Lutte: Zelimkhan Khadjiev, le retour du banni

La séance du mardi matin à l’Institut national des sports (Insep), de l’expertise et de la performance, c’est un petit enfer pour les lutteurs. Les trois heures les plus redoutées de la semaine, quasiment sans temps morts et terminées par des aller-retour pleine balle sur le tapis de lutte. Les corps dégoulinent de grosses gouttes, la salle sent la sueur, les muscles sont hyper gonflés.

Zelimkhan Khadjiev ne quitte presque jamais son sourire. Il revient de pire. Depuis deux mois, il a retrouvé le cocon de l’Insep, ses coachs, ses amis, les bourrades en daghestanais pour chambrer ses coéquipiers. Le code mondial antidopage permet de s’entraîner deux mois avant la ligne d’arrivée d’une suspension. Le fil de l’histoire de l’ancien enfant prodige de la lutte française a été renoué.

Premier champion du monde junior dans l’histoire de la lutte hexagonale en 2014, Khajiev était promis à un avenir radieux. Double médaillé européen des 74 kilos en 2018 et 2019, il était lancé pour devenir le premier tricolore en libre médaillé olympique depuis Emile Poilvé en 1936. Aux Mondiaux 2019, il se pare de bronze et obtient un quota pour les Jeux Olympiques l’année suivante à Tokyo. Sur le podium à Nur-Sultan (Kazakhstan), il est entouré de rois, le Russe Zaurbek Sidakov, triple champion du monde et futur champion olympique à Tokyo, l’Américain Jordan Burroughs, sextuple champion du monde et champion olympique 2012, l’Italien Frank Chamizo, double champion du monde et médaillé olympique.

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"Le coach Didier Païs me dit que je suis dopé"

Quelques semaines après, il sera éjecté de cette caste. Renvoyé chez les parias. Une suspension provisoire qui tombe en décembre 2019, puis les quatre ans prononcés par la fédération internationale de lutte. Khadjiev ira jusqu’en appel devant le Tribunal arbitral du sport arguant que le médicament ne procurait aucun effet sur ses performances. Il prendra quatre ans.

Khadjiev rembobine : "C’était un vendredi. J’étais parti à la mosquée. Je sors et le coach Didier Païs me dit que je suis dopé. Je lui dis ‘arrête, c’est pas marrant’. Je n’y croyais pas. Il me demande ce que j’ai pris, on regarde. Avec le docteur et le kiné et ils comprennent que c’est le Vastarel et qu’à l’intérieur il y a une molécule dopante. On peut dire que j’ai lâché quelques larmes. Je suis resté dix jours sous le choc."

Alain Bertholom, le président de la Fédération française de lutte avait déclaré à l’époque : "après vérifications auprès de notre médecin des équipes de France, des entraîneurs et de l'athlète, il s'avère effectif qu'une prise de médicament a été faite en dehors de notre surveillance, dans un cadre personnel. Nous sommes dans une incompréhension totale. En effet, nous avons mis en place toutes les procédures de vérification, d'information et de préconisation auprès de nos sportifs. Il semble que l'athlète ait suivi les conseils d'un tiers quant à la prise de ce médicament et qu'il ait pu en disposer sans ordonnance dans une pharmacie."

"Je ne supportais pas le regard des gens"

"Je n’en veux à personne. Les erreurs ont été commises par tout le monde. C’est le destin", résume sobrement le double médaillé européen des 74 kilos. Pendant sa suspension de quatre ans, Khadjiev n’a pas eu le droit de franchir les portes d’une salle de lutte affilée à la FFL, pas plus que de s’entraîner avec des coéquipiers de l’équipe de France. Hormis un petit groupe de lutteurs et ses coaches Didier Païs et Luca Lampis qui lui parlent régulièrement, il découvre l’isolement avec le mot dopage marqué sur le front.

"Beaucoup de gens ne savaient pas comment parler, des gens ont pris des distances car il ne savait pas comment se comporter. Moi je ne supportais pas le regard des gens. On peut dire que je me suis retrouvé un peu seul mais mes meilleurs amis étaient là, mes entraîneurs aussi." Khadjiev va vivre un an et demi où la moindre image de lutte ou de sport le rend fou. Il ne s’entraîne pas. Il n’a pas regardé les Jeux olympiques 2021 à Tokyo où il aurait été qualifié sans sa suspension.

La ligne avec la Fédération reste ouverte confirme Patrick Vazeilles, le directeur de la performance. "On connait son histoire, l’erreur qu’il a faite mais aussi les intentions qu’il y avait derrière. On ne voulait pas le laisser sur le bord de la route. Au moment où la sentence tombe, il prend un coup sur la carafe mais on sent directement qu’il va rester concerné." Khadjiev répond à l’appel d’un club de MMA chez lui à Nice. Son profil plaît aux managers, lui aussi se régale à mettre les gants. Deuxième coup sur la tête quand il apprend qu’il ne pourra pas combattre dans la cage. Sa suspension s’appliquant aussi aux autres compétitions en France, même dans d’autres sports.

Une vie de nomade avant le retour à l'entraînement

Il tâte du coaching à la MMA Factory. Il entraîne les apprentis combattants à la lutte. Il intervient aussi auprès de Ciryl Gane avant son combat contre Francis Ngannou. "Je me suis retrouvé coach mais je ne voulais pas être coach, moi je veux être un champion", affirme fort Khadjiev. C’est un ancien de l’équipe de France qui va permettre de renouer le fil. Zoheir El Ouarraqe, médaillé européen des moins de 57 kilos, est maintenant entraîneur à l’université d’Oklahoma. La lutte universitaire est très développée aux Etats-Unis. Khadjiev fonce dans le cœur agricole des States pour y multiplier les stages.

"J’ai charbonné là-bas, dit-il sobrement. Plus qu’en France. Ce n’était pas facile. J’ai plus envie qu’avant. Je suis content d’avoir des amis qui pensent à moi et qui m’aident. Je n’ai pas lâché prise". Une vie de nomade en attendant le retour au centre d’entraînement du bois de Vincennes en septembre dernier. La fédération et les entraîneurs ont régulièrement sondé la faim du lutteur originaire du Daghestan. Ils n’ont pas été déçu. "Il n’y a pas eu de suspens sur son engagement en vue de Paris 2024", résume Patrick Vazeilles.

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Tous les jours sur le tapis de l’Insep depuis septembre, Khadjiev ne ménage pas ses efforts. Jamais. 90% selon ses dires, toujours plus. Ce mardi, il enchaîne les matchs avec un nouveau venu, un ours de 86 kilos. Il trouve la faille plusieurs fois. Au bord, Luca Lampis donne de la voix : "c’est la guerre". Didier Païs, l’autre coach, corrige "Zelim". L’élève veut y aller en force pour remonter une jambe lors d’un passage au sol. Païs démontre, avec deux mains sur la cuisse l’adversaire cède presque tout seul. Khadjiev recopie dans la foulée. Les sélectionneurs ont tenté de l’aligner au dernier moment sur les Mondiaux militaires fin novembre en remplacement d’un garçon blessé pour surprendre la concurrence. Finalement, la France fera forfait. C’est en Finlande il y a trois semaines, à l’occasion d’un petit tournoi international, qu’il remet le maillot, reperd les derniers grammes.

"J'aime la lutte"

Les cheveux sont plus rares mais Khadjiev a toujours l’œil. Il gagne ses cinq combats par grande supériorité et n’encaisse aucun point. "J’étais heureux ce jour-là, ça faisait longtemps sourit-il. Une fois que tu le perds quelque chose auquel tu tiens, c’est là que tu comprends pourquoi tu aimais ça. Avant je faisais ça parce que j’étais bon. Maintenant, je peux dire que j’aime la lutte, le jeu tactique. Avant je ne voyais pas tout ça." La deuxième étape de son retour sera plus musclée. Du 10 au 14 janvier à Zagreb, il va remettre le maillot pour un gros tournoi du calendrier mondial. Il y jouera sa place pour l’Euro en février et surtout le premier tournoi de qualification olympique du 4 au 7 avril à Bakou. Khadjiev se mesurera à Saifedine Alekma, qui descend des 79 kilos et rêve aussi de place en moins de 74 kilos.

Il reste très détaché par rapport aux regard des autres, ceux qui verront toujours un dopé. Il ne souhaite plus s’expliquer sur l’épisode du Vastarel. "Il a mûri, il a appris de cette erreur, il relativise aussi beaucoup, détaille Patrick Vazeilles. Il va traverser ça de manière assez libérée, personne mieux que lui sait ce qu’il s’est passé, il est très au clair avec lui-même concernant cette histoire."

Un pari fou ? Khadjiev répond que non. "Je ne serais pas revenu si je savais que je ne pouvais pas le faire. J’ai déjà fait des médailles après des opérations. Beaucoup de gens sont arrivés à tout gagner en un an, pourquoi pas moi. J’y vais pour gagner, je m’entraîne pour être champion olympique." Assis face au mur des légendes de la lutte hexagonale à l’Insep qui rassemble les portraits des champions du monde et des médaillés olympiques, il a vu un nouveau cadre s’ajouter pendant sa suspension, celui d’Ibrahim Ghanem, champion du monde en gréco-romaine cette année. Dommage pour Khadjiev, qui voulait avoir sa photo à côté de Mélonin Noumonvi, champion du monde 2014. Il en rigole une fois de plus. Sur le mur de la salle, trois panneaux rappellent aux lutteurs les nombreuses qualités que doit avoir un champion: "jouer sur ses points forts", "ne jamais donner un point"... Une dernière résonne particulièrement dans son cas: "ne pas faire deux fois la même erreur".

Article original publié sur RMC Sport