"Red Flower": le manga français qui s'affranchit du modèle japonais

Sous l'influence de One Piece depuis des années, le manga français s'extirpe enfin de ce modèle indépassable pour trouver sa propre identité. Imaginé par Loui, jeune dessinateur originaire du Ghana, Red Flower (Glénat) le prouve, en mêlant l'esthétique de Rahan et Lanfeust aux contes de l'Afrique de l'Ouest.

"Les mœurs évoluent", se réjouit Loui lors d'une interview réalisée en juillet dernier à Japan Expo, la grand-messe du manga. "Le public ne regarde plus le manga comme quelque chose d'absolument japonais. Le manga n'est plus toujours synonyme de Japon."

Prévu en cinq tomes, ce récit initiatique suit un adolescent africain, Kéli, qui rêve de passer le rituel du "Katafali" afin de devenir un homme aux yeux de sa tribu. Mais ce jeune homme impétueux peine à comprendre la philosophie pacifique prônée par son peuple. Alors que leur village est menacé, il y voit une occasion de prouver sa valeur.

Une mythologie inédite

"Cette histoire est née au fil des années, comme beaucoup de mes projets: grâce aux rencontres avec des lecteurs qui me confiaient les personnages qu'ils avaient envie de voir représentés", détaille Loui, qui a puisé l'inspiration dans des histoires que lui racontait sa mère dans son enfance au Ghana.

"Elle me racontait les histoires d'Anansi l'araignée. C'est un personnage loufoque et ambigu qui est l'équivalent de Renart en Afrique de l'Ouest. Il utilise son intelligence pour surmonter les épreuves et affronter les autres animaux qui le bizutent. Dans mon histoire, j'en ai fait un sorcier."

Une mythologie inédite dans le paysage de la BD franco-belge. "C'est du vécu. C'est important", insiste Loui. "Les gens qui racontent quelque chose qui ne les transcende pas et ne les pousse pas à se dépasser sont tombés dans la facilité ou racontent peut-être quelque chose qui n'est pas important pour eux."

"Si l'histoire que tu racontes ne change pas ta vie, ça ne vaut pas le coup de la raconter", poursuit-il. "Le personnage de Keli, c'est une réflexion sur les choses qui me questionnent en ce moment: le passage à l'âge adulte, le rapport à la violence, l'importance de la communication pour résoudre les conflits."

Inspiré par les arts martiaux

Les arts martiaux, qu'il pratique depuis l'enfance, l'ont guidé dans la conception de son "afro-manga": "Il y a dedans des traces de karaté, de judo, de ju-jitsu, de sumo, de capoeira, de dambe, une boxe traditionnelle du nord du Nigeria. Je dessine ce que j'aime pour rester motivé. Je m'inspire de la dimension spirituelle des arts martiaux."

"J'ai commencé par le judo et le karaté quand j'étais gosse. La première chose que mes sensei m'ont dit, c'est: on ne t'apprend pas ça pour que tu ailles te battre, mais pour que tu apprennes à te maîtriser. C'est resté avec moi tout au long de ma vie", assure le dessinateur de 28 ans.

La pratique des arts martiaux l'aide à dessiner. "Ça aide à avoir une meilleure idée de ce à quoi ressemble une vraie pose, une vraie clef de bras, un vrai enchaînement, un vrai coup de poing", détaille-t-il. "C'est mieux d'avoir pratiqué. Souvent, on voit que l'auteur ne maîtrise pas ce type de dessin, parce qu'il ne l'a pas pratiqué ces sports."

Des classiques de la BD franco-belge comme Rahan et Lanfeust et des mangas plus récents comme Vinland Saga de Makoto Yukimura l'ont beaucoup inspiré également. Celui qui a découvert le manga en 2010 avant de s'y mettre professionnellement seulement trois ans plus tard y a puisé tout ce qu'il sait en art graphique.

"Dans Vinland Saga, Makoto Yukimura traite avec génie du thème de la non-violence", analyse-t-il. "C'est un super manga qui cerne les choses avec beaucoup de subtilités. Les personnages sont très attachants. C'est une référence ne serait-ce que d'un point de vue scénaristique."

Monter une école de dessin en Afrique

Loui a déjà en tête toute l'histoire de Red Flower. "Tout est écrit dans les grandes lignes mais tout est amené à changer. Plus j'évolue, plus j'ai de nouvelles idées de scènes, de façons d'illustrer. Mais je sais quelle est la fin, en quoi le personnage va grandir, les événements les plus importants."

Red Flower est prévu en cinq tomes, pas un de plus. "Cinq tomes, c'est pile le bon équilibre. On a le temps de développer une bonne histoire et les personnages, de se faire plaisir graphiquement et narrativement sans tomber dans du One Piece [qui a dépassé les 100 tomes, NDLR]. Le lecteur connaîtra la fin assez vite."

Le tome 2, déjà entièrement écrit, sortira en 2024. A terme, Loui espère ne plus dessiner pour se concentrer sur ses scénarios: "Je n'aime pas dessiner", assure celui qui se voit bien en "Stan Loui", en référence à Stan Lee, figure des comics américains à l'origine d'œuvres comme Spider-Man, Les Quatre Fantastiques et X-Men.

Loui rêve aussi de chapeauter une nouvelle génération d'auteurs d'afro-mangas burkinabais, sénégalais ou congolais découverts sur les réseaux sociaux. Une scène en pleine expansion. "J'aimerais monter une école de dessin en Afrique de l'Ouest. Mais pour l'instant, je veux m'affirmer en tant qu'auteur et après je verrai ce que je peux faire."

Red Flower, Loui, Glénat, 240 pages, 7,90 euros.

Article original publié sur BFMTV.com