moment du mouvement MeToo et a vu sa plainte classée sans suite. En interne, la commission disciplinaire de la fédération d'athlétisme et de Jeunesse et Sport ont d'abord statué d'une suspension de six mois avec sursis, avant qu'elle ne soit levée en appel.

"Cet homme n'entraîne plus en équipe de France, mais entraîne toujours en club et en pole, explique-t-elle. Et à l'INSEP entre 2018 et 2020, j'ai subi du harcelement sexuel d'un athlète, j'ai d'autres témoignages de joueuses aussi." "Quand je suis arrivée à l'INSEP, on m'avait déjà dit que cet entraîneur était très tactile voire trop proche des athlètes. Donc cet entraîneur était connu. On se sent très peu considérée quand on vient parler, mal pris en considération."

"C'est tout un système qui devrait changer"

"Quand on regarde les décisions prises par la FFA, on parle de Wilfried Happio qui est toujours à l'INSEP, alors que l'athlète qui a porté plainte contre lui, elle, ne s'entraîne plus à l'INSEP. Alors concernant sa carrière? Il y a des athlètes qui parlent, c'est toujours la même histoire: de l'emprise, des omertas, les plaintes sont classées sans suite et à la fin c'est à nous de se bouger. On se dit à quoi bon? Il ne se passe jamais rien, aucune décision n'est prise."

A ses côtés, Claire Palou affirme que l'inaction de la FFA serait liée à une volonté de ne pas voir l'image de l'athlétisme français être égratignée: "Il y en a plusieurs au sein de la FFA qui ont des comportements interdits. Il y a une volonté de garder une bonne image de chacun des athlètes. Ils m'ont dit que c'était mieux pour tout le monde si ça ne sortait pas dans la presse. S'ils mettaient plus les moyens pour aider les victimes comme nous, j'aurais pu continuer à performer, poursuivre ma carrière normalement et faire rayonner la France. C'est tout un système qui devrait changer, il y a beaucoup d'hommes qui dirigent la fédération et on ne sait pas quelles sont leurs positions vis-à-vis de ça."

Article original publié sur RMC Sport