Rugby: "Quand je suis arrivé en France, je pesais 162 kilos", rencontre avec le géant toulousain Emmanuel Meafou

Rugby: "Quand je suis arrivé en France, je pesais 162 kilos", rencontre avec le géant toulousain Emmanuel Meafou

Emmanuel Meafou, on ne connaît pas forcément votre parcours. Comment êtes-vous venu au rugby? Comment l’avez-vous découvert?

"J’ai commencé par le rugby à XIII avec mon père et mes frères. En Australie, avec la NRL (National Rugby League, ndlr), c’est le sport numéro un au pays. Mais je n’étais pas très bon. J’étais grand et si je pouvais avancer de dix mètres, je pouvais aussi reculer de dix! A 16 ans, j’ai voulu rejoindre le rugby à quinze, puisque tous mes amis y jouaient. Donc j’ai joué à l’école, puis en club. A cet âge-là, tu rêves de Super Rugby, des Wallabies. Mais ce n’était pas une option pour moi, personne ne m’a proposé de contrat."

Et vous avez, durant quasiment un an, arrêté le rugby…

Oui. Dans ma tête, à la sortie de l’école, si je ne signais pas en Super Rugby, c’était la fin pour moi. Pas de contrat, même pas en "Académie", l’équivalent des Espoirs ici…

Qu’avez-vous fait?

Rien du tout! Je n’ai même pas travaillé. Je suis resté chez moi et je n’ai fait que manger et prendre des kilos… bon, ensuite, un ami de mon père a insisté pour que je me bouge. A cette époque-là, j’ai travaillé sur des échafaudages en tant que vitrier. Mais je restais en bas à passer le matériel. Je ne montais pas, c’était trop haut pour moi (rires)!

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Et vous êtes revenu au rugby?

Oui, dans un petit club à côté de Brisbane, près de chez moi. J’ai joué plus d’un an en tant que 2e ligne. Et là, j’ai été appelé par les U20 des Melbourne Rebels. J’ai fait six mois avec eux, avant de rentrer, puis six mois à nouveau, mais à Sydney. Et ensuite, j’ai eu un contact avec le Stade Toulousain.

C’est votre agent qui a fait le lien?

Oui. Car au départ, j’avais décidé d’aller aux Etats-Unis pour du football américain. J’avais fait des tests physiques en Australie, à Brisbane. Et j’avais été choisi pour aller faire d’autres tests pendant trois mois à "IMG Academy" en Floride. Mais il y a eu le contact avec Toulouse. J’ai hésité car je suivais beaucoup le football américain, à la télé ou sur les réseaux sociaux. Sauf qu’il n’y a eu que des tests physiques. Je n’ai finalement jamais pratiqué ce sport.

N’était-ce pas trop difficile pour un jeune Australien de 20 ans de traverser le monde pour aller tenter sa chance en France?

Oui bien sûr! Ça faisait peur. Mais je n’avais aucune autre option. Je n’avais pas de proposition en Australie. Dans le cas contraire, j’aurais pu rester chez moi. Après, avec mes origines samoanes, je connaissais Jo Tekori et Jerome Kaino, qui jouaient à l’époque pour Toulouse. C’était plus facile. Mais la France, c’était très loin, c’est vrai. Ça a été difficile. Mais cinq ans plus tard, ça va mieux.

"Le foie gras. C’est vraiment très bon, mais c’est un problème!"

Il y a eu des moments durs?

Oui! Pendant la Covid notamment. Le jour de mes 21 ans, j’ai vécu mon anniversaire seul chez moi, dans mon studio. J’étais là depuis deux ans mais c’était encore dur. Mais on a beaucoup travaillé. Et maintenant, je suis très content d’être dans ce grand club du Stade Toulousain et dans ce pays magnifique.

Quand on parle de vous, on parle beaucoup de votre physique. Quel est réellement votre poids?

Ça dépend. Si j’arrive à 140 kilos, c’est très bien, mais 145, c’est un bon poids aussi. J’ai beaucoup évolué cette saison à ce poids-là.

Vous avez été plus lourd par le passé?

Au oui! Quand je suis arrivé en France à l’âge de 19 ans, je pesais 162 kilos! Je me rappelle, je suis monté sur la balance dans le gymnase d’Ernest-Wallon et là, quand j’ai vu ça… c’était compliqué de jouer en Top 14. Et même en Espoirs. Je me suis dit: "là, on va travailler" (il éclate de rire)! Il n’y avait rien à dire, juste à travailler.

Mais ce physique est aussi votre arme…
Oui, ce n’est pas un physique comme tout le monde. C’est un physique unique, j’ai la chance d’être comme ça, même si ce n’est pas moi qui ai choisi. C’est pour ça qu’on a travaillé avec tout le staff pour que je perde du poids, pour mettre le meilleur Emmanuel sur le terrain. Et en dehors aussi, car à 162 kilos, ce n’est pas possible.

Ce fut dur physiquement?

Oui, il y a eu des moments difficiles. Mais je le sais, je veux jouer au rugby à haut niveau. Donc on a travaillé et maintenant, on est bon. Je me pèse tous les matins, on continue, pour trouver mon bon poids.

La France n’est pas l’endroit le plus facile côté gastronomie pour contrôler son poids…

Ah c’est sûr! Côté alimentation, j’adore tout (grand sourire)! En France, il y a du pain, du beurre, plein de choses… c’est quelque chose que je travaille avec tout le monde, au club et même à la maison avec ma femme, pour trouver un bon équilibre. Mais c’est dur! Avant d’arriver ici, je n’avais jamais goûté au foie gras. C’est vraiment très bon, mais c’est un problème (rires)! Ce n’est pas bon mais c’est bon (il rigole et se tape sur la main comme pour signifier un interdit)!

"Je veux rendre à la France tout ce qu’elle a fait pour moi"

Comment vivez-vous les matchs de haut niveau et comment ça se passe avec les adversaires que vous croisez tous les week-ends?
Moi j’aime le contact. Et en Top 14, il y a beaucoup de bons joueurs. Sur le terrain, c’est la guerre. A chaque fois, tu veux gagner. Sur un plaquage, quand tu portes le ballon, sur chaque impact. Mais en dehors du terrain, il y a beaucoup de respect. Skelton, souvent après des matchs, m’envoie un message pour me dire: "tu as fait un bon match, continue comme ça". Piula Faasalele qui joue maintenant à Perpignan, a fait beaucoup pour moi quand j’étais à Toulouse. Et d’autres comme Jo Tekori, Jerome Kaino ou Charlie Faumuina m’aident. Si je suis le joueur que suis, je ne le dois pas qu’à moi. Il y a du monde qui travaille avec moi.

Vous marquez beaucoup d’essais (8 cette saison) et vous aimez aussi faire des passes sur le terrain. D’où vous vient cette dextérité?

Après, ce n’est pas que moi sur les essais. Ce qu’on a fait contre les Bulls, près de la ligne, c’est moi qui attrape le ballon, mais c’est toute l’équipe qui est derrière à pousser. Sinon, j’adore le ballon. Et quand j’étais petit, avec mes deux grandes sœurs et mes deux petits frères, on a joué à tous les sports : basket, volley… tous les ballons. Et j’aime l’expression à Toulouse: jeu de mains, jeu de Toulousains. Dans un club qui gagne et qui va continuer à gagner j’espère!

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Vous avez été convié à Marcoussis pour la dernière semaine d’entraînement lors du Tournoi des VI Nations. Comme ça s’est passé?

C’était une très bonne expérience, avec des joueurs de classe mondiale, une équipe numéro un ou deux mondiale. Etre là avec cette équipe, ce groupe…

Quel a été le discours du sélectionneur Fabien Galthié?

On n’a pas beaucoup parlé. Mais il m’a surtout dit de continuer à travailler, à jouer comme je le fais, à être meilleur à chaque match. Et la sélection arrivera si elle doit arriver.

Pour le moment, vous n’êtes pas sélectionnable avant la Coupe du monde.

Ce n’est pas possible pour l’instant en effet. J’essaye de ne pas y penser. Si ça arrive, tant mieux. Mais pour le moment, je reste concentré sur Toulouse. Il reste cinq matchs en Top 14. Il y a pleins de matchs à jouer.

Pourquoi choisir la France alors que vous pourriez jouer pour les Samoa ou l’Australie (ou la Nouvelle-Zélande s’il jouait en Super Rugby)?

Je suis là et j’adore ce pays. C’est le pays qui me donne la chance de vivre le rêve d’être un joueur de rugby professionnel. C’est ça le plus important. Je veux rendre à la France tout ce qu’elle a fait pour moi. Avec un club incroyable. C’est ma vie maintenant. J’espère jouer encore plus de dix ans ici.

Même si Eddie Jones, le nouveau sélectionneur australien, vous a appelé?

Il m’a appelé. Il a essayé un peu. J’ai du respect pour Eddie Jones, pour les Wallabies. Mais ma vie maintenant, c’est la France.

Article original publié sur RMC Sport