Violences intrafamiliales: en quoi consistent les pôles que le gouvernement veut créer dans les tribunaux?

Violences intrafamiliales: en quoi consistent les pôles que le gouvernement veut créer dans les tribunaux?

Vraie avancée ou effet d'annonce? Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a confirmé ce lundi la création de "pôles spécialisés" dans les violences intraframiliales au sein des tribunaux français. L'objectif est notamment de mieux prendre en compte les problématiques spécifiques aux violences intrafamiliales, comme le contrôle coercitif ou l'emprise, et de mieux faire communiquer les différents acteurs du corps judiciaire.

Ce dispositif avait déjà été évoqué par le gouvernement en mars, lors de la présentation du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Sa mise en place a été confirmée ce lundi, à l'occasion de la remise officielle d'un rapport d'information parlementaire sur les violences intrafamiliales au ministre de la Justice.

Ce dernier a annoncé lundi "la création d'un pôle violences intrafamiliales (...) dans tous les tribunaux, dans toutes les juridictions de France, avec un coordonnateur du parquet, un coordonnateur au siège, avec des magistrats référents, des assistants de justice, des contractuels attachés de justice dédiés".

Les attachés de justice sont une fonction que le ministre veut créer via la loi de programmation de la justice, a-t-il précisé en mars au Sénat. Ce poste aura des "missions définies" et ces contractuels "recevront une formation dispensée par l'École nationale de la magistrature", avec une passerelle vers la magistrature "à l'étude".

Des audiences spécialisées

Les pôles annoncés ce lundi "traiteront en transversalité les dossiers de violences intrafamiliales sur le plan civil (affaires familiales, assistance éducative, autorité parentale…) et sur le plan pénal (pôle mineur-famille au parquet, audiences correctionnelles) avec un dossier unique et des audiences dédiées", détaillait le dossier de presse du gouvernement en mars.

Les audiences spécialisées dans les violences intrafamiliales existent déjà dans certaines juridictions, à Reims ou à Clermont-Ferrand par exemple. Ces audiences permettent de "montrer l'importance quantitative du phénomène, de mettre en évidence la jurisprudence en la matière, et de pouvoir uniformiser la position du ministère public, du juge", expliquait en mars à BFMTV.com Matthieu Bourrette, le procureur de la République de Reims.

Aussi, les pôles spécialisés viennent "entériner ce qui se fait déjà dans les grandes juridictions", affirme à BFMTV.com Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM). Selon le rapport parlementaire de la députée Renaissance Emilie Chandler et de la sénatrice UDI Dominique Vérien, en décembre 2022, près de 30% des juridictions déclaraient spécialiser des audiences aux violences conjugales et/ou violences intrafamiliales.

"Mission impossible" dans les petites juridictions?

Pour l'USM, "sur le principe, inviter des acteurs à se former sur ces questions est intéressant". Mais Cécile Mamelin estime que dans les petites juridictions, mettre en place de tels pôles relève d'une "mission impossible" en raison du manque d'effectifs. Créer des services avec des magistrats dédiés aux violences intrafamiliales reviendraient à allonger les délais des procédures pour les autres contentieux.

Les pôles peuvent apporter une "fluidité dans la prise en charge et le passage d'informations", entre le civil et le pénal notamment, "mais les moyens doivent être mis", avertit la magistrate.

Les associations veulent des juridictions spécialisées

Ce dispositif représente un compromis par rapport aux juridictions spécialisées, réclamées par certaines associations. "Les associations demandent une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales, un guichet unique qui prendrait en compte tous les aspects d'une affaire: les violences, le divorce, la garde des enfants, l'indemnisation... Avec des juges spécialistes qui connaissent bien les situations et évitent des décisions de justice aberrantes", a déclaré à l'AFP Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.

Le rapport parlementaire sur les violences intrafamiliales ne se prononce pas pour la création de telles juridictions, estimant seulement qu'il s'agit d'une "éventualité à expertiser". Il pointe les "difficultés qu’elle engendrerait en termes d’éloignement du justiciable, de réorganisation du système judiciaire, du coût induit dans un système contraint".

La Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF) qui gère la ligne d'écoute 3919, aurait aussi "souhaité qu'il aille plus loin" sur ce volet des juridictions spécialisée. "Actuellement la justice rend des décisions contradictoires: un homme jugé dangereux pour sa famille au pénal et qui continue d'exercer l'autorité parentale et le droit d'hébergement", a expliqué sa directrice, Françoise Brié, à l'AFP. Les pôles spécialisés, "c'est une étape, mais on est au milieu du gué", a-t-elle jugé.

Les syndicats sceptiques face à une juridiction spécialisée

Les syndicats de magistrats sont de leur côté sceptiques concernant ces juridictions spécialisées. L'USM se veut "pragmatique": une telle mesure nécessiterait un nombre important de personnels, dont la justice ne dispose pas à l'heure actuelle, pointe Cécile Mamelin.

En 2020, la France disposait par exemple de 11.16 juges pour 100.000 habitants (contre une médiane de 17,60 pour les pays membres du Conseil de l'Europe) et de 3.19 procureurs (contre une médiane de 11,10), selon le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, qui étudie et compare les systèmes judiciaires nationaux au sein du Conseil de l'Europe. Même si le ministre de la Justice a annoncé une hausse importante des effectifs pour les prochaines années, "on ne rattrape pas en deux ans ce qui n'a pas été fait en 30 ans", souligne la vice-présidente de l'USM.

Les pôles annoncés par Éric Dupond-Moretti ce lundi seront adoptés "par voie de décret dès septembre 2023", précise le gouvernement dans un communiqué.

Article original publié sur BFMTV.com