L'édito de la revue de l'After: Marseille, le point sur le détail

L'édito de la revue de l'After: Marseille, le point sur le détail

L'OM loupe la qualification en Ligue des champions. La faute à une élimination au bout du suspens face aux ogres de Panathinaïkos, avant même le barrage face à Braga. Ce qui étonne ce n’est pas l’imprévu, c’est la prévision. Ce qui surprend c’est qu’après tant d’années à avaler des rendez-vous annulés, des trains qui n’arrivent pas, des amours inespérées, des erreurs d’arbitrage, des buts qui finiraient par arriver mais qui n’arrivent pas, on continue à s’étonner que rien ne se passe jamais comme prévu. Quand Valentin Rongier essaie d’expliquer l’inexplicable mardi dernier — l’OM éliminé par le Panathinaïkos — rien de telle qu’une statistique pour résoudre les impasses de la superstition "on peut jouer ce match 10 fois, on le gagnera 9 fois". Au vu des circonstances, on se dit qu’avec 2 buts refusés, un pénalty contraire, et des ballons sauvés sur la ligne, on n’a pas vraiment envie de le contredire. Tous les indices du hold-up sentimental étaient réunis. À Marseille, le coefficient d’expected-joie était si élevé, que la détresse fut profonde à la fin de ce match. Saloperie d’imprévu.

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Pourtant, comment ne pas voir dans cette nouvelle élimination d’un club en tour préliminaire de Champions contre un adversaire expexted-battu d’avance, un nouvel épisode du psychodrame français habituel? L’entraîneur, le président, le directeur sportif avaient beau être espagnols et donc pas supposés sensibles aux névroses locales, l’OM a tout de même pris le train de la lose habituelle. Il y aurait beaucoup à dire sur la force du contexte qui s’impose aux individus. Mais comme on n’est pas là pour raconter sa vie, on se concentrera donc sur un seul élément en forme de paradoxe.

Détails ou symptômes?

On a beau être confronté chaque saison aux compétitions interminables qui se jouent sur un détail, on a beau répéter à chaque victoire de l’équipe de France, à chaque désillusion d’un de nos clubs en Europe, que ce sont ces fameuses données secondaires (un hors-jeu de 5 centimètres, un arbitre plus ou moins bien luné, un ballon qui rebondit du mauvais côté du poteau) qui font toute la différence, on ne peut pas s’empêcher de poser une question idiote: ces détails, s’ils déterminent à ce point l’issue du match, en sont-ils vraiment? Ces détails qu’on incrimine ne sont-ils pas plutôt des symptômes d’une manière de (mal) concevoir la compétition ?

Tout cela réside en réalité sur une confusion logique courante: le meilleur moyen de lutter contre l’imprévu, serait de le combattre à grand d’expected-points, d’expected-goal, d’expected-match. Après tout, nous sommes des êtres de prévision et de mémoire. Il semble donc normal de s’imaginer des choses quand on ne sait plus. Qu’est-ce qu’un match de 90 minutes si ce n’est un énorme morceau d’imprévu auquel il va bien falloir faire face? Les plus prudents, priant que les événements se répètent, se rassurent en convoquant l’habitude, les datas et les expériences passées. Les plus téméraires, parce qu’ils sont gros d’avenir et d’ambitions, se projettent déjà célébrant la qualification.

Entraîner, c’est prévoir.

Problème: à force de guerre contre le temps, plus personne ne pense le présent. Et, ce qui est inévitable dans ce cas, un grain de sable mal disposé ne manquera pas d’effondrer les châteaux de la mémoire et de l’illusion. Pour Marseille ce fut la prédiction à l’envers de l’anti-devin Marcelino qui déclencha — comme chez Sophocle — le scénario tragique du match. "Je ne pense pas aux penaltys. Notre objectif en tant qu’équipe est de gagner le match en 90 minutes. On va aller chercher cette qualification, on a des solutions." Là était l’incroyable ressort de cette rencontre qui, évidemment, se finira aux tirs au but. "Je ne pense pas aux pénaltys": rien de plus aveuglant qu’un Sphinx redoutant sa propre prédiction.

Mais entraîner c’est prévoir, pas prédire. Un devin ne servirait pas à grand chose dans ce jeu à points si rare où le moindre centimètre peut s’avérer décisif sur le résultat final. Car, attention, l’imprévu n’est pas un Dieu cruel à amadouer. Evoquer le "destin" comme le font certains en forme d’excuse est une manière de remettre un morceau d’intention malveillante et déresponsabilisante dans un scénario dont l’issue s’était avéré décevant. Un peu comme les enfants persuadés que tout ce qu’ils ne comprennent pas est — forcément — de la faute de leurs parents, nous confions au "hasard", au "destin", à "Dieu", à "la VAR", à "l’arbitre", le soin d’expliquer nos errements successifs lors des compétitions européennes. C’est pratique, c’est rapide mais, pour rappel, si on avait passé nos vies à accuser le ciel de la pluie qui tombe, on n’aurait jamais inventé le parapluie.

Le stratège

Qu’est-ce qu’une situation de compétition? Une situation dans laquelle on provoque l’imprévu pour jouer à le conjurer. Jouer avec la contingence pour ne plus avoir à la subir, telle serait une belle définition de la coupe d’Europe. A nous donc d’en tirer la conclusion : si l’imprévu est une prévision décevante, alors la chance, c’est l’inverse, une attente comblée, une stratégie qui se réalise "Dans le jeu de football, écrit Edgar Morin, la stratégie consiste à utiliser les balles que donne involontairement l’équipe adverse. La construction du jeu se fait dans la déconstruction du jeu adverse et finalement le meilleur stratège — s’il bénéficie de quelque chance — gagne. Le hasard n’est pas seulement le facteur négatif à réduire dans le domaine de la stratégie. C’est aussi la chance à saisir." Idée pour nos clubs : se mettre enfin à penser l’imprévu (plutôt que de le subir) et le provoquer (plutôt que de le combattre). La récompense s’appelle le football.

Article original publié sur RMC Sport