MMA: Saint Denis onzième, mais comment marche le classement UFC? (spoiler: c’est lunaire)

On lui avait promis le top 15 en cas de victoire. Mais sa nouvelle performance de choix l’a même rapproché du top 10. Magistral ce week-end au Madison Square Garden de New York, avec une victoire expéditive sur Matt Frevola par KO au premier round sur la carte principale de l’UFC 295, Benoît Saint Denis a intégré comme prévu le classement officiel des challengers de la catégorie des légers (-70 kilos), une des plus relevées au monde, dans la plus grande organisation de MMA à travers la planète.

Tombé ce mardi matin, le nouveau top 15 voit notre "God of War" national prendre la onzième place, à égalité avec l'Américain Jalin Turner, et rejoindre Ciryl Gane (deuxième chez les lourds, doublé par le nouveau champion intérimaire Tom Aspinall), Manon Fiorot (troisième chez les mouches, -57 kilos) et Nassourdine Imavov (douzième chez les moyens, -84 kilos) parmi les combattants français classés à l’UFC. Une étape importante sur la route de son rêve de ceinture et qui va lui permettre d’aller chercher des chocs face aux meilleurs combattants de la division.

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Et qui permet de s’interroger: mais au fait, ça marche comment les classements UFC? Lancés en février 2013, les "rankings" fonctionnent sur le modèle du Ballon d’Or avec un vote de journalistes. L’UFC l’explique sur sa page web qui leur est consacrée: "Les classements sont générés par un comité de vote composé de membres des médias. Il sera demandé aux membres des médias sélectionnés de voter pour ceux qu’ils considèrent comme étant les meilleurs combattants de l’UFC par catégorie de poids ainsi que livre pour livre" (ce dernier point représente le classement toutes catégories confondues). La chose devient intéressante quand on se plonge sur "les médias sélectionnés par l’organisation".

L’UFC, qui a fait fluctuer leur nombre au fil des années (il y en avait 28 à une époque, avec des médias très crédibles, ou encore 14 à une autre) et qui publiait les noms des journalistes votants dans les premières années, rentre dans les détails: "Le comité de vote des classements est composé de membres des médias suivants: KHON Honolulu, MMA Oddsbreaker, CFMU 93.3, Bursprak.se, FightNews, Fight Network, Gazeta Esportiva, Cherokee Scout, Burbank Leader, MMA Weekly, KIOZ 105.3, Vladusport.com, Wrestling Observer, Top Turtle Podcast, MMA Fight Radio, BoxeoMundial, Kimura.se, MMA Soldier, MMA NYTT, Blood & Sweat, Inside Fighting Radio." Jusque-là, rien d'anormal. Enfin si. Peu de noms dans cette liste de médias semblent être légitimes pour tenir un tel rôle.

Des journaux locaux qui couvrent... des compétitions lycéennes

KOHN Honolulu? Un site d’informations locales sur Hawaï sur lequel on ne trouve rien ou presque sur l’UFC et/ou le MMA (surtout de vieux articles sur les organisations PFL et One Championship). CFMU 93.3? La station de radio de l’université McMaster au Canada qui ne propose pas de couverture de l’UFC et/ou du MMA. Bursprak.se? Un site suédois consacré au MMA mais qui n’existe plus (le nom de domaine est en vente) et dont les dernières publications sur Instagram et Twitter remontent à juillet 2017. FightNews? Un site qui existe bel et bien mais entièrement consacré à… la boxe.

Gazeta Esportiva? Un site brésilien d’informations sportives qui ne possède aucune rubrique MMA et qui ne semble pas couvrir cette discipline (il n’y avait aucun article pour le sacre historique d’Alex Pereira chez les -93 kilos ce week-end à l’UFC 295). Cherokee Scout? Un journal local de Cherokee County, en Caroline du Nord (Etats-Unis), dont la couverture du sport est quasi 100% consacrée aux équipes locales lycéennes. Burbank Leader? Un autre journal local, cette fois du côté de Burbank en Californie, qui présente une couverture sportive similaire et toujours pas de MMA. KIOZ 105.3? Une radio rock de San Diego, en Californie, pour laquelle rien ne sort quand on fait une recherche associée aux mots UFC ou MMA (à part des articles sur… le panel de votants des classements UFC).

Vladusport.com? Sans doute le plus drôle à lire pour nous. Un site français qui n’existe plus et dont le nom de domaine est en vente. S’il consacrait bien des articles au MMA, les archives nous montrent que le dernier en date remonte à novembre 2016 et ses pages Twitter et Facebook n’ont plus rien posté depuis respectivement octobre 2013 et avril 2015. MMA Fight Radio? Un site d’infos et de podcasts désormais nommé MMA Fight Coverage qui explique faire partie du panel ("Nous sommes actuellement un des rares médias dans le monde qui votent pour les classements UFC. Notre présentateur Dallas Hall utilise son expertise pour prendre ces décisions critiques au nom de MMA Fight Coverage") mais qui n’a rien publié sur toute l’année 2023.

BoxeoMundial? Un site et une chaîne YouTube en espagnol mais 100% tournés vers la couverture de la boxe et non du MMA. Les autres médias cités ont au moins l’avantage d’exister et de couvrir la discipline et l’UFC. Mais il y a encore de quoi sourire. MMA Oddsbreaker couvre bien ce sport mais surtout sous l’angle des cotes de paris sportifs. Fight Network est un diffuseur canadien qui ne diffuse pas l’UFC et qui ne couvre pas l’actualité de l’organisation, préférant des articles sur des anecdotes façon tabloïd (un de leurs derniers sert à montrer une vidéo du combattant UFC Arnold Allen qui explique comment cuire un steak de bison). Kimura.se et MMA NYTT sont des sites surtout consacrés aux combattants suédois, tout comme Blood & Sweat avec leurs homologues russes.

Le site MMA Soldier, qui semble tenu par le seul ex-militaire Rodney James, présente sur sa Une l’affiche de l’UFC 293 de septembre dernier et son dernier article date d’août 2023 avec le KO de Sean O’Malley sur Aljamain Sterling pour remporter le titre des -61 kilos. Inside Fighting Radio couvre les sports de combat mais semble avoir disparu pendant quelques années avant de revenir et rares sont les vidéos à plus de 1000 vues sur sa chaîne YouTube. S’il n’est pas très connu, le Top Turle Podcast a le mérite d’être bien consacré à l’UFC et de connaître une publication régulière. Tout analysé, il apparaît comme un des médias les plus crédibles de la liste. Le site MMA Weekly, assez reconnu dans le milieu, est à coup sûr celui qui présente le plus grand bien-fondé à être inclus dans un tel panel.

Il y a, enfin, Wrestling Observer, très tourné sur le catch professionnel mais qui couvre aussi l’actualité de l’UFC et des sports de combat. Problème? En février, l’un de ses deux journalistes stars, Dave Meltzer, avait profité d’un message Twitter qui listait les membres du panel de votants des classements UFC pour mettre les choses au clair sur sa situation et celle de l’autre journaliste très connu de ce média: "Wrestling Observer est listé mais je sais que je n’ai rien à voir avec ça, et Bryan Alvarez non plus". Il existe la possibilité que Ryan Frederick, qui écrit la plupart des articles sur l’UFC sur ce site et dont les tweets sont souvent repris par la production télévisuelle lors des événements UFC, soit le votant en question. Mais il aurait sans doute prévenu ses patrons…

"L'UFC ne nous contacte pas"

Bref, quand on regarde de plus près, c’est du grand n’importe quoi. Pointé notamment par le créateur de contenu Tommy Toe Hold qui avait répertorié en février le nombre de fois où des combattants ont échangé leur position dans le classement toutes catégories confondues alors qu’aucun des deux n’était monté dans la cage dans l’intervalle: 65! Avec ces informations lunaires sur "les médias sélectionnés" et aucune autre indication fournie par l’organisation, les classements UFC manquent clairement de transparence – les votes individuels ne sont pas publiés, au contraire du Ballon d’Or par exemple, et seule l’évolution des classements est publique – et de légitimité.

Au point de se questionner sur leur côté outil marketing et se demander à quel point l’UFC met son nez dans l’affaire, surtout quand on sait que ces classements peuvent être utilisés pour placer tel combattant contre tel autre dans la cage ou lors de négociations pour un renouvellement de contrat. "L'UFC ne nous contacte pas, personne ne le fait, on ne reçoit aucun conseil, ils veulent juste notre meilleur jugement", avait expliqué Bruno Massami, le votant pour Gazeta Esportiva, dans un article de The Scrap en 2019 qui citait nommément plusieurs journalistes impliqués dans le processus (Rob DeMello pour KHON, Brian Hemminger pour MMA Oddsbreaker). Si le panel de votants a changé, les athlètes comme les fans sont en droit d’en être informés. Si ce n’est pas le cas, le panel devrait sans doute être remis en cause vu qui le constitue.

Des médias comme MMA Fighting, MMA Junkie ou ESPN, entre autres, seraient par exemple plus que bienvenus vu leur crédibilité dans la couverture de ce sport et de l’UFC (des représentants des deux premiers avaient indiqué il y a quelques années que leur média refuserait pour un possible conflit d'intérêt). Interrogé par un journaliste français sur le futur nouveau classement de Benoît Saint Denis en conférence de presse à l'issue de l'UFC 295, le patron de l'organisation Dana White (qui a souvent lui-même critiqué les classements et les choix des journalistes qui votent) avait répliqué de façon sèche: "Tous les gens dans cette pièce prennent cette décision, pas moi". On aimerait tout de même vérifier combien de personnes dans cette salle au Madison Square Garden participent au panel. Si on suit la liste du site officiel de l'UFC, ils ne devaient pas être nombreux.

Article original publié sur RMC Sport