Pourquoi le plan d’« adaptation » d’une France à +4 °C en 2100 marque un tournant politique

Dans un  entretien accordé au JDD ce dimanche 21 mai, Christophe Béchu a annoncé la mise en place d’un plan d’« adaptation » avec un scénario à + 4 degrés de réchauffement en France d’ici 2100.
Dans un entretien accordé au JDD ce dimanche 21 mai, Christophe Béchu a annoncé la mise en place d’un plan d’« adaptation » avec un scénario à + 4 degrés de réchauffement en France d’ici 2100.

ENVIRONNEMENT - « Ce n’est pas du défaitisme climatique, c’est de la lucidité. » Dans un long entretien accordé au JDD ce dimanche 21 mai, Christophe Béchu a annoncé la mise en place d’un plan d’« adaptation » avec deux scénarios : un réchauffement à +2 degrés en 2100, et un autre à + 4 degrés en France. Or si les scientifiques du monde entier appellent depuis le Sommet de Rio de 1992 les États à se préparer aux bouleversements climatiques à venir, le gouvernement français ne s’était pas encore vraiment penché sur la question.

« L’adaptation était le parent pauvre des politiques climatiques car on craignait que le fait de parler d’adaptation ne soit interprété comme un renoncement », explique le ministre de la Transition écologique dans son interview de ce dimanche. « Mais nous ne pouvons pas rester avec cette crainte. Il faut affronter la réalité de ce que nous vivons déjà et ce qui est en train de se produire », a-t-il renchéri.

Et pour cause : 2022, qui a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, a illustré à la perfection l’emballement climatique sans précédent que nous vivons.

L’adaptation, le « mouton noir »

Dès 1992 et le Sommet de la Terre convoqué par l’ONU à Rio pour s’attaquer aux défis environnementaux, le mot « adaptation » est employé. Mais il n’est réellement défini que cinq ans plus tard, lors des négociations du protocole de Kyoto, rappelle Le Monde. Puis dans les années 1990, la priorité est surtout de « stabili­ser les émissions » de gaz à effet de serre pour endiguer la hausse des températures.

L’adaptation était alors perçue comme « le mouton noir de la politique climatique », explique la chercheuse américaine Lisa Schipper, autrice du Giec.

Pourtant, les experts du climat, notamment au sein du Giec, n’ont cessé de le marteler depuis plus de 30 ans : la stratégie climatique des pouvoirs publics repose sur deux jambes : « l’atténuation », qui consiste à réduire nos activités polluantes et émettrices de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement climatique et ses effets. Mais aussi « l’adaptation », soit les mesures destinées à freiner ou à éviter les dommages affectant les sociétés et les écosystèmes.

Attention aux fausses bonnes idées

Désormais, alors que l’Humanité se trouve au pied du mur et que le monde se dirige inéluctablement vers un réchauffement compris entre +2,8 et +3,2 degrés en 2100 en moyenne au niveau mondial (ce qui correspondrait à +4 degrés pour la France), l’adaptation à la hausse des températures et à la multiplication des évènements extrêmes n’est de toute façon plus un choix.

Et on peut le dire, il s’agit d’un défi monstre, qui nécessite de repenser les modèles économiques, touristiques, agricoles… et les modes de vie, notamment en Occident. Pour l’agriculture par exemple, s’adapter, c’est par exemple faire migrer des cultures du sud au nord, remplacer les champs de maïs par du sorgho ou du sarrasin, ou encore adopter un régime végétarien, comme nous vous l’expliquons dans la vidéo ci-dessous.

En annonçant au moins trois chantiers en 2023 pour que « tous les secteurs » se préparent à ce changement climatique, le gouvernement prend donc un tournant remarquable. Mais attention : l’adaptation nécessite des mesures sur le très long terme, et les plans du gouvernement devront comprendre de réels changements structurels.

Il y a en effet deux formes d’adaptation : celle dite « transformationnelle », qui nécessite le plus de changements structurels, et « l’incrémentale », qui « repose sur le maintien du système existant », détaillent deux chercheurs spécialisés en économie de l’écologie dans la revue Polytechnique insights. Si l’adaptation incrémentale est nécessaire à court terme, par exemple pour définir un plan canicule pour l’été à venir, « l’adaptation transformationnelle est la seule réponse aux enjeux climatiques long terme », précise d’ailleurs l’un des auteurs, Jean-Paul Vanderlinden, professeur à l’Université Paris-Saclay.

Les scientifiques mettent également en garde le gouvernement face à la « maladaptation ». Il s’agirait de « fausses bonnes idées » pour se protéger temporairement des effets du changement climatique. On peut citer à cet égard les climatiseurs, qui refroidissent certes les intérieurs, mais qui réchauffent en même temps les villes en créant des îlots de chaleur par temps de canicule. Ou encore le modèle des « mégabassines », dont de nombreux chercheurs expliquaient encore récemment qu’elles aggravent les sécheresses en stockant la ressource en eau.

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